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Véron, Eugène: De l'enseignement du dessin et du choix des modèles
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.17801#0365
La Prospérité de la France retracée par l'histoire.
Dessin commande à P. P. Prud'hon par l'impératrice Marie-Louise.
DE L'ENSEIGNEMENT DU DESSIN
ht
DU CHOIX DES MODÈLES
e serait pur enfantillage que de prétendre
démontrer aux lecteurs de cette revue
l'utilité et l'importance du dessin. Je ne
répéterai donc pas que le dessin est ce la
probité de l'art », ne voyant pas bien
nettement ce que Ingres a pu vouloir dire
en lançant cet aphorisme aussi célèbre que
nuageux et n'étant pas même très sûr
qu'il ait un sens quelconque. Je me con-
tenterai d'une simple remarque, c'est que
jusqu'à présent on n'a pas, pour présenter
aux yeux la forme des objets, trouvé d'autre
moyen que d'en reproduire l'enveloppe
extérieure. Cette enveloppe peut être con-
sidérée à deux points de vue également
importants : le contour et le modelé. Le
contour est la ligne de profil qui se découpe
sur l'horizon ou sur le fond ; le modelé est
la ligne de face qui se détermine par les
différences de saillies plus ou moins mar-
quées par la lumière. Le modelé et le
contour ont donc une égale importance; il suffit de regarder une statue successivement de
face et de côté pour en concevoir la raison : c'est que le contour et le modelé sont en somme une
i. Il faut ajouter que, même à ce point de vue, l'art d'Ingres n'a qu'une « demi-probité », car ce qu'il appelait le dessin n'est que la
moitié du dessin. Il ne comprenait sous ce mot que la ligne dans laquelle il enserrait ses figures comme dans un cercle de fer. Son idéal est
le dessin chinois. Le modelé, cette partie essentielle, capitale du dessin, le modelé qui n'est autre que la ligne vue de face, le relief, lui est
indifférent et lui échappe. « On veut que ça tourne... Je me moque pas mal que ça tourne », disait-il à M. Amaury Duval, son élève. Aussi
ses figures ne tournent-elles que par exception et sa peinture est-elle le plus souvent une simple enluminure. Il a beau soigner et caresser ses
contours, s'appliquer à la perspective linéaire, son dédain du modelé et son mépris de la couleur viennent, comme le remarque Théophile
Silvestre, tout bouleverser, faire le vide dans le plein, le plein dans le vide, détruire les distances, supprimer l'atmosphère, empiler, aplatir
comme en un jeu de cartes les personnages les uns contre les autres. Il est vrai qu'il reste aux admirateurs d'Ingres la ressource de prétendre
que le modelé n'est pas du dessin et que la silhouette est le nec plus ultra de la science du dessinateur.
Tome XVIII. 39
Lettre composée pour l'Art par François Ehrmann,
gravée par Dumont.
Dessin commande à P. P. Prud'hon par l'impératrice Marie-Louise.
DE L'ENSEIGNEMENT DU DESSIN
ht
DU CHOIX DES MODÈLES
e serait pur enfantillage que de prétendre
démontrer aux lecteurs de cette revue
l'utilité et l'importance du dessin. Je ne
répéterai donc pas que le dessin est ce la
probité de l'art », ne voyant pas bien
nettement ce que Ingres a pu vouloir dire
en lançant cet aphorisme aussi célèbre que
nuageux et n'étant pas même très sûr
qu'il ait un sens quelconque. Je me con-
tenterai d'une simple remarque, c'est que
jusqu'à présent on n'a pas, pour présenter
aux yeux la forme des objets, trouvé d'autre
moyen que d'en reproduire l'enveloppe
extérieure. Cette enveloppe peut être con-
sidérée à deux points de vue également
importants : le contour et le modelé. Le
contour est la ligne de profil qui se découpe
sur l'horizon ou sur le fond ; le modelé est
la ligne de face qui se détermine par les
différences de saillies plus ou moins mar-
quées par la lumière. Le modelé et le
contour ont donc une égale importance; il suffit de regarder une statue successivement de
face et de côté pour en concevoir la raison : c'est que le contour et le modelé sont en somme une
i. Il faut ajouter que, même à ce point de vue, l'art d'Ingres n'a qu'une « demi-probité », car ce qu'il appelait le dessin n'est que la
moitié du dessin. Il ne comprenait sous ce mot que la ligne dans laquelle il enserrait ses figures comme dans un cercle de fer. Son idéal est
le dessin chinois. Le modelé, cette partie essentielle, capitale du dessin, le modelé qui n'est autre que la ligne vue de face, le relief, lui est
indifférent et lui échappe. « On veut que ça tourne... Je me moque pas mal que ça tourne », disait-il à M. Amaury Duval, son élève. Aussi
ses figures ne tournent-elles que par exception et sa peinture est-elle le plus souvent une simple enluminure. Il a beau soigner et caresser ses
contours, s'appliquer à la perspective linéaire, son dédain du modelé et son mépris de la couleur viennent, comme le remarque Théophile
Silvestre, tout bouleverser, faire le vide dans le plein, le plein dans le vide, détruire les distances, supprimer l'atmosphère, empiler, aplatir
comme en un jeu de cartes les personnages les uns contre les autres. Il est vrai qu'il reste aux admirateurs d'Ingres la ressource de prétendre
que le modelé n'est pas du dessin et que la silhouette est le nec plus ultra de la science du dessinateur.
Tome XVIII. 39
Lettre composée pour l'Art par François Ehrmann,
gravée par Dumont.