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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
rence, mais très grande en fait, puisqu’elle rompt une ligne monotone
et ranime d’un reste de vie l’être déjà entre ciel et terre que nous avons
sous les yeux. Une autre différence entre les deux figures, c’est que dans
la première le capuchon est fermé sous le menton tandis que dans la
seconde il est ouvert, laisse voir le col et deviner ses attaches, indica-
tions qui concourent, avec les plis de la tunique à la hauteur de la cuisse,
à enlever une apparence de mannequin à cette figure si complètement
renfermée dans sa robe de bure, — défaut bien visible dans le saint
François d’Assise de la cathédrale de Tolède.
Sans partager tout l’enthousiasme de D. Pedro de Madrazo « pour
le beau naturel de la jolie figurine du Michel-Ange espagnol », il n’en
est pas moins certain que le saint François, cl’Alonzo Cano, de la collec-
tion de M. Odiot, est une œuvre d’un très grand intérêt historique et
psychologique; il est dans la manière douce des conceptions de l’art
espagnol de cette époque. Cano n’aimait pas à transiger sur la question
de beauté. « Père, disait-il au moine qui l’assistait à ses derniers
moments, éloigne de moi ce crucifix mal formé et donne-moi une croix
de bois; j’y suppléerai par la pensée. »
Une tête de Saint-Jean-Baptiste, posée sur un grand plateau, telle
qu’Hérocliade eût pu la désirer, exposée par M. Edmond Taigny, dans
un des angles de la salle VII, est aussi traitée dans la gamme très adou-
cie de Part espagnol. Le public n’a peut-être pas admiré comme elle le
méritait cette belle œuvre de marbre blanc. L’artiste que je ne saurais
indiquer, même approximativement, a tiré, comme douceur et beauté,
tout le parti possible d’un tel sujet. La tête, posée verticalement et comme
endormie par la mort, est celle d’un beau jeune homme, qui n’a rien
d’un mangeur de sauterelles : elle est modelée avec une délicatesse et
un charme qui diminuent beaucoup, s’ils ne l’enlèvent pas tout à fait,
l’horreur du sujet. Son plateau lui fait comme une auréole.
Ces têtes de San Juan degollaclo sont fréquentes en Espagne, on en
trouve un peu partout dans les bonnes maisons; c’était la sculpture des
dames. Elles sont le plus ordinairement de bois et coloriées, souvent la
tête est renversée de façon à découvrir entièrement la section du col, qui
est étudiée avec toute la précision d’une pièce anatomique ; on se plai-
sait alors à ces représentations d’un matérialisme brutal, pour ne pas dire
horrible. Ce n’est pas impunément qu’un peuple est gouverné, pendant
un demi-siècle, par un souverain qui a nom Philippe II, et possède un
tribunal sacré qui répand de temps à autre par les villes une forte odeur
de cadavres d’hérétiques, brûlés pour la plus grande gloire de Dieu.
Les mœurs s’imprègnent facilement de toutes ces barbaries, la dévotion
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rence, mais très grande en fait, puisqu’elle rompt une ligne monotone
et ranime d’un reste de vie l’être déjà entre ciel et terre que nous avons
sous les yeux. Une autre différence entre les deux figures, c’est que dans
la première le capuchon est fermé sous le menton tandis que dans la
seconde il est ouvert, laisse voir le col et deviner ses attaches, indica-
tions qui concourent, avec les plis de la tunique à la hauteur de la cuisse,
à enlever une apparence de mannequin à cette figure si complètement
renfermée dans sa robe de bure, — défaut bien visible dans le saint
François d’Assise de la cathédrale de Tolède.
Sans partager tout l’enthousiasme de D. Pedro de Madrazo « pour
le beau naturel de la jolie figurine du Michel-Ange espagnol », il n’en
est pas moins certain que le saint François, cl’Alonzo Cano, de la collec-
tion de M. Odiot, est une œuvre d’un très grand intérêt historique et
psychologique; il est dans la manière douce des conceptions de l’art
espagnol de cette époque. Cano n’aimait pas à transiger sur la question
de beauté. « Père, disait-il au moine qui l’assistait à ses derniers
moments, éloigne de moi ce crucifix mal formé et donne-moi une croix
de bois; j’y suppléerai par la pensée. »
Une tête de Saint-Jean-Baptiste, posée sur un grand plateau, telle
qu’Hérocliade eût pu la désirer, exposée par M. Edmond Taigny, dans
un des angles de la salle VII, est aussi traitée dans la gamme très adou-
cie de Part espagnol. Le public n’a peut-être pas admiré comme elle le
méritait cette belle œuvre de marbre blanc. L’artiste que je ne saurais
indiquer, même approximativement, a tiré, comme douceur et beauté,
tout le parti possible d’un tel sujet. La tête, posée verticalement et comme
endormie par la mort, est celle d’un beau jeune homme, qui n’a rien
d’un mangeur de sauterelles : elle est modelée avec une délicatesse et
un charme qui diminuent beaucoup, s’ils ne l’enlèvent pas tout à fait,
l’horreur du sujet. Son plateau lui fait comme une auréole.
Ces têtes de San Juan degollaclo sont fréquentes en Espagne, on en
trouve un peu partout dans les bonnes maisons; c’était la sculpture des
dames. Elles sont le plus ordinairement de bois et coloriées, souvent la
tête est renversée de façon à découvrir entièrement la section du col, qui
est étudiée avec toute la précision d’une pièce anatomique ; on se plai-
sait alors à ces représentations d’un matérialisme brutal, pour ne pas dire
horrible. Ce n’est pas impunément qu’un peuple est gouverné, pendant
un demi-siècle, par un souverain qui a nom Philippe II, et possède un
tribunal sacré qui répand de temps à autre par les villes une forte odeur
de cadavres d’hérétiques, brûlés pour la plus grande gloire de Dieu.
Les mœurs s’imprègnent facilement de toutes ces barbaries, la dévotion