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L'ART.
l'Antiquité, du Moyen-Age et de la Renaissance s'entassent bizarrement dans les salles
de la mairie, à côté d'oiseaux empaillés, d'armes de sauvages et de modèles de ponts et
de viaducs. Cependant, à défaut d'un bâtiment spécial où toutes ces diverses séries
seraient classées dans des pièces séparées, Cahors possède un magnifique local tout
désigné pour recevoir des collections archéologiques. C'est le charmant corps de garde
du xve siècle qui se dresse encore, à peu près intact, près de la porte de Paris.
C'est un parti pris inconscient, dirait-on, de mépriser tout ce qui ne flatte pas l'œil
du vulgaire, tout ce qui n'est pas bien propre, bien entier et digne de l'admiration des
concierges de Musées. On ne regarde pas trop, en général, à la dépense pour installer à
peu près convenablement des oeuvres, les unes banales, les autres sans valeur aucune,
dont les artistes imposent l'acquisition à l'Etat, tant à force d'importunité personnelle
qu'en faisant agir des influences d'autant plus puissantes qu'elles sont plus étrangères
à l'art.
Par contre, tous les vénérables restes de la sculpture nationale, si remarquables
qu'ils soient, pour peu qu'ils aient souffert des injures du temps et des hommes, ne
comptent pour rien ou à peu près, et c'est uniquement afin d'imposer silence à la
gent désagréable des archéologues — des électeurs, en somme — que les municipalités
consentent à colloquer tant bien que mal ces nobles débris en des remises quelconques.
Ce sentiment est beaucoup plus général qu'on se le figure ; il se fait jour -dans les
boutades d'écrivains bien connus ; il inspirait aux amateurs des deux derniers siècles ces
restaurations intempestives qui ont altéré le caractère d'un grand nombre d'antiques
statues, bas-reliefs et camées ; c'est lui qui a inspiré au concierge du Musée d'Arles
la lumineuse idée de fabriquer un faux nez en carton à une superbe Vénus. Un
touriste paraît ; vite on va quérir l'ingénieux appendice; on le met en place afin de
procurer au visiteur l'illusion de contempler la tête intacte!
Il faut néanmoins savoir gré aux administrations communales qui accordent un
local quelconque aux vénérables pierres sculptées, car beaucoup de Municipalités se
contentent de les détruire ou de les livrer aux entrepreneurs, comme matériaux de
construction, ainsi que cela se fit à Toulouse, il y a une quinzaine d'années seulement,
pour l'ancienne porte du Grand Consistoire, au Capitole ; ce charmant spécimen de
l'art régional portait la date de i 5 52...
Et pourtant, en ce pauvre Midi, si épuisé par des siècles de guerres, si bien pillé
par les iconoclastes de la Réforme, de la Révolution, de la Bande noire et du fonc-
tionnarisme, ces statues enlevées de leur niche, ces bas-reliefs mutilés, ces tombes
profanées, ces chapiteaux veufs de leurs colonnes sont presque tout ce qui nous reste
d'un passé artistique qui ne fut pas sans gloire. N'est-il pas désolant de voir dispa-
raître ces témoins précieux, quand le Nord en est encore à contester cet art au Midi,
malgré les éloquentes affirmations de Viollet-le-Duc et de bien d'autres? N'est-il pas
affligeant de les voir traités avec si peu de respect par ceux qui devraient être leurs
défenseurs naturels, alors qu'ils comprennent des œuvres de la valeur des statues de
Rieux, de la Vénus de Mas d'Agenais, du sarcophage du sire de Palays et de cette
tragique tête de guerrier, qui, au Musée de Toulouse, dans sa noble et vivante laideur,
décèle un si excellent artiste?
Tout notre passé historique et artistique est là. Ce serait arracher une page de l'his-
toire nationale que de toucher aux inscriptions romaines et juives de Narbonne ; ce
serait être ingrat que de laisser disparaître les monuments qui nous apprennent les
L'ART.
l'Antiquité, du Moyen-Age et de la Renaissance s'entassent bizarrement dans les salles
de la mairie, à côté d'oiseaux empaillés, d'armes de sauvages et de modèles de ponts et
de viaducs. Cependant, à défaut d'un bâtiment spécial où toutes ces diverses séries
seraient classées dans des pièces séparées, Cahors possède un magnifique local tout
désigné pour recevoir des collections archéologiques. C'est le charmant corps de garde
du xve siècle qui se dresse encore, à peu près intact, près de la porte de Paris.
C'est un parti pris inconscient, dirait-on, de mépriser tout ce qui ne flatte pas l'œil
du vulgaire, tout ce qui n'est pas bien propre, bien entier et digne de l'admiration des
concierges de Musées. On ne regarde pas trop, en général, à la dépense pour installer à
peu près convenablement des oeuvres, les unes banales, les autres sans valeur aucune,
dont les artistes imposent l'acquisition à l'Etat, tant à force d'importunité personnelle
qu'en faisant agir des influences d'autant plus puissantes qu'elles sont plus étrangères
à l'art.
Par contre, tous les vénérables restes de la sculpture nationale, si remarquables
qu'ils soient, pour peu qu'ils aient souffert des injures du temps et des hommes, ne
comptent pour rien ou à peu près, et c'est uniquement afin d'imposer silence à la
gent désagréable des archéologues — des électeurs, en somme — que les municipalités
consentent à colloquer tant bien que mal ces nobles débris en des remises quelconques.
Ce sentiment est beaucoup plus général qu'on se le figure ; il se fait jour -dans les
boutades d'écrivains bien connus ; il inspirait aux amateurs des deux derniers siècles ces
restaurations intempestives qui ont altéré le caractère d'un grand nombre d'antiques
statues, bas-reliefs et camées ; c'est lui qui a inspiré au concierge du Musée d'Arles
la lumineuse idée de fabriquer un faux nez en carton à une superbe Vénus. Un
touriste paraît ; vite on va quérir l'ingénieux appendice; on le met en place afin de
procurer au visiteur l'illusion de contempler la tête intacte!
Il faut néanmoins savoir gré aux administrations communales qui accordent un
local quelconque aux vénérables pierres sculptées, car beaucoup de Municipalités se
contentent de les détruire ou de les livrer aux entrepreneurs, comme matériaux de
construction, ainsi que cela se fit à Toulouse, il y a une quinzaine d'années seulement,
pour l'ancienne porte du Grand Consistoire, au Capitole ; ce charmant spécimen de
l'art régional portait la date de i 5 52...
Et pourtant, en ce pauvre Midi, si épuisé par des siècles de guerres, si bien pillé
par les iconoclastes de la Réforme, de la Révolution, de la Bande noire et du fonc-
tionnarisme, ces statues enlevées de leur niche, ces bas-reliefs mutilés, ces tombes
profanées, ces chapiteaux veufs de leurs colonnes sont presque tout ce qui nous reste
d'un passé artistique qui ne fut pas sans gloire. N'est-il pas désolant de voir dispa-
raître ces témoins précieux, quand le Nord en est encore à contester cet art au Midi,
malgré les éloquentes affirmations de Viollet-le-Duc et de bien d'autres? N'est-il pas
affligeant de les voir traités avec si peu de respect par ceux qui devraient être leurs
défenseurs naturels, alors qu'ils comprennent des œuvres de la valeur des statues de
Rieux, de la Vénus de Mas d'Agenais, du sarcophage du sire de Palays et de cette
tragique tête de guerrier, qui, au Musée de Toulouse, dans sa noble et vivante laideur,
décèle un si excellent artiste?
Tout notre passé historique et artistique est là. Ce serait arracher une page de l'his-
toire nationale que de toucher aux inscriptions romaines et juives de Narbonne ; ce
serait être ingrat que de laisser disparaître les monuments qui nous apprennent les