ET DE LA CURIOSITE 23
qu'exerce la beauté. M. Berenson, clans les in-
troductions do ses petits volumes sur l'histoire de
la peinture italienne, s'est rencontré, sur bien des
points, avec M. Ilildebrand. Si l'on parle aujour-
d'hui couramment de lignes vivantes et de lignes
mortes, de valeurs tactiles, de composition dans
l'espace, si l'on tend à substituer des idées pré-
cises à des abstractions dans l'analyse et dans
l'appréciation dos œuvres d'art, c'est on grande
partie aux auteurs précités qu'on est redevable do
ce progrès.
Le dernier livre do M. Lcewy, quoique très court,
présente un intérêt de premier ordre pour l'intelli-
gence de l'art antique. Il est malheureusement
d'une lecture très ardue et l'auteur n'a rien fait
pour le rendre plus accessible, ce qui eût été fa-
cile s'ii l'avait terminé par un résumé conden-
sant ses idées et ses théories sous forme d'apho-
ri'smes. Une des idées les plus originales est celle-ci :
L'art ne commence pas par l'imitation do la nature
envisagée comme un modèle toujours présent aux
yeux do l'artiste. Gelui-ci a vu la nature (disons,
pour simplifier, la figure humaine) sous un nombre
infini d'aspects qui ont laissé une impression rési-
duaire dans son esprit. G'est d'après cette impres-
sion ou image moyenne qu'il travaille, en essayant
do la rendre aussi claire, aussi complète, aussi
intelligible que possible. D'abord, il la présente
surtout en relief ou en dessin; plus tard seule-
ment, la sculpture en rondo-bosse revendique ses
droits. En représentant une figure on dessin ou en
relief, l'artiste en montre la tête do profil, mais,
dans l'intérêt de la clarté, il dessine de face l'œil
et la poitrine, souvent aussi les jambes; ainsi pro-
cédèrent les sculpteurs égyptiens et les Grecs
archaïques. Abordant l'image en ronde-bosse, il la
modèle d'abord de telle façon qu'elle se présente
entièrement do face, sans aucune ambiguïté ni
complications de forme, droite, les bras collés au
corps, raide et symétrique. Telle est la Nikandra
de Délos. Vue de profil, cette statue primitive est
insignifiante; elle est faite pour être regardée
d'un seul côté. Mais l'art comprend bientôt que le
spectacteur doit pouvoir tourner autour d'une sta-
tue, qu'il ne suffit pas de fixer dans là pierre une
impression d'ensemble, mais qu'il faut en réunir
plusieurs. Alors il combine avec la face deux vues
de profil et il produit une statue comme l'Apollon
de Ténéa, qu'on peut regarder de face et de profil,
mais qui, pendant qu'on en fait le tour, n'offre que
des contours disgracieux et sans expression. Le
progrès ultérieur consiste à multiplier les aspects
des statues qui on font valoir les qualités expres-
sives ; M. Lœwy penso que le terme de ce dévelop-
pement a été atteint par Lysippo, dont les œuvres
peuvent être appréciées, comprises, admirées, in-
dépendamment do l'angle sous lequel on les regarde.
Si, comme on a lieu do le croire, le prétendu Gla-
diateur du Louvre est la meilleure copie existante
d'un chef-d'œuvre de Lysippe, il est facile de con-
trôler, en tournant autour do cotte statue, l'opinion
de M. Lœwy; peut-être la trouvera-t-on un peu
absolue, mais il y a là lo germe d'études auquel
un bel avenir paraît assuré.
Si les artistes archaïques ne disposent que d'un
petit nombre de types qu'ils répètent sans cesse,
s'ils évitent avec tant de soin les entrecroisements
de lignes, les ruptures d'équilibre, les déhanche-
ments, cela s'explique encore parle besoin de clarté
qui les domine et par lo fait qu'ils travaillent
d'après une sorte d'image moyenne imprimée
dans leur mémoire par la réalité mouvante, sans
souci de fixer, comme par une vision instantanée,
les mouvements éphémères où so complaît la na-
ture.
Do là aussi cotte tendance, dans le bas-relief et
la pointure, à présenter les corps sous leur aspect
le plus large, sans oser do raccourcis, sans tenir
compte des effets do la vision latérale. L'artiste
primitif, comme l'enfant, attache moins d'impor-
tance à ce qu'il voit qu'à ce qu'il sait exister ;
l'imago que la vision do la nature a laissée dans
son cerveau est faite en partie de la conscience
qu'il a de son propre corps.
Ceux qui prendront la peine do lire on entier le
mémoire do M.Lœwy— otjeles avertis qu'il devront
y porter beaucoup d'attention —seront tout étonnés
ensuite, en parcourant les galeries d'antiques du
Louvre, de faire mille observations intéressantes ;
ce sera la juste récompense de leur labeur.
S. R.
Pierre Gusmax. — Les Villes d'art célèbres. Ve-
nise. Paris, H. Laurens, 1902. In-4°, 156 p., av.
130 gravures.
Venise vient de prendre place, à côté do Bruges
et Ypres et do Paris, dans la collection dos Villes
d'art célèb) es. G'est M. Pierre Gusman, chargé
d'une mission en Italie par lo 'ministère do l'Ins-
truction publique et dos Beaux-Arts, et dont on
connaît le grand ouvrage sur Pompéi, qui a rédigé
ce nouveau volume, où l'on trouve, habillant un
style vivant et pittoresque, un choix de belles
gravures qui disent, au long des pages, la beaulé
de la ville sans pareille.
G'est, dans la Description de la Cité « pétrie
d'orgueil et de volupté », le Canal Grande, le lion
de Saint-Marc, érigé à la Piazzetta, la Piazzetta
avec le Campanile et le palais des Doges, San
Giorgio Maggiore, lo pont des Soupirs, lo palais
Sanudo Ranavel, la Piazza, Saint-Marc.....
L'Architecture est illustrée par la cathédrale do
Torcello, celle de San Donato à Murano, Saint-
Marc, le Palais ducal, le musée Gorrcr, les palais
Loredan, Ga d'Oro, Foscari, Dario, dei Camerlon-
ghi, Vendramin, Grimani, Santa Maria dei Frari,
San Giovanni o Paolo, San Zaccaria, San Michèle
di Murano, Santa Maria délia Salute, etc.
Voici, pour La Sculpture, les magnifiques tom-
beaux des doges Morosini, Mocenigo, Venier, Ven-
dramin; les chefs-d'œuvre de Donalello, Antonio
Rizzo ; le Colleoni d'Andréa Vorocchio ; les Jacopo
Sansovino, Lombardi, Vittoria, Barlhel, Niccolo
doi Gonti, Bresciano, Roccatagliatar, Gaia...
Et La Peinture, décorative, somptueuse, païenne,
après les Primitifs, présente Gentile et Giovanni
Bellini, les Vénitiennes de Garpaccio, Cima da
Conegliano, Basaiti, Montagna, Lotto, Bissolo, les
« carnations savoureuses » de Giorgionc, Palma
Vecchio, « la chair vive » des Vénitiennes do Ti-
tien, Pordenono, Sebasliano dei Piombo, les archi-
tectures de Paris Bordono, les « violences » du
Tintoret, les magnifiques décorations do Véronèse,
la grâce de Tiepolo et les jolies vues de Canaletto.
Les érudits, les critiques d'art, les voyageurs et
les simples curieux trouveront donc leur compte
en ce joli volume, présenté avec goût, et constituant
un véritable musée.
G. R.
qu'exerce la beauté. M. Berenson, clans les in-
troductions do ses petits volumes sur l'histoire de
la peinture italienne, s'est rencontré, sur bien des
points, avec M. Ilildebrand. Si l'on parle aujour-
d'hui couramment de lignes vivantes et de lignes
mortes, de valeurs tactiles, de composition dans
l'espace, si l'on tend à substituer des idées pré-
cises à des abstractions dans l'analyse et dans
l'appréciation dos œuvres d'art, c'est on grande
partie aux auteurs précités qu'on est redevable do
ce progrès.
Le dernier livre do M. Lcewy, quoique très court,
présente un intérêt de premier ordre pour l'intelli-
gence de l'art antique. Il est malheureusement
d'une lecture très ardue et l'auteur n'a rien fait
pour le rendre plus accessible, ce qui eût été fa-
cile s'ii l'avait terminé par un résumé conden-
sant ses idées et ses théories sous forme d'apho-
ri'smes. Une des idées les plus originales est celle-ci :
L'art ne commence pas par l'imitation do la nature
envisagée comme un modèle toujours présent aux
yeux do l'artiste. Gelui-ci a vu la nature (disons,
pour simplifier, la figure humaine) sous un nombre
infini d'aspects qui ont laissé une impression rési-
duaire dans son esprit. G'est d'après cette impres-
sion ou image moyenne qu'il travaille, en essayant
do la rendre aussi claire, aussi complète, aussi
intelligible que possible. D'abord, il la présente
surtout en relief ou en dessin; plus tard seule-
ment, la sculpture en rondo-bosse revendique ses
droits. En représentant une figure on dessin ou en
relief, l'artiste en montre la tête do profil, mais,
dans l'intérêt de la clarté, il dessine de face l'œil
et la poitrine, souvent aussi les jambes; ainsi pro-
cédèrent les sculpteurs égyptiens et les Grecs
archaïques. Abordant l'image en ronde-bosse, il la
modèle d'abord de telle façon qu'elle se présente
entièrement do face, sans aucune ambiguïté ni
complications de forme, droite, les bras collés au
corps, raide et symétrique. Telle est la Nikandra
de Délos. Vue de profil, cette statue primitive est
insignifiante; elle est faite pour être regardée
d'un seul côté. Mais l'art comprend bientôt que le
spectacteur doit pouvoir tourner autour d'une sta-
tue, qu'il ne suffit pas de fixer dans là pierre une
impression d'ensemble, mais qu'il faut en réunir
plusieurs. Alors il combine avec la face deux vues
de profil et il produit une statue comme l'Apollon
de Ténéa, qu'on peut regarder de face et de profil,
mais qui, pendant qu'on en fait le tour, n'offre que
des contours disgracieux et sans expression. Le
progrès ultérieur consiste à multiplier les aspects
des statues qui on font valoir les qualités expres-
sives ; M. Lœwy penso que le terme de ce dévelop-
pement a été atteint par Lysippo, dont les œuvres
peuvent être appréciées, comprises, admirées, in-
dépendamment do l'angle sous lequel on les regarde.
Si, comme on a lieu do le croire, le prétendu Gla-
diateur du Louvre est la meilleure copie existante
d'un chef-d'œuvre de Lysippe, il est facile de con-
trôler, en tournant autour do cotte statue, l'opinion
de M. Lœwy; peut-être la trouvera-t-on un peu
absolue, mais il y a là lo germe d'études auquel
un bel avenir paraît assuré.
Si les artistes archaïques ne disposent que d'un
petit nombre de types qu'ils répètent sans cesse,
s'ils évitent avec tant de soin les entrecroisements
de lignes, les ruptures d'équilibre, les déhanche-
ments, cela s'explique encore parle besoin de clarté
qui les domine et par lo fait qu'ils travaillent
d'après une sorte d'image moyenne imprimée
dans leur mémoire par la réalité mouvante, sans
souci de fixer, comme par une vision instantanée,
les mouvements éphémères où so complaît la na-
ture.
Do là aussi cotte tendance, dans le bas-relief et
la pointure, à présenter les corps sous leur aspect
le plus large, sans oser do raccourcis, sans tenir
compte des effets do la vision latérale. L'artiste
primitif, comme l'enfant, attache moins d'impor-
tance à ce qu'il voit qu'à ce qu'il sait exister ;
l'imago que la vision do la nature a laissée dans
son cerveau est faite en partie de la conscience
qu'il a de son propre corps.
Ceux qui prendront la peine do lire on entier le
mémoire do M.Lœwy— otjeles avertis qu'il devront
y porter beaucoup d'attention —seront tout étonnés
ensuite, en parcourant les galeries d'antiques du
Louvre, de faire mille observations intéressantes ;
ce sera la juste récompense de leur labeur.
S. R.
Pierre Gusmax. — Les Villes d'art célèbres. Ve-
nise. Paris, H. Laurens, 1902. In-4°, 156 p., av.
130 gravures.
Venise vient de prendre place, à côté do Bruges
et Ypres et do Paris, dans la collection dos Villes
d'art célèb) es. G'est M. Pierre Gusman, chargé
d'une mission en Italie par lo 'ministère do l'Ins-
truction publique et dos Beaux-Arts, et dont on
connaît le grand ouvrage sur Pompéi, qui a rédigé
ce nouveau volume, où l'on trouve, habillant un
style vivant et pittoresque, un choix de belles
gravures qui disent, au long des pages, la beaulé
de la ville sans pareille.
G'est, dans la Description de la Cité « pétrie
d'orgueil et de volupté », le Canal Grande, le lion
de Saint-Marc, érigé à la Piazzetta, la Piazzetta
avec le Campanile et le palais des Doges, San
Giorgio Maggiore, lo pont des Soupirs, lo palais
Sanudo Ranavel, la Piazza, Saint-Marc.....
L'Architecture est illustrée par la cathédrale do
Torcello, celle de San Donato à Murano, Saint-
Marc, le Palais ducal, le musée Gorrcr, les palais
Loredan, Ga d'Oro, Foscari, Dario, dei Camerlon-
ghi, Vendramin, Grimani, Santa Maria dei Frari,
San Giovanni o Paolo, San Zaccaria, San Michèle
di Murano, Santa Maria délia Salute, etc.
Voici, pour La Sculpture, les magnifiques tom-
beaux des doges Morosini, Mocenigo, Venier, Ven-
dramin; les chefs-d'œuvre de Donalello, Antonio
Rizzo ; le Colleoni d'Andréa Vorocchio ; les Jacopo
Sansovino, Lombardi, Vittoria, Barlhel, Niccolo
doi Gonti, Bresciano, Roccatagliatar, Gaia...
Et La Peinture, décorative, somptueuse, païenne,
après les Primitifs, présente Gentile et Giovanni
Bellini, les Vénitiennes de Garpaccio, Cima da
Conegliano, Basaiti, Montagna, Lotto, Bissolo, les
« carnations savoureuses » de Giorgionc, Palma
Vecchio, « la chair vive » des Vénitiennes do Ti-
tien, Pordenono, Sebasliano dei Piombo, les archi-
tectures de Paris Bordono, les « violences » du
Tintoret, les magnifiques décorations do Véronèse,
la grâce de Tiepolo et les jolies vues de Canaletto.
Les érudits, les critiques d'art, les voyageurs et
les simples curieux trouveront donc leur compte
en ce joli volume, présenté avec goût, et constituant
un véritable musée.
G. R.