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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 9.1874

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Nr. 6
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La Fizelier̀e, Albert de: Antoine Chintreuil
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https://doi.org/10.11588/diglit.21838#0604

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580

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

phthisies caractérisées. Jean Desbrosses, avec qui il vivait depuis 1849, l’entoura de
soins incessants, de précautions touchantes. Après six mois d’angoisses, il parvint à le
sauver. Revenu à un état qui était presque pour lui la santé, Chintreuil alla s’établir à
la Tournelle-Septeuil, auprès de Mantes.

C’est là que notre ami passa les seize plus douces années de sa vie à perfectionner
son talent. 11 força sa main à traduire exactement sa pensée. En même temps sa
palette s’enrichit; elle acquit des harmonies plus fraîches, des tonalités nouvelles et
puissantes et d’un attrait auquel il aurait été difficile de se soustraire.

En 1 870, Chintreuil fut décoré à la suite du Salon et ses concitoyens, fiers
de sa gloire, exposèrent ses œuvres à la plus belle place de leur Musée. Mieux
que cela : le pauvre petit maître de dessin, toléré par charité au collège de Pont-
de-Vaux, occupe aujourd’hui un cadre armorié dans le Salon d’honneur de la mairie.

Dans la nuit du 9 janvier 1873, Chintreuil fut pris tout à coup d’un affreux
vomissement de sang. Un remède héroïque appliqué en toute hâte le tira en moins
d’un mois de cette crise, la plus terrible, la plus cruellement significative qu’il eût
encore subie.

A peine remis, il voulut faire un tableau pour le Salon. Il était convaincu qu’en
travaillant il s’imposait à la vie et trompait la mort. Chaque matin, grelottant la
fièvre, trébuchant au bras de son fidèle compagnon, il allait péniblement de son lit
à son chevalet. Un mois après, il avait accompli cette œuvre capitale qu’on appelle
Pluie et Soleil.

Le tableau fut fini, exposé, acclamé; mais l’artiste était terrassé.

Le 10 août 1873, Chintreuil rendit sa belle âme, son âme de poëte, son âme d’en-
fant dont la pureté — ses amis le savent — n’avait jamais été souillée par une mau-
vaise pensée, malgré les étreintes de la misère, les luttes si longtemps vaines et les
injustices que sa candeur aurait dû désarmer.

Chintreuil comptera parmi les paysagistes éminents de ce temps; mais ce qui
ressort le plus éloquemment de l’ensemble de ses œuvres, ce qui doit faire de sa vie
un exemple salutaire pour les jeunes artistes de l’avenir, c’est qu’il fut sur le champ
de bataille des arts le héros de la volonté.

Il sut acheter au prix de vingt-cinq années d’un travail opiniâtre, sans se laisser
détourner un instant de son but par le désir, pourtant bien légitime, de jouir en paix
de ses fruits, les dix ans de succès et de bien-être relatif qui vinrent enfin couronner
son long martyre.

Albert de la Fizelière.
 
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