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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 3)

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Courrier des musées
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COURRIER DES MUSÉES

XI

LE MUSÉE D'AJACCIO

Peu de personnes connaissent,en France, le musée d'Ajaccio;
plus d'un lecteur de cette revue, s'il veut bien l'avouer, ne se
doute pas de son existence.

Sans doute il est visité par les nombreux malades de natio-
nalité étrangère, Anglais, Allemands, Suisses, Suédois, qui vien-
nent demander à la brise chaude et parfumée du golfe d'Ajaccio
un air plus vivifiant pour leurs poumons affaiblis, pendant que
les brouillards, la pluie, la bise glacée de l'hiver, les obligent à
quitter leur patrie. Sans doute aussi les voyageurs, que le paque-
bot de Marseille emmène à Bône, profitent volontiers de deux
heures d'escale à Ajaccio pour jeter un regard rapide sur les
oeuvres qu'il contient.

Mais ces voyageurs et ces malades, auxquels on peut ajouter
quelques officiers de la garnison et un petit nombre de fonction-
naires continentaux résidant dans l'île, sont, pour la plupart, peu
familiarisés avec les connaissances indispensables pour faire jouir
leurs concitoyens du fruit de leurs impressions.

Nos savants ne se lassent pas d'entasser volume sur volume,
pour admirer ou critiquer les oeuvres d'art de musées apparte-
nant aux nations étrangères. Le musée d'Ajaccio est un musée
français; à ce titre seul, il mériterait d'attirer leur attention ; et
si l'un d'eux, bravant l'escopette ou le stylet dont les romanciers,
grâce à la conformation particulière de leurs yeux, ont vu briller
le canon ou la lame à chaque coin de rue, se donnait la peine
d'aller étudier quelques-uns des tableaux qu'il renferme, il pour-
rait enrichir l'histoire de la peinture de quelque nouvelle décou-
verte , et révéler au monde artistique une oeuvre de maître
inconnue ou oubliée depuis longtemps.

Le musée d'Ajaccio est installé au troisième étage du collège
communal, appelé collège Fesch, du nom de son fondateur.
Mais, avant de passer en revue les œuvres d'art qu'il contient, il
n'est peut-être pas inutile de faire connaître l'histoire abrégée
de son origine.

Joseph Fesch, cardinal-archevêque de Lyon, était né à
Ajaccio en 1763. Dès l'année 1793, suivant la biographie de
l'abbé Lyonnet, il voulut former une collection d'œuvres d'art :
à cette époque le grand-duc de Toscane, Ferdinand-Joseph, pour
plaire à Napoléon, dont le cardinal était l'oncle maternel, offrait
à celui-ci plusieurs tableaux de sa superbe galerie.

Quelques années après, lorsque ses hautes dignités l'appe-
lèrent à Paris, il lui fut facile de réunir les œuvres les plus
remarquables, que la tourmente révolutionnaire avait dispersées.
Les temps, en effet, étaient opportuns pour un amateur riche et
éclairé : par suite de l'émigration, les plus belles toiles étaient
tombées entre les mains de nouveaux propriétaires incapables
d'en apprécier la valeur. Ceux-ci, connaissant la passion du
cardinal, venaient lui offrir les objets d'art qu'ils possédaient, et
l'école française se trouva ainsi magnifiquement représentée
dans sa collection.

Envoyé, en 1804, comme ambassadeur auprès du Saint-
Siège, il fait rechercher les plus beaux morceaux de l'école
italienne. Puis, sa charge de grand aumônier de l'empire le rap-
pelant de nouveau à Paris, il eut la bonne fortune de voir vendre,
sous ses yeux, les trésors des plus fameux cabinets de Hollande
et de Belgique. Il en profite pour compléter les écoles flamande
et hollandaise, achetant, s'il le faut, une collection d'œuvres
médiocres, lorsqu'elle contient un tableau remarquable.

Devenu ainsi possesseur de 1,600 tableaux et d'une foule
d'autres objets d'art, il fit construire, pour y placer toutes ces

richesses , son splendide hôtel de la rue du Mont-Blanc.

Mais les événements de 1815 emportent Napoléon et ses
parents ; J. Fesch est compris dans la loi de bannissement avec
les autres membres de la famille impériale.

Le cardinal, revenu à Rome, fit rechercher pour sa galerie
les panneaux des écoles primitives qui lui manquaient. Plusieurs
œuvres des peintres grecs des xir" et xiii' siècles, ainsi que des
maîtres italiens des deux siècles suivants, vinrent ajouter de
nouveaux trésors à sa collection. Il voulait qu'on « pût suivre
l'histoire de l'art sans sortir de ses galeries», depuis Cimabue
jusqu'à Raphaël. Poursuivant cette idée, il faisait acheter les
tableaux des écoles postérieures à ce grand maître, et s'il refusa
5,400,000 francs d'une collection ainsi composée, personne ne
s'en étonnera; les tableaux catalogués s'élevaient au nombre
de 3,333, sans compter tous ceux qui remplissaient les greniers
de sa maison.

A sa mort, survenue en 1839, ;l léguait à l'Institut des études,
qu'il faisait construire à Ajaccio, la première division de sa
galerie qu'il avait partagée en trois classes.

Cette première division'devait comprendre « tous les tableaux
représentant quelque membre de la famille Bonaparte ou de la
famille Fesch ; les bustes de marbre ou de toute autre matière
représentant quelqu'un des individus sus-indiqués, comme aussi
la statue de Napoléon consul, par Maximilien Laboureur ; quel-
ques tableaux originaux de toutes les écoles, et quelques crucifix
sculptés, mais non des plus précieux. Le nombre de ces tableaux,
y compris les bustes et les crucifix, pourra aller jusqu'à mille.
Le choix des susdits objets d'art sera fait par le directeur de
l'Académie de France à Rome et par deux autres professeurs
choisis par les exécuteurs testamentaires. »

Ainsi composé, le musée d'Ajaccio aurait été précieux pour
une ville même beaucoup plus importante.

Pourquoi n'est-il pas tel que le voulait le cardinal ? C'est
ce que nous allons dire en peu de mots.

Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, était l'héritier uni-
versel du cardinal. Etre descendu du trône d'Espagne pour
s'appeler seulement comte de Survilliers ; avoir remué des mil-
lions et être obligé de vivre avec quelques milliers de livres de
rente, ce n'était pas fait pour disposer l'héritier à la générosité.
Il trouva que son oncle avait été trop prodigue envers sa ville
natale et refusa d'exécuter ses dernières volontés.

Il basa son refus sur ce que le legs du cardinal avait été fait
à l'Institut des études à Ajaccio ; et comme le Code civil ne
reconnaît la validité d'un legs, lorsqu'il s'agit d'un établissement
d'utilité publique, que si cet établissement a une existence légale ;
comme cet établissement, du reste inachevé, ne constituait qu'un
édifice , il soutint qu'un édifice ne pouvant être légataire était
incapable de recevoir, et que par conséquent la disposition faite
à son profit était radicalement nulle.

Les plus éminents jurisconsultes donnèrent raison au comte
de Survilliers. Les termes de la loi étaient pour lui ; mais si l'on
pouvait chicaner sur les mots dont s'était servi le cardinal .dans
son testament, il était impossible de mettre en doute la volonté
de doter sa patrie d'un musée, où les élèves auraient pu étudier
les beaux-arts avec fruit.

Le conseil municipal de cette époque ne voulut pas intenter
un procès à un membre de la famille Bonaparte ; « il est plutôt
disposé à tout perdre qu'à recevoir par la voie des tribunaux
ce qui lui serait refusé des mains de S. M. le roi Joseph ».
 
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