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LA CARICATURE.
tichambres desTuileries, comme la taille des conscrits, dans les salles
de révision. Envoyant flotter une queue imperceptible, ou dira :
« C’est M. Thiei s. » Une queue un peu plus prolongée indiquera le
prince Rosolin. Enfin, ce qu’il y a de plus incommensurable, en fait
de queue, révélera la royauté.
On supputera, en un mot, le rang des hôtes de la cour à la lon-
gueur de la queue de leur manteau, de même que l’on compte l’àge
des cerfs d’après nombre des noeuds de leur bois.
Il est possible que le manteau serve d’égide à la royauté citoyenne
auprès des cours de l’Europe, et que l’estime des colosses Voisins
pour notre ordre de Chose soit proportionnée au développe-
mentde sa queue. Eu revanche, je crains bien qu’il lui fasseperare
—en général, le suffrage du petit résidu de béotiens que sa vieille re-
dingote avait fanatisés; —et en particulier, le suffrage de M. André
du Haut-Rhin, qui s’était rallié à la vieille redingote de la royauté
nouvelle, bien plutôt qu’à cette royauté elle-même.
A...KOCH..
|Jlmtcl)cci.
N" 33a.
M. le général Gob’eau fournit à domicile, à la cour chirurgienne,
le divertissement d’une parade exécutée par une douzaine de petits
automates soigneusement façonnés en gardes nationaux; laquelle
petite revue lui a été demandée par la liste civile, en dédomma-
gement de la grande revue qui n’a pas pu avoir lieu, et à l’effet de
distraire gratuitement le colossillon de Belgique.
La cour chirurgienne contemple ce ravissant coup d’œil avec assez
d’indifférence : c’est pour elle pâté d’anguilles, Mais le'colossillon
belge parait abruti d admiration. M. Gob’eau, flatté de cet auguste
suffrage, tire les ficelles avec un enthousiasme toujours croissant ; il
semble vouloir en donner au colosse pour son argent. Or, le colosse
a droit d’exiger beaucoup : car on prévoit bien que son million ne
lui sera point payé autrement qu’en cette monnaie de singe.
N° 333.
M. DÉ RIGNY.
Celte planche est un appendice, une sorte de post-scriptum à la
curieuse galerie des improstitués, par AI. Daumier. AI. de Rigny n’a-
vait point trouvé place dans cette série; c’était une omission que ce
jeune artiste ne pouvait manquer de réparer. Nul n’avait plus de
droits à l’exposition caricaturale que le marin si bien renommé à
Brest, l’auteur de certain mémoire secret relatif à la livraison de
Napoléon à la flotte anglaise, en 1813, qui eut le malheur de voir
son nom accouplé, dans les ordonnances du 8 août i8ag, avec le
nom de la Bourdonnayé, et le malheur plus grand encore de ne re-
fuser le portefeuille que sur les prudentes menaces de l’abbé Louis,
son beau-père.
AI. de Rigny passe pour un grand marin aux yeux des abonnés du
Constitutionnel, et les marins l’estiment, en fait de marine, à la hau-
teur des mêmes abonnés du Constitutionnel. Si cette assertion semble
à quelques-uns une hérésie, à cause de son titre assez fortuitement
acquis dans le combat de Navarin, grâce à la conduite de nos braves
marins, nous les prions d’aller aux informations dans nos ports de
mer, et notamment à Brest.
MALHEURS, TRIBULATIONS, INFORTUNES ET DISGRACES
Du bttnitr obottut au Constitutionnel.
Il y avait une fois un abonné au Constitutionnel.
Ceci n’est point un conte de ma mère l’Oie ; l’abonné au Constitu-
tionnel a existé; il existe même encore, quoique l’espèce en devienne
plus rare de jour en jour ; vous pouvez le voir, sans microscope, à
l’oeil nu, marchant, buvant, mangeant, dormant comme une per-
sonne naturelle ; dormant même mieux qu’une personne naturelle.
En un mot, il vit, il a des dents, et quatre philippes d’or par an , à
jeter par les fenêtres.
1268-
Regardez-le, Alessieurs, tandis que la vue n’en coûte rien : car in-
cessamment vous n’êtes pas sûrs de jouir du même avantage. L’abonné
du Constitutionnel a déjà l’honneur d’attiier les regards des natura-
listes français et étrangers ; ils sont capables de l’empailler tout vif,
de le placer dans un bocal d’esprit-de-vin , sur un rayon du cabinet
d’histoire naturelle dont il est appelé tôt ou lard à faire les délices et
l’ornement. C’est en effet la seule manière de conserver aux généra-
tions futures quelques vestiges de cette race extraordinaire qui me-
nace de disparaître du globe, dans l’effroyable cataclysme du désabon-
nement universel.
O fatal progrès ! maudites lumières qui ont obscurci pour jamais
tant de gloires brillantes, les romans Yatout, les pamphlets Bugeaud,
les royautés citoyennes, les chandelles-Ganneron, et l’abonnement au
Constitutionnel !
Pardonnez-moi cette courte et indispensable digression. Je tenais
essentiellement à vous prouver que l’abonné au Constitutionnel est un
être positif, et non point un être de raison ; bien au contraire.
Je reviens donc à mon sujet.
Il était une fois un abonné au Constitutionnel, veuf, sans enfans,
rentier et propriétaire ; abonné-né, abonné de fondation, abonné
depuis l’origine ; ce qui le mettait alors à la tête de dix quintaux de
papier brouillard à envelopper du poivre.
Tous les matins, après déjeuner, l’abonné dépliait son journal, en-
fonçait son bonnet de coton sur ses oreilles, et commençait sa lecture
au hasard, par la tête, par le milieu, par la fin, n'importe ! car le
Constitutionnel offre cela de vraiment avantageux, qu’on peut le com-
mencer par où l’on veut, sans que l’on éprouve jamais la plus légère
perturbation.
Grâce à cette agréable occupation , l’abonné ne se réveillait que
pour diner, à quatre heures.
L’abonné n’écoutait, ne croyait que le Constitutionnel; il ne voulait
recevoir aucune idée que par l’entremise du Constitutionnel, c’est-à-
dire qu’il n’avait pas d’idées du tout ; c’était sa pensée immuable.
Chacun la sienne, celle-ci en vaut bien une autre.
Vous concevez que, guidé par un pareil oracle, l’abonné a dû faire
bien des sottises effectivement.
Et d’abord, dévoré de l’irrésistible désir de se vouer au culte et à
l’apprivoisement des araignées mélomanes, l’abonné se mit, d’après
la recette du Constitutionnel, à donner du cor-de-chasse dans sa cham-
bre, ce qui lui attira de vives querelles avec tous ses voisins , et un
congé en forme de la part de son propriétaire; c’était d’autant plus
dommage que la chambre à coucher commençait à se tapisser des
plus belles toiles d’araignée qu’on eût jamais vues.
Pour se consoler, l’abonné se livra à la recherche de l’horizon
chargé de nuages, et eut la satisfaction de le rencontrer un jour au
milieu de la plaine Saint-Denis. Par malheur, tandis qu’absorbé
dans cette nébuleuse contemplation, il cherchait à lire nos destins au
front des nues, l’orage éclata sur le sien ; le vent, la pluie, la grêle,
les éclairs et la foudre se déchaînèrent à l’envi contre lui.
Echappé par miracle aux fureurs de l’atmosphère , il rentra chez
lui , aveuglé, meurtri, mouillé comme un canard et avec une
fièvre de cheval qui le guérit à jamais de la passion des observations
politico-astrologiques.
.Alors, reprenant des goûts plus paisibles, il se jeta à corps perdu
dans l’éducation des puces travailleuses, dont les merveilles venaient
de lui être révélées sous bande, par son journal. Par malheur , une
belle nuit ses élèves commirent une irruption sur le territoire de Sa
personne, et le dévorèrent aux trois quarts.
LA CARICATURE.
tichambres desTuileries, comme la taille des conscrits, dans les salles
de révision. Envoyant flotter une queue imperceptible, ou dira :
« C’est M. Thiei s. » Une queue un peu plus prolongée indiquera le
prince Rosolin. Enfin, ce qu’il y a de plus incommensurable, en fait
de queue, révélera la royauté.
On supputera, en un mot, le rang des hôtes de la cour à la lon-
gueur de la queue de leur manteau, de même que l’on compte l’àge
des cerfs d’après nombre des noeuds de leur bois.
Il est possible que le manteau serve d’égide à la royauté citoyenne
auprès des cours de l’Europe, et que l’estime des colosses Voisins
pour notre ordre de Chose soit proportionnée au développe-
mentde sa queue. Eu revanche, je crains bien qu’il lui fasseperare
—en général, le suffrage du petit résidu de béotiens que sa vieille re-
dingote avait fanatisés; —et en particulier, le suffrage de M. André
du Haut-Rhin, qui s’était rallié à la vieille redingote de la royauté
nouvelle, bien plutôt qu’à cette royauté elle-même.
A...KOCH..
|Jlmtcl)cci.
N" 33a.
M. le général Gob’eau fournit à domicile, à la cour chirurgienne,
le divertissement d’une parade exécutée par une douzaine de petits
automates soigneusement façonnés en gardes nationaux; laquelle
petite revue lui a été demandée par la liste civile, en dédomma-
gement de la grande revue qui n’a pas pu avoir lieu, et à l’effet de
distraire gratuitement le colossillon de Belgique.
La cour chirurgienne contemple ce ravissant coup d’œil avec assez
d’indifférence : c’est pour elle pâté d’anguilles, Mais le'colossillon
belge parait abruti d admiration. M. Gob’eau, flatté de cet auguste
suffrage, tire les ficelles avec un enthousiasme toujours croissant ; il
semble vouloir en donner au colosse pour son argent. Or, le colosse
a droit d’exiger beaucoup : car on prévoit bien que son million ne
lui sera point payé autrement qu’en cette monnaie de singe.
N° 333.
M. DÉ RIGNY.
Celte planche est un appendice, une sorte de post-scriptum à la
curieuse galerie des improstitués, par AI. Daumier. AI. de Rigny n’a-
vait point trouvé place dans cette série; c’était une omission que ce
jeune artiste ne pouvait manquer de réparer. Nul n’avait plus de
droits à l’exposition caricaturale que le marin si bien renommé à
Brest, l’auteur de certain mémoire secret relatif à la livraison de
Napoléon à la flotte anglaise, en 1813, qui eut le malheur de voir
son nom accouplé, dans les ordonnances du 8 août i8ag, avec le
nom de la Bourdonnayé, et le malheur plus grand encore de ne re-
fuser le portefeuille que sur les prudentes menaces de l’abbé Louis,
son beau-père.
AI. de Rigny passe pour un grand marin aux yeux des abonnés du
Constitutionnel, et les marins l’estiment, en fait de marine, à la hau-
teur des mêmes abonnés du Constitutionnel. Si cette assertion semble
à quelques-uns une hérésie, à cause de son titre assez fortuitement
acquis dans le combat de Navarin, grâce à la conduite de nos braves
marins, nous les prions d’aller aux informations dans nos ports de
mer, et notamment à Brest.
MALHEURS, TRIBULATIONS, INFORTUNES ET DISGRACES
Du bttnitr obottut au Constitutionnel.
Il y avait une fois un abonné au Constitutionnel.
Ceci n’est point un conte de ma mère l’Oie ; l’abonné au Constitu-
tionnel a existé; il existe même encore, quoique l’espèce en devienne
plus rare de jour en jour ; vous pouvez le voir, sans microscope, à
l’oeil nu, marchant, buvant, mangeant, dormant comme une per-
sonne naturelle ; dormant même mieux qu’une personne naturelle.
En un mot, il vit, il a des dents, et quatre philippes d’or par an , à
jeter par les fenêtres.
1268-
Regardez-le, Alessieurs, tandis que la vue n’en coûte rien : car in-
cessamment vous n’êtes pas sûrs de jouir du même avantage. L’abonné
du Constitutionnel a déjà l’honneur d’attiier les regards des natura-
listes français et étrangers ; ils sont capables de l’empailler tout vif,
de le placer dans un bocal d’esprit-de-vin , sur un rayon du cabinet
d’histoire naturelle dont il est appelé tôt ou lard à faire les délices et
l’ornement. C’est en effet la seule manière de conserver aux généra-
tions futures quelques vestiges de cette race extraordinaire qui me-
nace de disparaître du globe, dans l’effroyable cataclysme du désabon-
nement universel.
O fatal progrès ! maudites lumières qui ont obscurci pour jamais
tant de gloires brillantes, les romans Yatout, les pamphlets Bugeaud,
les royautés citoyennes, les chandelles-Ganneron, et l’abonnement au
Constitutionnel !
Pardonnez-moi cette courte et indispensable digression. Je tenais
essentiellement à vous prouver que l’abonné au Constitutionnel est un
être positif, et non point un être de raison ; bien au contraire.
Je reviens donc à mon sujet.
Il était une fois un abonné au Constitutionnel, veuf, sans enfans,
rentier et propriétaire ; abonné-né, abonné de fondation, abonné
depuis l’origine ; ce qui le mettait alors à la tête de dix quintaux de
papier brouillard à envelopper du poivre.
Tous les matins, après déjeuner, l’abonné dépliait son journal, en-
fonçait son bonnet de coton sur ses oreilles, et commençait sa lecture
au hasard, par la tête, par le milieu, par la fin, n'importe ! car le
Constitutionnel offre cela de vraiment avantageux, qu’on peut le com-
mencer par où l’on veut, sans que l’on éprouve jamais la plus légère
perturbation.
Grâce à cette agréable occupation , l’abonné ne se réveillait que
pour diner, à quatre heures.
L’abonné n’écoutait, ne croyait que le Constitutionnel; il ne voulait
recevoir aucune idée que par l’entremise du Constitutionnel, c’est-à-
dire qu’il n’avait pas d’idées du tout ; c’était sa pensée immuable.
Chacun la sienne, celle-ci en vaut bien une autre.
Vous concevez que, guidé par un pareil oracle, l’abonné a dû faire
bien des sottises effectivement.
Et d’abord, dévoré de l’irrésistible désir de se vouer au culte et à
l’apprivoisement des araignées mélomanes, l’abonné se mit, d’après
la recette du Constitutionnel, à donner du cor-de-chasse dans sa cham-
bre, ce qui lui attira de vives querelles avec tous ses voisins , et un
congé en forme de la part de son propriétaire; c’était d’autant plus
dommage que la chambre à coucher commençait à se tapisser des
plus belles toiles d’araignée qu’on eût jamais vues.
Pour se consoler, l’abonné se livra à la recherche de l’horizon
chargé de nuages, et eut la satisfaction de le rencontrer un jour au
milieu de la plaine Saint-Denis. Par malheur, tandis qu’absorbé
dans cette nébuleuse contemplation, il cherchait à lire nos destins au
front des nues, l’orage éclata sur le sien ; le vent, la pluie, la grêle,
les éclairs et la foudre se déchaînèrent à l’envi contre lui.
Echappé par miracle aux fureurs de l’atmosphère , il rentra chez
lui , aveuglé, meurtri, mouillé comme un canard et avec une
fièvre de cheval qui le guérit à jamais de la passion des observations
politico-astrologiques.
.Alors, reprenant des goûts plus paisibles, il se jeta à corps perdu
dans l’éducation des puces travailleuses, dont les merveilles venaient
de lui être révélées sous bande, par son journal. Par malheur , une
belle nuit ses élèves commirent une irruption sur le territoire de Sa
personne, et le dévorèrent aux trois quarts.