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Galerie Flechtheim [Contr.]
Der Querschnitt — 4.1924

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Heft 3
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Morand, Paul: Fleur double
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https://doi.org/10.11588/diglit.62257#0296

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Peu de temps avant d'etre mis en conge, au printemps de 1919, Lebecq s'etait
rendu en inspection aux cnvirons de Spalato pour poser les scelles sur une usinc
autrichienne de carbure de calcium. Naviguant en plein »bled«, il etait ce jour lä
en mission, accompagne de son domestique, et leurs cheveaux marchaient au pas.
Tout-ä-coup, au detour d'un chemin, ils decouvrirent une forteresse venitienne en
ruines, flanquee de deux tours roses, de defenses imprenables, si-non par les chevres.
et ornee d'un lion de marbre blanc, qui avait la patte sur une boule. Ce spectacle en
Dalmatie n'est point rare. Moins rare que celui de ce sol jonche de morts magni-
fiquement costumes. Tout autour de Lebecq il y avait des Tures ä turbans troues
de fleches, des chevaliers dcroules dans leurs armures milanaises, des archers venitiens
en pourpoint de velours frappe de grenades d'or, parmi les mortiers, les coulevrines
et les boulets de pierre. Pres des fosses, une population noirätre, ä ceinture basse,
criait en italien: Vive l'ltalie! et se pressait vers la porte hersee.
Comme Lebecq s'approchait, il en sortit sur deux rangs, des trompettes aux
fanions de la Serenissime, un provediteur, des ambassadeurs etrangers, puis, sur un
cheval pommele, abritee par un dais de brocart d'argent, comme il n'en avait vu
que dans les anciens tableaux sur bois, une jeune vierge extremement belle, brune
ä cheveux tres frises, accompagnee d'un legat du doge, d'un cardinal et suivis
d'ennemis enchaines, de levriers, de guepards et de materiel capture.
Lebecq suivit des yeux le cortege qui, apres avoir franchi le pont-levis, se dirigeait
vers deux camionnettes Fiat, sur les bäches desquelles il lut: »Turin Cinema Limi-
tata«. La compagnie tournait sur la cöte dalmate des films de propagande italienne
destines ä prouver au Congres de Versailles, alors reuni, que l'occupation de la
cöte etait anterieure ä l'arrivee de ces Slaves qui. aujourd'hui. revendiquaient le pays.
C'est ä un carnage einematographique que Lebecq venait d'assister. Le doge, encore
tout encorne et rouge de sang, entoure d'accessoiristes et de cameramen, s'epongeait:
r — Quelle matinee! Neuf negatifs pour l'assaut!
—rII faudra lui faire l'aureole; lancez les rayons lumineux sur ses cheveux. Quels
cheveux! Si elle veut, cette petite, je lui fais un contrat de six ans, criait le super-
viseur assis sur son megaphone.
On dressait sur l'herbe un repas champetre. Lebecq place ä cöte de Donna Zuliana,
la »Super Star«.
— Mademoiselle »s'adonne« au cinema? fit-il comme s'il s'agissait d'un vice
nouveau.
Non, elle ne s'y adonnait pas. Elle ignorait les flous, le maquillage en rouge, l'arro-
gance des studios d'Hollywood. Mais en raison du caractere politique du film, il
avait ete prescrit aux organisateurs — la subvention de l'Etat etait ä ce prix — de
recruter leurs acteurs parmi les habitants de race italienne de la contree, afin de de-
montrer le caractere nationalissime de cette bande de terre si äprement convoitee.
Pouvait-on mieux faire que de choisir Donna Zuliana, ce plus beau des vestiges
laisses par les Venitiens ä Spalato? Son pere, par patriotisme, avait consenti ä ce
qu'elle servit la cause. Elle etait si brune parmi toutes les Slaves blondes, les
cheveux (cheveux italiens si bien plantes), pris dans une resille de corail ä la mode
dalmate, si fine parmi ces democrates aux attaches lourdes, ä nez rond, venus d'on
ne sait quel Nord, si proche de l'ltalie voisine ä qui toutes ces regions incultes
doivent le peu de civilisation, de raffinement qu'elles aient jamais connu, qu'elle appa-
rut vraiment ä Lebecq comme d'une race superieure. Il caressa sa moustache. Le
lendemain, l'on tournait un autre film, en costumes romains cette f.ois-ci, ä Salon,

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