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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0298

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un des plus glorieux parmi les musiciens dont la France a
le droit de s'honorer. Celui-là n'était certes pas un artiste
ordinaire, et à l'heure de la mort, toutes les faiblesses de
l'homme, ses exaltations plus ou moins calculées, ses
rancunes et ses haines plus ou moins justifiées ne doivent
plus compter aux yeux de qui veut le juger sagement.
C'est le musicien seul qu'il convient d'apprécier et certes
celui-là avait assez le culte de.son art, avec des dons très
précieux et une intelligence hors ligne; il a porté assez
haut le renom de la musique française, il a surtout
produit assez de belles pages, et des pages bien person-
nelles, pour justifier tous nos regrets. Il serait dangereux
de vouloir déterminer dès aujourd'hui jusqu'à quel point
ses œuvres maîtresses, déjà légèrement entamées, pour-
ront subir l'épreuve des années, et il ne faut pas lancer
à la légère le grand mot d'immortalité — rappelez-vous '
Auber; — mais. Gounod aura déjà donné une grande I
preuve de sa force en résistant aux éloges excessifs sous
lesquels ses amis et ses admirateurs ont failli l'écraser,
quand il est mort... A présent, laissons faire le temps.

Adolphe Jullikn.

P. S. — La préoccupation de rendre justice aux morts
ne doit pas nous faire oublier les vivants. L'Opéra, avant
de remonter Faust avec tous décors et costumes nou-
veaux, vient de rejouer Sigurd avec de vieux décors et
des costumes légèrement rafraîchis ; ce qui n'a nullement
nui au succès de la reprise. En effet, Sigurd, que le grand
succès de Salammbô avait fait laisser de côté durant près
de dix-huit mois, est de ces œuvres qui garderont long-
temps la faveur du public parce qu'elles ne l'ont pas obte-
nue du premier coup, comme tant d'ouvrages très
médiocres; parce qu'il a fallu que les amateurs d'abord,
puis la masse des auditeurs s'initiassent peu à peu aux
beautés supérieures d'un opéra qui les avait fort effarou-
chés et qu'ils admirent d'autant plus aujourd'hui. L'inter-
prétation actuelle est excellente, au moins du côté des
solistes, car l'orchestre et les chœurs, surtout les chœurs
de femmes, ont montré bien de la mollesse : il leur faut
probablement le temps de se mettre en train.

M. Saléza, qui abordait le rôle de Sigurd, joue avec
feu, se préoccupe aussi de bien articuler et fait briller une
voix charmante, éclatante à l'occasion; M. Fournets, qui
s'emparait du personnage du grand prêtre, a chanté ces
belles mélodies d'une voix vibrante et moelleuse aussi

quand il le fallait; Mme Deschamps-Jehin, qui n'avait pas
tenu le rôle de la nourrice Uta depuis l'apparition de
Sigurd à Bruxelles en 1885, le rend avec une énergie
farouche et sans que sa voix soit écrasée par l'orchestre.
Voilà pour les interprètes nouveaux a Paris. MM. Renaud
et Gresse ont toujours autant de conviction, d'autorité
dans Gunther et Hagen; Mme Bosman, avec sa voix si
savoureuse, aurait besoin d'un peu plus d'âpreté dans le
rôle d'Hilda ; enfin, Mme Caron fait toujours une Brune-
hild merveilleuse, à la voix rajeunie, il me semble, aux
attitudes superbes, aux regards profonds : c'est parfait.

Ce succès ne troublera pas trop le bon Gounod, je
l'espère, au royaume des Bienheureux. Mais quand il
était sur terre, il avait été très surpris de voir l'auteur de
la Statue, auquel il marquait pourtant grande sympathie
en public, se placer tout à coup à la tête de l'école fran-
çaise et repousser loin derrière lui tant de compositeurs
qui considéraient ce Sigurd comme un mythe et pensaient
bien qu'il ne verrait jamais le jour. Et le dépit de l'auteur
de Faust se traduisait par d'assez vives sorties dans l'inti-
mité, tandis qu'au milieu du monde il accablait d'éloges
son bien-aimé confrère. Un jour, lors de la reprise de la
Statue à l'Opéra-Comique, il se déclarait fatigué par cette
audition au point de ne pouvoir plus distinguer le ton
d'un morceau, et s'en allait déplorant qu'en France on
remplaçât le respect des grandes choses par celui des
petites... Et vous devinez facilement à quelles œuvres
s'appliquaient ces deux qualificatifs.

Après Sigurd : « Non vraiment, disait-il à ses amis, je
ne puis goûter cette musique épaisse comme du mortier,
semblable aux soupes où la cuillère reste debout, quand
on l'enfonce ». Et comme il avait écrit une lettre ultra-
louangeuse au compositeur, non sans ajouter, par pure
amitié, quelques conseils, celui par exemple, d'alléger un
peu son instrumentation qui lui semblait par endroits
lourde et bruyante : « Ah ! que vous avez raison, cher
maître et ami, lui répondit Reyer; que n'ai-je reçu plus
tôt vos sages avis qui me font voir clair à présent dans
ma musique et croyez que je vais les mettre immédiate-
ment à profit... Dès demain, je supprime les flûtes ».

Et quoique l'excellent Gounod ait pu dire ou faire, à
présent Sigurd est au-dessus de Faust. Voilà bien ce
qu'il craignait, le vénérable apôtre, et ce qu'il vit avec
douleur avant que de mourir.

A. J.
 
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