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La chronique des arts et de la curiosité — 1896

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Nr. 1 (4 Janvier)
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LA CHRONIQUF, DES ARTS

L'AET ET L'ARCHÉOLOGIE AU THÉÂTRE

Théâtre Français : Le Fils de l'Arétin

Mon cher Directeur, vous m'avez demandé
mon opinion sur la mise en scène et les costu-
mes du Fils de l'Arétin. Je suis allé, le soir de
Noël, voir le drame de M. de Bornier; je l'ai
écouté sans peine et je suis resté jusqu'au bout,
car c'est une très belle pièce et qui est admira-
blement bien jouée. Si la sincérité et l'exactitude
des costumes répondaient à leur richesse, le tout
serait parfait, et je n'emporterais do cette repré-
sentation qu'un enchantement des yeux et le
souvenir du jeu merveilleux des deux Monnet,
de l'intelligente et expressive figure de Le Bargy,
de la belle et imposante silhouette deMmcDudlay.
Avec cette délicatesse exquise des femmes qui
sont vraiment artistes, elle réussit à nous rap-
peler Vittoria Golonna avec sa tête laurée enve-
loppée du long voile des veuves.

Aussi, séduit par un pareil spectacle, rendu
plus indulgent par une évocation de ce seizième
siècle que j'aime un peu trop, peut-être, n'appor-
terai-je que des critiques archéologiques. Et ceux
à qui elles s'adressent n'auront à les prendre
que comme des encouragements et des conseils.

Le grand reproche à faire au parti général
de la mise en scène est le manque d'unité dans
les costumes. Ils sont trop fantaisistes, trop peu
corrects pour donner le caractère d'une époque ;
et, par des détails maladroits et choquants, se
trouvent gâtées les meilleures qualités d'exécu-
tion ; c'est comme un tableau brillamment coloré
et dont le dessin serait pauvre. Dans la restitu-
tion archéologique, il faut se garder avec soin
des anachronismes. Le Fils de l'Arétin en ruis-
selle, si j'ose dire. Et tout d'abord ma vue fut
désagréablement frappée en voyant, dès le pre-
mier acte, le Mercure volant de Jean de Bologne
figurer dans la salle du palais de l'Arétin. Or, le
% petit Larousse, lui-même, ne nous laisse point
ignorer que ce sculpteur naquit à Douai en 1524,
et la scène se passe en l'année 1516! Dans un
vaudeville, un des acteurs n'eût point manqué, en
s'arrêtant devant la figure du célèbre sculpteur
de s'écrier : « Déjà » ! Les figures à la Parmesan
ne sont guère non plus à leur place ici : Francesco
Mazzuoli, comme chacun sait, naquit à Parme
en 1503 et il ne paraît pas avoir beaucoup pro-
duit à l'âge de treize ans. Je n'ai pas distingué,
sur la table où Mounet-Sully jette une épée de
mousquetaire, le fameux encrier à tête de vipère;
mais j'y ai vu, par contre, le buste du Tasse
qui représente l'Arétin « œuvre de Torbido ». il
y aurait encore d'autres choses à dire.

Seul, dans cette première scène, M. Moun^t-
Sully est bien costumé. Son ajustement pourpre
et écarlate est du meilleur style, sa coiffure très
juste et sa physionomie est vraiment admirable.
Si l'Arétin ne posséda ni ces traits sataniques ni
cette singulière beauté — on ne prête qu'aux riches
— il aurait dû virtuellement les avoir. Et là, tel
est le prestige de l'art et du talent, que ce merveil-
leux acteur nous fait revivre une époque par
sa seule expression de visage et quelques artifices
de coiffeur. Je lui conseillerai— et c'est d'une petite
importance — de changer son épée, qui est du xvne

siècle, avec une monture fausse et une ceinture
mauvaise. D'ailleurs, toutes les épées des acteurs
sont laides, mal montées, inexactes comme gar-
nitures, comme fourreaux, comme pendants.
Mais pour ces questions techniques je désespère
de me faire comprendre, d'autant que M. Sarcey
a déclaré que ces détails étaient sans importance.
Toutefois, dût-on me reprocher de faire parade
d'érudition — et c'est bien là le cadet de ■ mes
soucis —je demande à donner quelques exemples.
Un, surtout, est frappant :

Au second acte, Le Bargy se présente avec
une épée du temps de Louis XIV. C'est une ra-
pière espagnole, d'ailleurs très laide, et qui est
passée dans une large et double patelelte du xvn»
siècle, lorsque ces armes se portaient avec des
crochets de ceinture. Pourquoi cette rapière de
plus de cent ans en avance sur le reste du costume et
que Le Bargy porte en civadière comme une épée
de cuisse ? Pourquoi aussi Mounet-Sully, au der-
nier acte, tue-t-il Le Bargy avec une dague égale-
ment espagnole, du xvuc siècle pareillement, et
qui est certainement celle de Don Sallusle ? Et,
à côté de cela, certains détails sont très justes.
Le fils de l'Arétin, Orfinio, porte, au moment où
son père le tue avec cette main gauche, anachro-
nique, une dague à oreilles qui est bien du xvi°
siècle et qui ne paraît pas mal exécutée. D'ailleurs
je reviendrai sur les armes.

Mounet-Sully, si somptueux sous l'écarlate, a
tort de porter un maillot de danseuse lorsqu'il
devrait avoir un haut-de-chausses à taillades et
de* bas-de-chausses faits de bandes, par exemple,
de salin et de drap alternées. Où diable les costu-
miers ont-ils pris qu'on aît jamais porté des
maillots ? A peine vers 1550 les bas de soie com-
mencèrent-ils à êlre d'un usage courant. Quant
aux artistes et flatteurs qui se pressent autour de
l'Arétin, leurs costumes sont, pour la plupart, du
xv" siècle, tout comme celui du secrétaire Franco
qui s'est fait une physionomie florentine du
temps de Laurent le Magnifique. Du reste ce
Franco vieillit tellement à la suite de ses déboires
qu'il finit par se présenter sous? la figure de Dante
Allighieri, dontil prend et la tête, et la draperie,
et le chaperon cornu. Les laquais de FArét'n ont
l'air de chantres de cathédrale qu'on aurait dé-
guisés avec des peignoirs de bains de mer. Des
dalmatiques leur auraient mieux convenu, et, à
cette époque, la livrée portait toujours l'épée.

La figure deBayard est, par contre, admirable.
Paul Mounet m'a rappelé ces rudes chevaliers du
Saint-Empire qui combattirent avec.Maximilien
et dont Albert Durer et Hans Burgkmaier nous
ont laisé le portrait. Prises individuellement, les
pièces du costume n'existent pas et ne vont pas
ensemble; néanmoins l'archéologie ne songera pas
à réclamer contre ce rude homme de guerre qui
se dresse avec tant de vraie grandeur et de calme
fierté. Ce visage pâle, où seuls les yeux vivent et
qu'encadre le colletin d'acier, vaut mieux qu'un
portrait de l'époque. Et c'est une vraie page d'his-
toire.Toutefois, il serait préférable, puisque Bavard
vint armé en guerre, qu'il le fût régulièrement et
que son buste, étant celui d'un homme de pied,
ne se continuât pas en une demi-saye de gen-
darme, dont les jambes ne sont point armées.
Mais ce costume peut, à la rigueur, rester tel ; il
a beaucoup de caractère.
I i Quant aux Arétines, elles sont fagotées d'une
 
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