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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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Opéra-Comique : Phryné. ■—■ Reprises du Déserteur
et des Deux Avares.

Phryné ! Quel attrayant spectacle le nom de la courti-
sane grecque suffit à évoquer devant nos yeux et quel plai-
sant tableau à mettre en scène sur un théâtre extraordi-
nairement libre, que celui de l'Aréopage ébloui, fasciné,
enthousiasmé par la splendide beauté de la maîtresse de
Praxitèle ! Mais que nous sommes loin, bon Dieu, de trou-
ver à l'Opéra-Comique, non pas un épisode qu'il aurait
été de toute impossibilité de transporter sur le théâtre;
mais même une indication quelconque de ce que fut pro-
prement Phryné! Ici, Phryné n'est qu'un nom quelconque
et sous ce nom nous voyons simplement une personne
grassouillette et rebondie — autrement dit M1Ic Sibyl San-
derson— dont toute une ville célèbre la beauté radieuse,
mais qui a beaucoup de tenue et de retenue, qui aime en
tout bien tout honneur un jeune homme auquel un vieil
oncle refuse de rendre ses comptes de tutelle, et qui, en
marivaudant un peu avec ce vieillard austère, le fait tomber
à ses genoux: il est surpris par son neveu dans cette pos-
ture inquiétante et consent à restituer ' la fortune qu'il
détient indûment pour conserver auprès du peuple sa
grande réputation de vertu.

Cette intrigue est d'une banalité parfaite et l'archonte
Dicéphile, avare, austère et libidineux tout à la fois, n'est
qu'une sorte de Géronte, dont son neveu Valère ou Eraste,
en grec Nicias, se moque avec ses compagnons de plaisir
en barbouillant de lie un buste qu'on vient d'élever sur
une place publique d'Athènes pour honorer ce magistrat
vertueux et intègre ; ensuite une rusée commère, Marinette,
Martine ou Phryné, peu importe, coquette avec le vieux
barbon et l'amène à faire une imprudente déclaration
d'amour. Comme invention dramatique, c'est assez pauvre,
à ce que vous voyez, et comme évocation de la Grèce
antique, il n'y a guère qu'une scène ou deux qui nous
transportent, si peu que ce soit, à Athènes et dans le
monde païen. Les décors et les costumes semblent indi-
quer que cette farce innocente se déroule en Grèce et les
danseurs et joueurs de flûte qui cherchent à tirer Nicias
de sa rêverie — il est tout absorbé par son amour pour la
pure Phryné — sont vêtus d'une tunique flottante, avec
des roses dans les cheveux; mais la musique, pour
agréable qu'elle soit, n'a, le plus souvent, nul caractère
antique, et l'on a remarqué assez malicieusement que tel
tableau, d'ailleurs très joli par la musique et la mise en
scène, se déroule sur un motif de tarentelle... Après tout,
pourquoi les Grecs n'auraient-ils pas déjà chanté et dansé
sur ce rythme entraînant?

M. Saint-Saéns a voulu simplement s'amuser, se délas-

ser en écrivant de la musique sur le scénario rimé d'un
bout à l'autre en vers assez médiocres que lui offrait
M. Augé de Lassus ; mais je trouve, à franchement parler,
qu'un compositeur arrivé à ce degré de gloire aurait tout
aussi bien fait d'en rester sur le succès de Samson et
Dalila et de laisser quelque compositeur à court de poèmes
mettre en musique cette légère opérette. Car voilà le vrai
mot lâché ; c'est une opérette aussi bien par les person-
nages qui s'agitent devant nous que par la musique qu'ils
nous font entendre, et si je reconnais volontiers que cette
partition est écrite avec une légèreté de main qui ne sur-
prend nullement chez un artiste aussi habile à se plier à
toutes les besognes, il faut bien avouer qu'elle n'offre
aucun caractère personnel, que les gracieux accompagne-
ments qu'on y rencontre et les piquants effets qu'il tire de
certains instruments ne portent nullement son empreinte
et pourraient être aussi bien signés de n'importe quel
autre compositeur. Pour moi, Phryné, c'est Plutus ; seu-
lement Plutus était de M. Ch. Lecocq et n'a pas eu de suc-
cès parce qu'il est venu à un moment où l'auteur du Petit
Duc était en baisse, et Phryné attire beaucoup de monde
à l'Opéra-Comique parce qu'elle est de M. Saint-Saëns et
que ce compositeur est en pleine vogue aujourd'hui.

C'est une heureuse chance, en tout cas, pour le libret-
tiste et le musicien que leur pièce n'ait pas pu se jouer sur
le théâtre auquel ils la destinaient tout d'abord et que le
Théâtre-Lyrique de M. Léonce Détroyat ait sombré au
bout de quelques semaines. Certainement, sur un théâtre
moins bien organisé que l'Opéra-Comique, avec un
orchestre et des chœurs mal exercés, avec une mise en scène
médiocre et des chanteurs qui n'auraient eu ni le talent ni
surtout le renom de MIle Sanderson et de M. Fugère, il y a
gros à parier que Phryné aurait eu une carrière très courte,
peu fructueuse, et que M. Saint-Saëns n'aurait tiré de
cette œuvre légère ni profit pécuniaire ni accroissement de
renommée. On lui aurait même peut-être reproché de se
diminuer de la sorte et de se compromettre dans un genre
inférieur, dans des tentatives indignes de son beau et
sérieux talent... Mais le succès couvre tout, et comme on
va d'un extrême à l'autre, en notre beau pays, on s'extasie
à présent devant un ouvrage agréable, à tout prendre, mais
sans portée, auquel on n'aurait peut-être pas voulu prêter
l'oreille en d'autres circonstances et sur un théâtre incer-
tain du lendemain.

Soyons juste et ne tombons, si c'est possible, dans
aucune exagération. Voilà donc une partition qui n'ajou-
tera rien à la gloire du compositeur et disparaîtra dans un
temps plus ou moins long, parce qu'elle fut simplement
une amusette pour le musicien qui l'a écrite et qu'elle est
adroitement faite pour répondre aux préférences actuelles
 
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