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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 9.1874

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Nr. 6
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La Fizelier̀e, Albert de: Antoine Chintreuil
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https://doi.org/10.11588/diglit.21838#0603

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ANTOINE CH INTREUIL.

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bien que mal en lui laissant ses soirées pour son étude favorite. C’est là, dans cette
librairie du quai des Augustins, qu’il rencontra Champfleury. Celui-ci le présenta dans
un cénacle de jeunes artistes et de poëtes en expectative où l’exemple et les conversa-
tions de toutes les heures le déterminèrent à braver la misère pour atteindre un jour
aux succès de la peinture. Et, en effet, la misère devint dès lors sa fatale et inévitable
compagne.

Chintreuil, faible de complexion, toussant toujours, était laborieux, mélancolique
et contemplatif. Dès cette époque, il avait déjà pour objectif de prédilection les modi-
fications fugitives que subit un paysage sous l’influence d’un phénomène atmosphé-
rique. La grande allée de peupliers de Pont-de-Vaux bruissait toujours dans son
souvenir. Mais par malheur sa science était médiocre encore; son acquit très-insuffi-
sant et sa main lourde et maladroite. Quoiqu’il indiquât cependant d’une manière un
peu plus que sommaire l’effet qui le préoccupait, il n’arrivait pas à le rendre très-
intelligiblement. Alors, de taciturne qu’il était presque toujours, il devenait prolixe et
éloquent pour me faire comprendre, par la parole et à grands renforts de gestes, les
effets magiques qu’il avait observés dans la campagne ou parfois seulement sur le
boulevard Montparnasse, et il terminait infailliblement ses descriptions par ces mots :
« Oh! quand je saurai! » Il me disait souvent aussi : « Ah! si j’avais seulement
150 francs, de quoi vivre deux mois, jour et nuit, en pleine campagne ! Dans une excur-
sion de quelques heures hors barrières, on ne peut voir que des commencements ou
des fins d’effets. Il faudrait vivre dans la nature. »

J’ai retrouvé dernièrement à la vitrine d’un brocanteur une de ces tentatives de
Chintreuil, à la perpétration de laquelle j’avais assisté : un effet de pluie partielle
dans un ciel ensoleillé. J’ai retrouvé ce tableau avec un vif intérêt et un vrai plaisir,
bien qu’il fût lourd de touche et sourd de ton. J’ai revu d’un seul coup, à l’aspect de
cette toile, toute la misérable mansarde de la rue du Cherche-Midi ; la forêt de che-
minées et de tuyaux de tôle qui s’étendait à perte de vue de sa fenêtre au boulevard
de Sèvres, — son unique Fontainebleau à ce déshérité, — enfin Chintreuil en per-
sonne dans sa fidèle vareuse rouge, ramassé sur lui-même au sommet d’un haut
tabouret, pour se mettre au niveau du jour, et, courbé sur sa toile, s’efforçant de mater
l’effet rétif.

Après cinq ou six ans d’étude, de luttes, de souffrance, parvenant à peine à
vendre 25 ou 30 francs des toiles qui lui avaient coûté de longues semaines de travail,
il était à bout de forces et de résolution, A ce moment, il eut la bonne fortune de
mettre la main sur un véritable et dévoué protecteur, presque un second père : le véné-
rable Béranger devint son refuge et son appui. Il prôna les tableaux de son jeune
ami ; trouva pour cette peinture jeune, honnête et sincère des admirateurs complai-
sants; mieux encore, des acheteurs, et Chintreuil put enfin réaliser ses beaux rêves
de campagne.

C’est alors (1851) qu’il alla planter son chevalet de paysagiste dans la riante
vallée de la Bièvre, à Igny. Mais il faillit payer de sa vie les inspirations charmantes
qu’il lui dut.

Chintreuil, accroupi dès l’aurore dans les herbes humides et jusqu’aux dernières
lueurs du jour, peu chaussé, mal vêtu, passant des rigueurs d’un soleil ardent aux
grelottements d’un crépuscule imbibé de rosée, affrontant sans précaution pluie et
vent, neige et frimas pour s’approprier quelques impressions de plus, avait vu se
développer soudain les symptômes de l’horrible pleurésie, avant-coureur lugubre des
 
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