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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 3)

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L' étude du dessin: Discours de M. Viollet-le-Duc
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L'ÉTUDE DU DESSIN

DISCOURS DE M. VIOLLET-LE-DUC

On sait quelle importance le conseil municipal de Paris
attache à l'enseignement du dessin. Parmi les témoignages de sa
sollicitude pour cet enseignement, il faut citer les subventions
allouées par le conseil à diverses écoles libres qui reçoivent les
élèves des écoles municipales et leur donnent gratuitement des
leçons de dessin. Une de ces écoles, une des meilleures, celle
du IXe arrondissement, est dirigée par une artiste de talent,
Mme Mac'Nab, née d'Anglars1. La distribution aux élèves de
cette école a eu lieu le 22 juin, sous la présidence de notre
collaborateur, M. Viollet-le-Duc, l'éminent architecte, membre
du conseil municipal, assisté de deux de ses collègues, MM. Vauzy
et J. A. Lafond. A cette occasion M. Viollet-le-Duc, dans un
remarquable discours, dont on nous saura gré de reproduire les
principaux passages, a traité avec son autorité habituelle la
question de l'enseignement du dessin.

« Loin de nous, heureusement, a dit notre savant collabo-
rateur, est le temps où l'on voulait croire que le dessin est un art
d'agrément, bon pour occuper les heures oisives. Nous avons
laissé de côté, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres,
des préjugés funestes au développement intellectuel.

« On a bien voulu reconnaître enfin que le dessin est aussi
utile que l'écriture, puisqu'il met entre les mains de ceux qui
pratiquent cet art un moyen d'exprimer la pensée, de fixer les
souvenirs, d'observer attentivement et fructueusement toutes les
productions de la nature et les œuvres dues à l'industrie humaine
pendant toutes les époques de la civilisation.

<l Mais il ne suffisait pas, pour enseigner le dessin, de placer
l'élève devant un modèle graphique et de l'amener peu à peu à
reproduire machinalement ce modèle avec plus ou moins
d'exactitude. On obtenait ainsi des copies mauvaises, passables
ou bonnes, mais les élèves qui avaient passé un long temps à
exercer leurs yeux et leur main à ce travail n'étaient point en
état souvent de copier l'objet le plus simple ou de reproduire,
par le souvenir, l'un de ces objets.

« C'est qu'on se méprenait sur les conséquences à tirer de
l'étude du dessin, sur le but utile qu'il fallait atteindre ; on
négligeait le fond pour la forme, la réalité pour l'apparence.

« Certes, l'exécution matérielle parfaite est une qualité de
premier ordre, mais à la condition que cette perfection dans
l'exécution matérielle corresponde à un travail intellectuel, s'y
associe intimement et ne fasse pas que la main fonctionne comme
une machine inconsciente, pendant que le cerveau est occupé
ailleurs.

« C'est pourquoi nous avons dit : « Dès les premiers pas,
apprenez à l'élève à voir et à comprendre ce qu'il voit en même
temps que vous assouplissez sa main. Placez, des les premiers
pas, cet élève devant l'objet réel, afin que, par l'observation, son
intelligence en saisisse bien la forme, les propriétés et essaye de
reproduire ce qu'il voit. »

a Je sais que ces premiers essais sont d'une étrange naïveté,
qu'ils expriment à peine l'apparence, que la main inexercée se
refuse à traduire ce que l'œil perçoit.

« Qu'est-ce que cela prouve, sinon que cet élève, ainsi placé
devant un objet très simple, devant un solide des plus faciles à
saisir, tel qu'un cube par exemple, ne sait pas encore le voir,
c'est-à-dire se rendre compte de ses plans ?

« Mais si le professeur, devant cet objet, en explique les

éléments, les décompose, pourrait-on dire, il provoque chez
l'élève la faculté d'observation qui est la première qualité du
dessinateur.

« Peut-on obtenir un pareil résultat devant le modèle gra-
phique? Non, certainement. Pour l'élève qui n'a pas encore
appris à voir, c'est-à-dire à observer, ce modèle graphique n'est
guère que du noir sur du blanc, et il arrive plus ou moins rapi-
dement à le reproduire, sans avoir la connaissance exacte de ce
qu'il représente. Aussi, quand on le place devant la nature,
devant le relief, c'est un effort tout nouveau qu'il lui faut faire
pour rendre, même très imparfaitement, l'objet présenté à ses
yeux. Cet élève, qui a déjà su copier avec une certaine perfection
le modèle graphique, est désorienté devant la nature, ne sait
comment exprimer les contours, les plans, le modelé, et est saisi
d'un profond découragement. Il est plus séduisant, à coup sûr,
d'arriver à faire une copie passable d'après un modèle graphique
qu'un dessin assez grossier d'après la nature ; seulement cette
copie ne prouve rien, tandis que ce dessin, si imparfait qu'il soit,
a forcé l'intelligence à observer et à produire, par conséquent,
une somme de travail dont il reste une trace.

« Est-ce à dire que nous prétendions faire négliger l'exécu-
tion, qu'il ne faille pas attacher d'importance à la perfection du
rendu ? Non, certainement, mais cette perfection dans l'exécution
n'est pas le but, c'est le moyen, comme, si l'on écrit ou si l'on
parle, il faut d'abord que la pensée se soit élaborée dans le cer-
veau avant de la produire par la parole ou par le style avec plus
ou moins d'élégance.

« Comprendre et se faire comprendre, c'est le premier point,
quitte à trouver la meilleure forme pour exprimer ce qu'on a
conçu et ce qu'on tient à communiquer aux autres.

0 Et ne croyez pas que le dessin soit moins utile aux femmes
qu'aux hommes, puisque le développement de la faculté d'obser-
ver est aussi nécessaire aux femmes qu'aux hommes. Les femmes
n'ont-elles pas à chaque instant, même dans leur ménage et
quand elles ne se livrent pas à un art ou à une industrie, l'occa-
sion de se servir du dessin pour exprimer clairement et rapide-
ment ce qu'elles désirent ou ce qu'elles commandent ?

« Meubles, vêtements, ustensiles de ménage, un croquis en
dit plus que des heures d'explications. Puis, d'ailleurs, l'habitude
de dessiner emporte avec elle l'habitude de donner à la pensée
plus de netteté, de corps et de précision.

« Ce que l'on comprend bien s'énonce clairement », et un
des moyens les plus sûrs de bien comprendre, c'est de bien
observer et de consigner les résultats de ses observations. Quoi de
meilleur alors que le dessin comme nous prétendons l'enseigner ?

« Vous avez, mesdemoiselles, en Mme Mac'Nab un professeur
qui sait toute l'importance que doit prendre l'enseignement du
dessin tel que nous venons de vous le définir ; aussi constatons-
nous des progrès parmi vous chaque année.

« Aujourd'hui, pourvues d'une classe et d'un outillage meil-
leurs, excitées par l'émulation qui pousse la jeunesse vers l'étude
sérieuse, utile du dessin, nous pouvons vous prédire du succès.

« Plusieurs d'entre vous, mesdemoiselles, se destinent pro-
bablement à l'enseignement ; nous ne saurions trop les y encou-
rager. Mais, le diplôme obtenu, ne vous considérez point comme
arrivées au but. Se contenter de ce premier pas franchi et
s'arrêter, c'est reculer.

1. Un remarquable pastel de Mm' Mac'Nab figure à l'exposition de la Société internationale de l'Art, 33, Avenue de l'Opéra.
 
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