Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 9.1883 (Teil 2)

DOI Artikel:
Audebrand, Philibert: Scènes de la vie d'artiste: un musée dans une écurie
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19295#0032

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
UN MUSÉE DANS UNE ÉCURIE.

23

Ah ! ceux que je nomme ne seraient pas les seuls revenants illustres que l'hôtel Colbert pût
retrouver dans ses souvenirs ou dans ses rêves ! Le pauvre Hégésippe Moreau a passé par là
et sous trois visages divers, comme ouvrier compositeur d'imprimerie, comme correcteur et comme
poète, faisant tomber de sa tête et de son cœur les jolis contes de la Souris blanche et du Guy
de Chêne. Mais sachez-le, il y a eu aussi,, dans cette même maison, un journal de combat, qui
a été comme l'avant-garde de la Révolution de Février. Pendant quatre années, on y a donc
établi la Réforme avec Ledru-Rollin comme inspirateur, Ferdinand Flocon pour rédacteur en
chef, Charles de Ribeyrolles pour collaborateur et Marc Caussidière pour commis voyageur. La
proclamation de la seconde République est sortie de ces escaliers en colimaçon. Puisque nous
parlons de ce Pandcemonium révolutionnaire, n'oublions pas Godefroy Cavaignac, un tribun, le
frère du général, avec la tête duquel Rude a fait un chef-d'œuvre qu'on voit au cimetière Mont-
martre; n'omettons pas non plus un Breton terrible, Lamennais, le Savonarole de ce siècle, qui
venait écrire par là de la même main qui a jeté sur Te papier les Paroles d'un Croyant.

Or, dans ces temps reculés, sous le règne de Louis-Philippe, un fait incroyable et presque
féerique venait de se produire dans cet hôtel. A la place où se trouvent aujourd'hui les presses
était une ancienne écurie de Colbert, sordide, noire et empuantie. A l'époque où la demeure du
ministre avait été transformée en arsenal de journaux, l'écurie devint un magasin de papiers.
Dans le coin le plus obscur gisaient depuis un temps immémorial de vieilles toiles roulées qu'on
soupçonnait être des tableaux arrachés de leurs cadres, mais auxquelles on ne prêtait aucune
attention. Certes la paille était plus estimée et l'avoine pour les chevaux encore davantage.
Seulement comme quelques-unes de ces toiles étaient d'une fort grande dimension, un garde-
magasin, homme d'ordre, s'avisa de s'en servir un jour pour protéger le papier, au moment de
sa sortie, contre le caprice des saisons. En conséquence, dans les jours humides, la toile était
déroulée. On rétendait sur les rames accumulées dans la charrette du trempeur et, comme le
tableau présentait à l'air le côté de la peinture, la pluie du ciel glissait admirablement sur le
vernis conservateur. Vous eussiez dit d'une nappe de caoutchouc ou de cuir bouilli. Par Apollon
et par toutes les Muses! savez-vous ce que c'était que cette enveloppe posée ainsi pour empêcher
le papier de se mouiller ? Toute une série de chefs-d'œuvre de l'École hollandaise, et des plus
beaux, et des plus admirés !

• 11 y avait six mois à peu près que durait ce manège du garde-magasin et, dans ce grand
Paris où, de tout temps, il a existé une armée d'amateurs délicats et vigilants, nul ne soupçonnait
les merveilles que contenait cette écurie. Bien mieux, ces toiles, déshonorées et salies par cet
emploi, étaient de plus en plus dédaignées. On ne pouvait voir en elles qu'une vile matière.
A l'user, quand le vernis avait perdu son épaisseur, quand cette couche d'essence commençait à
devenir perméable, la toile était mise au rebut et une autre, moins usée, était déroulée pour le
même office. Et l'homme de s'écrier : « Ces vieux balandras ! quand il n'y en a plus, il y en a
encore ! » Il voulait exprimer qu'on aurait toujours assez de ces antiques étoffes pour protéger
les rames de papier qu'on apportait à l'imprimerie.

Entre nous, il faut croire que Celui qui a tout créé trouva, à la fin, que c'était assez profa-
ner les conceptions du génie. Par un mouvement de sa volonté souveraine, il survint un incident
propre à faire voir combien il y avait de trésors cachés au fond de cette écurie. Notez qu'il se
trouvait en ce moment dans l'hôtel un homme de bonne volonté, un esprit d'élite, hier un simple
ouvrier, aujourd'hui un gérant du National, dont il avait commencé par être le metteur en
pages. Ayant occasion de voir chaque jour de près ce beau jeune homme, fier, appliqué, volon-
taire, studieux, Armand Carrel n'avait pas tardé à le distinguer. Il en avait donc tout à la
fois fait l'imprimeur en titre et le gérant de son journal. Après quoi, il lui avait dit, lui,
d'ordinaire si réservé : « Soyez aussi mon ami. » J'ai nommé M. Grégoire.

Eh bien, un matin, M. Grégoire, ce lieutenant du chevaleresque publiciste, prenait le soleil,
par hasard, à la porte du magasin de papiers ; c'était à l'heure même où l'on secouait la poussière
dont étaient recouvertes les vieilles toiles. Poussé par un de ces sentiments instinctifs qu'inspire
la Fortune dans ses rares moments de bonne humeur, il voulut voir ce que pouvait être au juste
 
Annotationen