56
L'ART.
En effet, tout s'enchaîne et se suit : les premiers matériaux, les premières industries propres
à chaque pays, à chaque nation, ont formé dès l'origine les premiers usages, les caractères
particuliers. Les Tziganes, dans leurs émigrations continues à travers toutes les contrées, sont
restés encore aujourd'hui le peuple métallurgiste par excellence.
Ainsi, dès l'âge de la pierre polie, telles armes, tels outils sont si minces, le tranchant de
telle hache est si fragile, le poli si intact, que non seulement l'usage pratique de ces objets est
impossible, mais qu'il faut, devant une production si luxueuse, chercher un rite symbolique, un
signe d'autorité ou toute autre raison spécieuse pour s'en expliquer la fabrication. Le goût pour
les formes belles, fines, allongées, qui se fait déjà sentir dans une grande partie des instruments
de l'âge de la pierre éclatée, se développe et s'exagère même à l'âge de la pierre polie, et dès la
première apparition du bronze, les épées, les couteaux, les haches, enfin tous les instruments de
guerre ont pris des courbes si élégantes, si raffinées, que les plus belles périodes de l'art antique
et de la Renaissance ne leur apportèrent aucun perfectionnement.
Le besoin de se parer semble aussi ancien que celui de se défendre ; la parure est le premier
souci de la femme. Au milieu des débris du mammouth et du grand ours des cavernes, on trouve
des coquilles ou des pierres, des dents de sanglier qui, polies et percées, forment les premiers
colliers, les premiers bijoux.
' Souvent les grains des colliers étaient composés de coquilles marines, telles que peignes,
dentalles, crochus ou de valves ; de coquilles percées naturellement ou faciles à percer. Toutefois,
comme dans les fouilles de M. Carro aux environs de Meaux, nous en trouvons en silex et en
serpentine taillés en olives ou plutôt régularisés par le polissage dans la forme naturelle du
caillou fluvial. Cette forme restera en usage jusqu'à nos jours. Plusieurs colliers possèdent trois
pendeloques particulières composées d'un petit triangle de bois, d'une plaque de schiste et d'un
caillou assez allongé.
Ces pendeloques mènent tout droit à l'origine des amulettes, dernier élément, avec les armes
et les parures, de tous les arts futurs : i° Les armes, les outils; l'utilité. 2° Les colliers, les
parures; le luxe. 3° Les amulettes, les symboles; la superstition, le culte.
Aussi, sans sortir de l'époque de la pierre polie, peu à peu nous trouvons établis tous les
principes, toutes les formes que l'art enrichira par la suite. Déjà les armes offensives et défensives
ont des formes perfectionnées ; les cailloux roulés dans les fleuves sont choisis pour composer les
colliers, et de leurs formes dériveront le cylindre babylonien, le cône percé, l'intaille grecque.
Dans la pendeloque de pierre percée se reconnaît la croix ansée de l'Égypte, le cœur, les
cornes, les amulettes modernes. Enfin les découvertes faites dans les cavernes du midi de la
France présentent des figurations, des dessins d'hommes et surtout d'animaux vraiment extra-
ordinaires. Bien que ces figurations, — comme le fait justement remarquer M. Perrot, — ne
firent point école, bien qu'elles n'eurent aucune suite, elles n'en méritaient pas moins, à notre
avis, une place dans son Histoire de l'art.
III
Il résulte de la préface de M. G. Perrot qu'il a surtout pour but de rechercher les origines
de l'art grec. C'est une thèse qu'il présente dès les premières pages et qui sera longuement
développée dans l'ouvrage. Nous attendrons avec impatience les volumes à venir, pour savoir si
nous devons véritablement adopter toutes les opinions de M. Perrot et de l'école archéologique
moderne à ce sujet. Peut-être aussi l'auteur court-il le risque de trop restreindre l'histoire de
l'art dans l'antiquité par ces déclarations : « Le peu que nous aurions à dire de l'art indien ne se
rattache donc pas à la question des origines orientales de Fart grec. » Et plus loin : « L'art
indien n'est qu'un épisode curieux, mais sans grande importance1. » Enfin : « Pour les origines
de l'art grec, nous n'avons nul besoin d'aller en Chine, ni même de franchir l'Indus et la vallée
i. Page lxv.
L'ART.
En effet, tout s'enchaîne et se suit : les premiers matériaux, les premières industries propres
à chaque pays, à chaque nation, ont formé dès l'origine les premiers usages, les caractères
particuliers. Les Tziganes, dans leurs émigrations continues à travers toutes les contrées, sont
restés encore aujourd'hui le peuple métallurgiste par excellence.
Ainsi, dès l'âge de la pierre polie, telles armes, tels outils sont si minces, le tranchant de
telle hache est si fragile, le poli si intact, que non seulement l'usage pratique de ces objets est
impossible, mais qu'il faut, devant une production si luxueuse, chercher un rite symbolique, un
signe d'autorité ou toute autre raison spécieuse pour s'en expliquer la fabrication. Le goût pour
les formes belles, fines, allongées, qui se fait déjà sentir dans une grande partie des instruments
de l'âge de la pierre éclatée, se développe et s'exagère même à l'âge de la pierre polie, et dès la
première apparition du bronze, les épées, les couteaux, les haches, enfin tous les instruments de
guerre ont pris des courbes si élégantes, si raffinées, que les plus belles périodes de l'art antique
et de la Renaissance ne leur apportèrent aucun perfectionnement.
Le besoin de se parer semble aussi ancien que celui de se défendre ; la parure est le premier
souci de la femme. Au milieu des débris du mammouth et du grand ours des cavernes, on trouve
des coquilles ou des pierres, des dents de sanglier qui, polies et percées, forment les premiers
colliers, les premiers bijoux.
' Souvent les grains des colliers étaient composés de coquilles marines, telles que peignes,
dentalles, crochus ou de valves ; de coquilles percées naturellement ou faciles à percer. Toutefois,
comme dans les fouilles de M. Carro aux environs de Meaux, nous en trouvons en silex et en
serpentine taillés en olives ou plutôt régularisés par le polissage dans la forme naturelle du
caillou fluvial. Cette forme restera en usage jusqu'à nos jours. Plusieurs colliers possèdent trois
pendeloques particulières composées d'un petit triangle de bois, d'une plaque de schiste et d'un
caillou assez allongé.
Ces pendeloques mènent tout droit à l'origine des amulettes, dernier élément, avec les armes
et les parures, de tous les arts futurs : i° Les armes, les outils; l'utilité. 2° Les colliers, les
parures; le luxe. 3° Les amulettes, les symboles; la superstition, le culte.
Aussi, sans sortir de l'époque de la pierre polie, peu à peu nous trouvons établis tous les
principes, toutes les formes que l'art enrichira par la suite. Déjà les armes offensives et défensives
ont des formes perfectionnées ; les cailloux roulés dans les fleuves sont choisis pour composer les
colliers, et de leurs formes dériveront le cylindre babylonien, le cône percé, l'intaille grecque.
Dans la pendeloque de pierre percée se reconnaît la croix ansée de l'Égypte, le cœur, les
cornes, les amulettes modernes. Enfin les découvertes faites dans les cavernes du midi de la
France présentent des figurations, des dessins d'hommes et surtout d'animaux vraiment extra-
ordinaires. Bien que ces figurations, — comme le fait justement remarquer M. Perrot, — ne
firent point école, bien qu'elles n'eurent aucune suite, elles n'en méritaient pas moins, à notre
avis, une place dans son Histoire de l'art.
III
Il résulte de la préface de M. G. Perrot qu'il a surtout pour but de rechercher les origines
de l'art grec. C'est une thèse qu'il présente dès les premières pages et qui sera longuement
développée dans l'ouvrage. Nous attendrons avec impatience les volumes à venir, pour savoir si
nous devons véritablement adopter toutes les opinions de M. Perrot et de l'école archéologique
moderne à ce sujet. Peut-être aussi l'auteur court-il le risque de trop restreindre l'histoire de
l'art dans l'antiquité par ces déclarations : « Le peu que nous aurions à dire de l'art indien ne se
rattache donc pas à la question des origines orientales de Fart grec. » Et plus loin : « L'art
indien n'est qu'un épisode curieux, mais sans grande importance1. » Enfin : « Pour les origines
de l'art grec, nous n'avons nul besoin d'aller en Chine, ni même de franchir l'Indus et la vallée
i. Page lxv.