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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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256

L'ART.

avec force preuves à l'appui, M. le comte d'Hérisson. Un
fort triste sire, ce sieur Mounier, mais les papiers qu'il
possédait et que publie l'auteur du Journal d'un officier
d'ordonnance ont une incontestable valeur historique.
Napoléon qui passe pour avoir été bon juge en fait
d'hommes, n'a guère été clairvoyant en ce qui concerne
Mounier. Il le combla de faveurs et lui prodigua les témoi-
gnages d'une confiance dont son versatile protégé était
aussi peu digne que possible. Mounier était absolument
dépourvu de sens moral.

C'est en l'honneur de Léon Cladel, que « vingt-quatre
de ses amis littéraires se sont groupés afin de former un
livre collectif, écho de leurs regrets, et ils ont donné à
cette œuvre f/aternelle, écrit notre excellent collaborateur,
M. Philibert Audebrand, le nom de la Villa Bon Accueil ; »
ainsi était désignée la modeste habitation occupée à Sèvres
par l'auteur du Bouscassié.

Ce livre est une bonne action. Aussi éprouve-t-on un
plaisir infini à constater son complet succès. Il en est à sa
troisième édition; elle sera suivie de bien d'autres.

J'ai connu Léon Cladel; il me sera donc permis de
regretter que le portrait dessiné pour ce volume par un
artiste de talent, le statuaire et peintre belge Constantin
Meunier, soit par trop sommaire.

En paraissant m'étonner des bontés de Napoléon pour
Mounier, j'ai commis une grave erreur. Le protégé, ai-je
dit plus haut. « était absolument dépourvu de sens moral ».
J'eusse dû me souvenir que le protecteur ne l'était pas à
un moindre degré. Question d'affinités. Le remarquable
ouvrage de M. Frédéric Masson s'est chargé de me le
rappeler avec une irrésistible éloquence, celle des faits
évoqués avec la plus indiscutable sincérité par un admi-
rateur dont le culte va jusqu'à l'idolâtrie.

Homme des plus honorables, écrivain des plus distin-
gués, M. Masson est à mille lieues de se douter qu'il est
bel et bien un simple revenant. C'est un chauvin sincère
mais qui date de la Restauration, tout en incarnant ce
phénomène d'être incontestablement passionné pour la
vérité et de désirer en même temps voir « élever des autels »
à son idole, au premier Napoléon.

Ne croyez pas que cela l'entraîne à s'aveugler au sujet
du neveu. Il n'hésite pas à imprimer 1 que Napoléon III
« avait peu de volonté » et « n'avait point de génie ».

Vivement critiqué par les bonapartistes, il leur dit leur
fait sans ambages et ne cache nullement qu'il se soucie
d'eux et de leur jugement moins que d'un fêtu de paille.
Il les dédaigne au point de s'écrier avec la plus légitime
fierté : « Mieux vaut sans doute, pour soi, rester avec les
honnêtes gens et qu'on vous en blâme 2. »

M. Frédéric Masson, qui, en cela, est clairvoyant,
enregistre l'acte de décès du bonapartisme.

« C'est fini du groupe comme du parti », nous dit-il.
Puis il passe, avec la même netteté, à l'examen de son
propre passé, après avoir eu soin de nous apprendre en
ces termes quelles sont ses inébranlables croyances
actuelles :

« Le jour où la nation rencontrera l'homme qui incar-
nera ses aspirations de gloire, d'autorité et de rénovation
sociale, le courant populaire se reformera de lui-même,
le parti renaîtra, et si l'homme est à la hauteur de sa
mission, l'on verra de quelle valeur seront alors les
machinations des parlementaires bourgeois pour s'opposer
à la marche de celui que Carlyle nomme si justement
« le Héros. »

La perspicacité de M. Masson s'égare lorsqu'elle
recourt à l'autorité de Carlyle qui fut et demeure un
grand écrivain, mais qui ne consentit jamais à être un

i. Page xvn. — 2. Page xi.

illuminé, si ce n'est en littérature. Dans la vie privée, il
n'entendait en aucune façon subir pour son compte, la
réglementation d'un sabre « héroïque » quelconque. Dans
sa pensée de derrière la tête, ce genre de bienfait ne con-
vient en Europe qu'aux peuples du Continent. De là l'en-
thousiasme que lui inspirent un Frédéric II, un Napoléon.

M. Frédéric Masson poursuit ainsi : « Ces idées triom-
pheront tôt ou tard, ou bien il n'y aura plus de France.
C'est là l'unique conviction qui demeure en mon esprit,
mais d'autant plus ferme que l'aventure que nous avons
vu courir il y a quelques années n'a pu l'ébranler. » Si le
piètre général Boulanger a échoué, « c'est qu'il s'est
manqué à lui même, c'est qu'il n'avait point l'âme à la
hauteur de ses destinées, c'est que l'on ne s'improvise
point César, on ne le devient même point : on naît tel. »

Dans son admiration du « Héros » quel qu'il soit et
d'où qu'il sorte, M. Masson a le malheur d'oublier qu'il
en est un réellement admirable, le plus illustre de tous,
George Washington. Celui-là, il est vrai, ne songea jamais
à jouer au condottiere sans scrupules, au tueur d'hommes
dépourvu de tout sens moral; il se contenta d'être un bon
citoyen, un serviteur désintéressé de sa patrie. Aussi son
souvenir respecté grandit-il chaque jour dans l'estime du
genre humain, à mesure que les Etats-Unis, son œuvre,
deviennent plus prospères, plus puissants.

M. Masson, — tant le chauvinisme, la gloire, la vic-
toire, les guerriers, les lauriers et les ruines sanglantes
qui, de toutes parts, les accompagnent, réussissent à aveu-
gler cet homme de sérieux talent, — M. Masson semble
même ignorer qu'il est une nation voisine, la Suisse, uni-
versellement admirée, qui, depuis des siècles, réunit sous
le drapeau de sa Confération, groupées en parfaite har-
monie, trois races absolument opposées et dont aucune
n'a le moindre désir de se fondre parmi les peuples de
l'une ou l'autre grande puissance qui entoure l'Helvétie.

« Je ne devais rien à l'Empire, poursuit M. Frédéric
Masson; je n'avais nul lien de famille qui m'attachât aux
Bonapartes, nulle obligation de reconnaissance. On m'a
payé une pension nationale de 6oo francs jusqu'à l'âge de
seize ans : c'était le prix de la mort de mon père, tué le
23 juin 1848. La République, en m'adoptant avec les
autres orphelins, m'avait fait ce don ; je ne pense pas qu'on
le trouve excessif, et ce n'était point ce bienfait qui m'avait
rendu républicain.

« Je l'étais ardemment, sous l'Empire, parce que
l'éducation classique, une jeunesse solitaire, beaucoup de
lectures et une certaine rectilignité dans les idées m'avaient
fait tel. Je me représentais une République fondée sur la
vertu, comme le veut Montesquieu, et les hommes de la
Révolution, grâce à la légende, m'apparaissaient les plus
vertueux qui eussent jamais existé. Je ne doutais point
que ceux qui disaient suivre leur exemple ne fussent tels,
et que la Montagne ne fut exclusivement fréquentée par
des gens de bien, aux âmes nettes et aux mains pures. De
toutes les Constitutions une seule me semblait avoir des
origines légales, émaner de la souveraineté du peuple et
contenir les articles fondamentaux de la foi républicaine :
c'était la Constitution de a3. Il est vrai qu'elle n'avait
jamais été mise en vigueur, mais elle était à ce point
théorique que l'on eût dit qu'elle avait été rédigée par
Rousseau lui-même. »

On n'avoue pas plus franchement de qui l'on est le
disciple inconscient.

« Il est sain de rêver ainsi, » ajoute M. Masson, en
appuyant de la sorte sur la chanterelle : « Napoléon a
dit : « Il y a eu de bons Jacobins. Il a existé une époque
« où tout homme ayant l'âme un peu élevée devait l'être.
« Je l'ai été moi-même, comme tant de milliers de gens de
 
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