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La caricature: revue morale, judiciaire, littéraire, artistique, fashionable et scénique — 1833 (Nr. 113-164)

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Numéro 162 (13 Décembre 1833)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26557#0298

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4* ANNÉE.

Numéro 162.

Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé, franco,
à M. Louis Desnoyers (Derville), Rédacteur en chef,
au Bureau de la Caricature, galerie Véro-Dodat. —
Tout ce qui a rapport aux dessins doit être adressé à
M. Ch. Philipov.

CAST1GAT 1UDENDO MOÏSES.

13 DÉCEMBRE 1833.‘

Les réclamations, abonnemens et envois d’argent doivent
être adressés , franco , à M. Ch. Philipon , directeur
du journal, au Bureau de la Caricature , galerie Véro-
Dodat, au-dessus du grand Magasin de Lithographies
d'Aubert.

POLITIQUE, MORALE, LITTÉRAIRE ET SCÉiVIQUE.

GÉNÉROSITÉ COMMISE PAR LE JUSTE-MILIEU

A PROPOS DE BOTTES.

Il est possible que le juste-milieu reçoive beaucoup de choses avec
un plaisir toujours nouveau ; mais à coup sûr les étrangers ne sont
pas du nombre. Il aime les étrangers, à peu près comme le héros
d’Anvers aime la colique, ou si vous le préférez, les tranchées.

Aussi son hospitalité est-elle d’un genre fort original. Venez-vous
lui rendre visite ? le juste-milieu vous fait traquer, empi'isonner,
condamner, et reconduire à la frontière, en compagnie de gendar-
mes, pour vous distraire, sans doute.

Partez-vous, au contraire, de votre plein gré, oh ! ma foi, c’est
alors qu’il y met de la complaisance, qu il vous accab’e de politesse,
qu’il vous comble dejgénérosités, et de paires de souliers. Dans le ra-
vissement que lui cause votre départ, il vous met le pain à la main et
le soulier au pied. C’est fort toucuant. —C’est ce qu’il vient de faire
à l’égard des ouvriers allemands qui ont demandé à quitter Paris et
la France, et à qui il a fait distribuer galamment des souliers, « at-
tendu, ajoute la France nouvelle, qu'ils n’en avaient pas. » Il eût été
bien plus original, selon nous, qu’il leuren eûtfaitdistribuer,attendu
qu’ils en auraient eu. Quoi qu’il en soit, le Journal des Ji das était
profondément ému lui-même, en racontant ce beau trait, et il l’offrait
a l’admiration de l’univers pour la consolation des cœurs sensibles.

Oui, le juste milieu, dans sa libéralité grande, a donné des sou-
liers à de pauvres diables qu’il chasse impitoyablement vers nos
frontières*, c’est magnifique, et pas cher surtout.

Au surplus, il n’y a rien de si étonnant dans cette belle œuvre ; elle
rentre tout-à-fait dans les principes particuliers et bien connus avec
lesquels le juste-milieu exerce l’hospitalité en France. Comme je vous
l'ai dit, le juste-milieu accueille fort mal les hôtes qui lui arrivent;
souvent même il ne les accueille pas du tout; il fait très mauvaise
mine à ceux qui lui demeurent ; mais en revanche il est plein d’at-
tentions délicates pour ceux qui s’en vont.

' Voyez, en effet, comme le juste-milieu se montre bienfaisant pour
favoriser le départ des Polonais réfugiés en Suisse, et dont le voisi-
nage pourrait, tôt ou tard, lui redonner de l’embarras. Le juste-
milieu, malgré leur noire ingratitude, comme dit M. de Rumigny,
offre de payer leur voyage à travers la France, et même jusqu’en An-
gleterre, jusqu’en Amérique, n’importe où. C’est ainsi que lorsque
Lelewel et Chodzko et autres ingrats, nous ont quittés, on leur a of-
fert des frais de route; ei, s’ils ont repoussé les avantages conforta-
bles attachés à un passeport de mendicité, c’est que vraiment ils y
ont mis une fierté tout-à-fait déplacée.

En un mot, le juste-milieu connaît et pratique la maxime :

« Étends un pont d’or sous les pas de ton ennemi. » Il l’applique à
son usage, avec de légères variations, comme Bazile. Le juste-milieu
a des points de ressemblance effrayans avec Bazile,

Notez bien que le pont d’or ne saurait s’entendre à la lettre, dans
la position du juste-milieu; il a trop d’ennemis pour cela; il n’y
pourrait suffire de sa fortune particulière et publique. Le juste-milieu
se voit donc réduit à étendre sous les pas de ses ennemis, des passe-
ports, des étapes et des chaussures. C’est un pont d'or économique.

Au surplus, ce n’est pas seulement aux étrangers qu’il l’offre. Les
indigènes qui peuvent avoir le malheur de lui déplaire, n’ont qu’à
parler, le juste-milieu se fera un vrai plaisir de mettre à leur dispo-
sition les mêmes moyens de le débarrasser de leur présence.

Et, par exemple, après les fatales journées de juin, d’officieux en-
tremetteurs, tout bouillans d’effroi et d’amitié, s’en vinrent trouver,
tout en nage, les écrivains de l’opposition, et voulurent les sous-
traire, quasi m lgré eux, à la guizotine de l’état de piège. Les plus
épouvantables calamités, des mandats d’arrêts, des ordonnances de
proscription, des condamnations à mort, que sais-je? menaçaient la
tête de ces derniers, assuraient les premiers ; ils les avaient vues
toutes rédigées dans les ministères; il n’y avait pas uninstant à per-
dre , il fallait fuir ; on avait à leur disposition des passeports de toute
sorte; on avait....

On avait, c’est le vrai mot, on avait le projet de désorganiser la
presse. Voilà ce qu’on avait. On ne réussit pas. Les écrivains de
l’opposition restèrent à leur poste, inébranlables aux offres de service,
comme iis l’étaient aux menaces.

Ce fût pourtant dommage! Il eût été si doux de se voir débar-
rassé de leur présence ; il eût été si amusant de crier ensuite à la
défection et de faire de bonnes plaisanteries sur ceux qu’on eût poussés
à fuir.

Toutefois, malgré le tour sanglant que nous lui avons joue, en
restant immobiles devant son état de piège, je suis bien sûr^que le
juste-milieu ne nous garde pas rancune, et qu il tient encore a notre
disposition tous les passe ports que nous voudrons. Il y ajouterait
même tout ce qui pourrait contribuer à la facilite, a la rapidité et
aux agrémens de la route. Les tailleurs allemands ont reçu des sou-
liers; eh bien! je gage que M. Carrel, s’il lui prenait fantaisie de
quitter la France, recevrait des bottes à l’écuyère. Que dis-je? je
gage qu’on irait jusqu’au cabriolet, jnsquà la chaise de poste, jus-
qu’au chemin de fer, peut-etre, attendu qu’il n’en aurait pas un,
et que le chemin de fer accélère singulièrement, d’ailleurs, la ma-
nière de voyager.

Je vous le dis, le juste-milieu a une bien belle àme. Quand il se
lance dans l’article des générosités, sa philantropie ne connaît plus
de limite, si ce n’est les limites du pays.
 
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