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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 1)

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Ronchaud, Louis de: La Victoire de Samothrace
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https://doi.org/10.11588/diglit.18607#0047

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LA VICTOIRE DE SAMOTHRACE. 37

garantir le monument des écoulements de la colline à laquelle elle est adossée. M. Champoiseau
signale le défaut de parallélisme qui se fait remarquer entre ces murs et la plate-forme sur
laquelle la galère était placée. Il pense que cette anomalie, qui frappe à première vue le
spectateur, doit avoir une cause religieuse. L'édifice aurait été orienté nord et sud pour obéir
à quelque tradition sacrée, tandis que le piédestal et la statue étaient tournés de façon à faire
face au cours de la vallée allant vers le nord-est. Cette disposition permettait de voir la statue
de la mer. C'était un moyen ingénieux de concilier l'effet pittoresque avec les prescriptions du
rituel.

On s'étonne aujourd'hui du dédain témoigné pour la Victoire par M. G. Deville, le savant
explorateur français des ruines de Samothrace, mort depuis d'une maladie dont il avait rapporté
le germe de son expédition dans l'Archipel. Les artistes et même les archéologues ont depuis
longtemps protesté contre l'opinion qui n'avait voulu voir dans la Victoire qu'une médiocre figure
décorative. M. Frœhner réclamait contre elle dans le catalogue de 1870. Suivant lui : « Cette
admirable sculpture se rapproche tout à fait du grand style de Phidias » Il va sans dire que
M. Champoiseau ne s'est jamais laissé intimider dans son admiration par les critiques des
détracteurs de la statue. Il a eu raison de croire à la beauté de sa découverte et du don qu'il
nous avait fait. La Victoire de Samothrace est aujourd'hui célèbre; en Allemagne, où l'on s'occupe
beaucoup d'elle, de même qu'en France, où elle est une des perles de notre musée, on la regarde
comme un des chefs-d'œuvre de la sculpture antique.

Il manque à cette belle statue la tête, les bras, les pieds, partie du buste, de la draperie et
du plumage des ailes; le torse seul a été recomposé, au Louvre, de cent dix-huit morceaux.
Cependant, malgré sa mutilation, l'effet qu'elle produit est extraordinaire. Son attitude, son
mouvement, les plis de sa tunique fouettée par le vent et qui se colle à son corps dont elle
dessine une partie des formes, sont d'une hardiesse frappante. On peut juger par ce qui reste
que l'artiste avait dû la représenter les ailes déployées, s'abattant du haut du ciel sur la galère
qu'on lui avait donnée pour piédestal. La fierté du triomphe respire dans ce tronçon de marbre
qu'un art puissant avait doté d'une vie supérieure; le vent qui l'apporta frémit encore autour
d'elle; il enfle son chiton comme la voile d'un navire et semble la porter sur les mers où elle
vient régner.

Portait-elle un trophée? On l'a cru. Mais elle dut n'avoir besoin d'aucun attribut pour se
faire reconnaître. Son nom est écrit dans le mouvement superbe de son corps et dans les plis de
la draperie qui l'enveloppe. C'est la Nikè, le grand démon qui élève et détruit les empires.
A l'époque où un sculpteur inspiré la fit jaillir de ses mains, quand elle descendit, vibrante, sur
son piédestal, comme un hymne de triomphe en marbre de Paros, le monde était encore plein
du souvenir des guerres d'Alexandre le Grand; ses successeurs jouaient, gagnaient et perdaient
des trônes dans les batailles; la Victoire planait, déesse et reine, sur la terre et sur la mer.

Quelle raison particulière avait pu faire élever cette statue à Samothrace? Je n'en saurais
rien dire. C'est une Victoire marine, et les Grands Dieux de Samothrace, qui régnaient sur une
ile battue des vents, avaient, entre leurs pouvoirs, celui de calmer les flots. On les assimilait aux
Dioscures, et on les invoquait, comme eux, dans les tempêtes. Lors de l'expédition des Argonautes,
une tempête ayant assailli le navire, Orphée, seul initié aux mystères, fit des vœux aux Dieux de
Samothrace, et la mer s'apaisa.

L. DE RONCHAUD.

1. Notice de la sculpture antique du musée du Louvre, par W. Frœhner. Paris, iHjo.
 
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