tous à l'échelle d'un paysage ramassé, mesuré, restreint.
Regardez ces villes italiennes qui de loin se confondent avec
les formations géologiques accourant vers la crête où elles
s'étalent, crispant leurs racines de pierre dans la pierre qui
s'y tasse, brunes ou rousses comme elle, arides comme elle,
et leurs tours nues qui s'en élancent avec le dur élan, séparé
des autres, égoïste, des cyprès montant de toute part (i).
Ces édifices romains munis de membres trapus pour franchir
les plaines pierreuses, de membres hauts pour enjamber les
fleuves, et qui transportent l'eau des sources à la distance,
à la hauteur qu'exigent l'étendue du désert ou la profondeur
du ravin. Ces coupoles d'Islam tournant sur elles-mêmes,
tourbillon lent et pâle dans le tremblement de l'air chaud.
Ces pagodes de l'Inde reproduisant du haut en bas toutes
les plantes, toutes les bêtes de la jungle, où grouillent les
bêtes de la jungle et que les plantes ont repris (2). Ces murs
des temples japonais où des motifs figés et glacés dans la
laque répètent, avec une variété monotone et systématique,
tous les aspects des bouquets de cryptomérias et de cèdres
crépitant et bruissant d'insectes et d'oiseaux (3).
(!) Fig. 34.
(2) Fig. 77.
(3) Le ciment armé parviendra-t-il, comme le pensent beaucoup d'archi-
tectes, Le Corbusier-Jeanneret au premier rang, à dominer définitivement
tous les milieux en substituant partout l'abstraction géométrique anthro-
pocentriste à l'empirisme climatique et ethnique qui a régné jusqu'ici?
Oui, sans doute, au moins pour un temps, et si la fonction de l'édifice,
au pôle et à l'équateur, est et peut être exactement la même. Non, si l'archi-
tecte prétend résister, pour imposer une idée unilatérale et systématique,
aux exigences de l'éclairage à obtenir et du climat à accepter ou à com-
battre. Sous prétexte que le ciment armé est la matière la plus malléable
dont les architectes aient disposé jusqu'ici, il serait au moins paradoxal
que son emploi aboutît à favoriser non une adaptation plus étroite à des
fins utiles et harmonieuses, mais une uniformité d'aspects destinée à engen-
drer très vite le découragement et l'ennui. J'ai effleuré cette question dans
l'Introduction du présent ouvrage, et l'ai traitée plus longuement ailleurs
(voir Histoire de l'Art, t. iv, Préface). Cette réserve faite, j'admire la
nécessité bienfaisante d'un effort tel que celui de Le Corbusier-Jean-
neret. Il introduit résolument dans notre esprit des notions simples, qui
ne peuvent que purifier ses concepts, régénérer son action et débarrasser
ses habitudes des cendres qui les encrassent. D'admirables réalisations,
on le sait, ont déjà été obtenues dans l'ordre de l'architecture industrielle
par les ingénieurs d'Amérique, d'Italie, de France et d'Allemagne, et,
— 74 —
Regardez ces villes italiennes qui de loin se confondent avec
les formations géologiques accourant vers la crête où elles
s'étalent, crispant leurs racines de pierre dans la pierre qui
s'y tasse, brunes ou rousses comme elle, arides comme elle,
et leurs tours nues qui s'en élancent avec le dur élan, séparé
des autres, égoïste, des cyprès montant de toute part (i).
Ces édifices romains munis de membres trapus pour franchir
les plaines pierreuses, de membres hauts pour enjamber les
fleuves, et qui transportent l'eau des sources à la distance,
à la hauteur qu'exigent l'étendue du désert ou la profondeur
du ravin. Ces coupoles d'Islam tournant sur elles-mêmes,
tourbillon lent et pâle dans le tremblement de l'air chaud.
Ces pagodes de l'Inde reproduisant du haut en bas toutes
les plantes, toutes les bêtes de la jungle, où grouillent les
bêtes de la jungle et que les plantes ont repris (2). Ces murs
des temples japonais où des motifs figés et glacés dans la
laque répètent, avec une variété monotone et systématique,
tous les aspects des bouquets de cryptomérias et de cèdres
crépitant et bruissant d'insectes et d'oiseaux (3).
(!) Fig. 34.
(2) Fig. 77.
(3) Le ciment armé parviendra-t-il, comme le pensent beaucoup d'archi-
tectes, Le Corbusier-Jeanneret au premier rang, à dominer définitivement
tous les milieux en substituant partout l'abstraction géométrique anthro-
pocentriste à l'empirisme climatique et ethnique qui a régné jusqu'ici?
Oui, sans doute, au moins pour un temps, et si la fonction de l'édifice,
au pôle et à l'équateur, est et peut être exactement la même. Non, si l'archi-
tecte prétend résister, pour imposer une idée unilatérale et systématique,
aux exigences de l'éclairage à obtenir et du climat à accepter ou à com-
battre. Sous prétexte que le ciment armé est la matière la plus malléable
dont les architectes aient disposé jusqu'ici, il serait au moins paradoxal
que son emploi aboutît à favoriser non une adaptation plus étroite à des
fins utiles et harmonieuses, mais une uniformité d'aspects destinée à engen-
drer très vite le découragement et l'ennui. J'ai effleuré cette question dans
l'Introduction du présent ouvrage, et l'ai traitée plus longuement ailleurs
(voir Histoire de l'Art, t. iv, Préface). Cette réserve faite, j'admire la
nécessité bienfaisante d'un effort tel que celui de Le Corbusier-Jean-
neret. Il introduit résolument dans notre esprit des notions simples, qui
ne peuvent que purifier ses concepts, régénérer son action et débarrasser
ses habitudes des cendres qui les encrassent. D'admirables réalisations,
on le sait, ont déjà été obtenues dans l'ordre de l'architecture industrielle
par les ingénieurs d'Amérique, d'Italie, de France et d'Allemagne, et,
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