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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les hommes que j’ai peints ne portaient point d’or; ils n’étaient pas
riches', mais de saints personnages qui méprisaient les richesses. » Et il
se refusa à embellir son œuvre au gré du pontife.
Michel-Ange, on le voit, avait la répartie heureuse, et savait éluder
habilement les désirs sans offenser ceux qui les lui exprimaient. Mais,
parfois, il lui arrivait de mettre dans ses réponses moins de forme et plus
de hauteur lorsqu’il se croyait blessé dans sa dignité d’artiste par un
imbécile présomptueux. Alphonse de Ferrare, ayant désiré avoir une de
ses peintures, lui envoya un des plus grands seigneurs de sa cour pour
négocier cette affaire. Après avoir lu les lettres de créance, Michel-Ange
montra à ce personnage une Léda, puis Castor et Pollux sortant d'un
œuf. Trop ignorant pour comprendre le mérite contenu dans des ouvrages
de petites dimensions, mais assez sot pour s’estimer un être important à
qui l’on ne pouvait confier qu’une mission considérable, ce seigneur ne
jeta sur ces tableaux qu’un regard rapide et dédaigneux. « Oh! dit-il,
c’est bien peu de chose. — Quel est donc votre métier? demanda Michel-
Ange.— Je suis marchand, » répondit avec ironie le gentilhomme pensant
à la fois railler l’artiste qui n’avait pas reconnu sa qualité et persifler les
Florentins adonnés au commerce. Michel-Ange, qui l’avait parfaitement
reconnu et compris, répliqua vivement : « Eh bien, messer marchand,
vous ferez cette fois un bien mauvais marché pour votre maître. Sortez
d’ici! » Et Michel-Ange fit don à son ami et élève Antonio, qui avait
deux sœurs à marier, de ces deux tableaux et d’un grand nombre de
dessins dont ce dernier retira un prix élevé en les vendant en France.
Lorsqu’il s’agissait de défendre ses projets et de triompher des obsta-
cles que ses ennemis lui suscitaient, Michel-Ange parlait avec une fermeté
et une fierté que ne faisaient plier ni l’élévation ni le nombre des person-
nages qu’il avait à combattre. Vers la fm de 1550, les partisans de l’ar-
chitecte San Gallo résolurent de le perdre auprès de Jules III, et dans ce
but ils engagèrent le pape à convoquer en assemblée les fabriciens et les
administrateurs de Saint-Pierre, qui devaient prouver clairement à Sa
Sainteté que Buonarrotti avait gâté cet édifice. Le conseil réuni, ces bonnes
gens l’accusèrent en effet de n’avoir percé que trois fenêtres pour trois
chapelles, ce qui, par suite, priverait complètement de lumière l’intérieur
de l’église. Jules III fit part à Michel-Ange des plaintes portées contre
lui. « Je voudrais bien voir et entendre ces messieurs, répondit l’artiste.
— Nous voici, reprit le cardinal Marcello en s’avançant. — Eh bien,
monsignore, au-dessus de ces trois fenêtres il doit y avoir trois ouver-
tures dans la voûte qui sera construite en travertin. — Vous ne nous
l’aviez jamais dit ! s’écria le cardinal. — Je ne suis et n’entends pas être
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les hommes que j’ai peints ne portaient point d’or; ils n’étaient pas
riches', mais de saints personnages qui méprisaient les richesses. » Et il
se refusa à embellir son œuvre au gré du pontife.
Michel-Ange, on le voit, avait la répartie heureuse, et savait éluder
habilement les désirs sans offenser ceux qui les lui exprimaient. Mais,
parfois, il lui arrivait de mettre dans ses réponses moins de forme et plus
de hauteur lorsqu’il se croyait blessé dans sa dignité d’artiste par un
imbécile présomptueux. Alphonse de Ferrare, ayant désiré avoir une de
ses peintures, lui envoya un des plus grands seigneurs de sa cour pour
négocier cette affaire. Après avoir lu les lettres de créance, Michel-Ange
montra à ce personnage une Léda, puis Castor et Pollux sortant d'un
œuf. Trop ignorant pour comprendre le mérite contenu dans des ouvrages
de petites dimensions, mais assez sot pour s’estimer un être important à
qui l’on ne pouvait confier qu’une mission considérable, ce seigneur ne
jeta sur ces tableaux qu’un regard rapide et dédaigneux. « Oh! dit-il,
c’est bien peu de chose. — Quel est donc votre métier? demanda Michel-
Ange.— Je suis marchand, » répondit avec ironie le gentilhomme pensant
à la fois railler l’artiste qui n’avait pas reconnu sa qualité et persifler les
Florentins adonnés au commerce. Michel-Ange, qui l’avait parfaitement
reconnu et compris, répliqua vivement : « Eh bien, messer marchand,
vous ferez cette fois un bien mauvais marché pour votre maître. Sortez
d’ici! » Et Michel-Ange fit don à son ami et élève Antonio, qui avait
deux sœurs à marier, de ces deux tableaux et d’un grand nombre de
dessins dont ce dernier retira un prix élevé en les vendant en France.
Lorsqu’il s’agissait de défendre ses projets et de triompher des obsta-
cles que ses ennemis lui suscitaient, Michel-Ange parlait avec une fermeté
et une fierté que ne faisaient plier ni l’élévation ni le nombre des person-
nages qu’il avait à combattre. Vers la fm de 1550, les partisans de l’ar-
chitecte San Gallo résolurent de le perdre auprès de Jules III, et dans ce
but ils engagèrent le pape à convoquer en assemblée les fabriciens et les
administrateurs de Saint-Pierre, qui devaient prouver clairement à Sa
Sainteté que Buonarrotti avait gâté cet édifice. Le conseil réuni, ces bonnes
gens l’accusèrent en effet de n’avoir percé que trois fenêtres pour trois
chapelles, ce qui, par suite, priverait complètement de lumière l’intérieur
de l’église. Jules III fit part à Michel-Ange des plaintes portées contre
lui. « Je voudrais bien voir et entendre ces messieurs, répondit l’artiste.
— Nous voici, reprit le cardinal Marcello en s’avançant. — Eh bien,
monsignore, au-dessus de ces trois fenêtres il doit y avoir trois ouver-
tures dans la voûte qui sera construite en travertin. — Vous ne nous
l’aviez jamais dit ! s’écria le cardinal. — Je ne suis et n’entends pas être