ÉTUDES D’ARCHÉOLOGIE MÉDICALE SUR HOMÈRE. 349
invoque contre la médecine au temps d’Homère : en effet, si les
douces flèches de Diane et d’Apollon envoient aux mortels les ma-
ladies et la mort, celles-ci aux hommes, celles-là aux femmes, c’est
également l’impétueux Mars (1), la perte des hommes ( fSpoToXoïyoV;
qui frappe les héros tantôt par la main d’Achille ou de Patrocle, et
tantôt par celle de Paris ou d’Hector; ce sont Jupiter, Apollon, Mi-
nerve, ou d’autres dieux ou déesses visibles et invisibles qui dirigent
les coups (2), ou, au besoin, les écartent ou les affaiblissent (3), comme
ils envoient ou guérissent les maladies (4). De plus, la mort violente
est appelée, comme la mort ordinaire, un destin auquel on ne peut
résister (5); d’où il suit qu’on ne devrait rencontrer dans Homère pas
plus de chirurgie que de médecine ; mais le poète n’a pas cette logique
inflexible des modernes : il fait panser ses blessés, et l’on peut croire
qu’au besoin il eût fait soigner ses malades. L’intervention des dieux
pour les maladies et la mort naturelle n’est pas plus un obstacle à la
présence du médecin qu’elle ne l’est pour les blessures et la mort
violente; ni les mêmes croyances qui se perpétuent durant tout le paga-
nisme, ni plus tard la foi des chrétiens et le fatalisme des musulmans,
n’ont empêché l’accès des médecins auprès des malades. Il faut d’ail-
leurs remarquer que dans la plupart des passages allégués sur la
puissance de Diane et d’Apollon, il s’agit de mort prompte, ou subite,
ou miraculeuse, et infligée par un dieu pour des causes détermi-
nées (6). Il y a même deux textes de VOdyssée (7) où les maladies lentes
qui entraînent une mort naturelle sont nettement distinguées de ces
maladies aiguës et foudroyantes où l’on a pu imaginer l’intervention
d’un dieu. Nous retrouvons dans la collection hippocratique des
traces de cette antique croyance. Dans Homère les dieux se mêlent à
tous les événements de la vie (8), sans que le cours naturel des
choses en soit sensiblement troublé, ni que les hommes fassent abné-
(1) Voy. par ex. V, 717. —(2) Voy., par exemple, II, 385; 699; 824; XIII, 568-69;
XVI, 787-793; XVIII, 209; XIX, 224- — (3) Voy. par ex. V, 662. — (4) Od. V, 397;
IX, 411. — (5) Moïpa -/.pavaivj, V, 83; Od. II, 100 et passim.
(6) Od. III, 279-282; XI, 411, XV, 478-79; XVII, 251-53; XX, 61-63. IL VI, 421-
423; 428; XIX, 59; XXIV, 605-609.
(7) Od. XI, 171-73; 197-201; XV, 407-411. Lorsque dans ce dernier passage le
poète veut donner une idée du climat merveilleux de l’île d’Ogygie, il dit qu’il n’y a
point de ces maladies odieuses (oOSe ti; voueroç srù oruyepr) Testerai) qui tuent les
mortels, c’est Apollon et Diane qui envoient la mort dans l’extrême vieillesse; d’où
l’on voit manifestement que la maladie est considérée comme le cas ordinaire, et
l’intervention divine comme une espèce de miracle. De même, XI, 171 suiv., les
maladies longues sont opposées aux flèches d’Apollon et de Diane.
(8) Voy. Friedreich, Realien u. s. w., § 198, p. 669 suiv.
invoque contre la médecine au temps d’Homère : en effet, si les
douces flèches de Diane et d’Apollon envoient aux mortels les ma-
ladies et la mort, celles-ci aux hommes, celles-là aux femmes, c’est
également l’impétueux Mars (1), la perte des hommes ( fSpoToXoïyoV;
qui frappe les héros tantôt par la main d’Achille ou de Patrocle, et
tantôt par celle de Paris ou d’Hector; ce sont Jupiter, Apollon, Mi-
nerve, ou d’autres dieux ou déesses visibles et invisibles qui dirigent
les coups (2), ou, au besoin, les écartent ou les affaiblissent (3), comme
ils envoient ou guérissent les maladies (4). De plus, la mort violente
est appelée, comme la mort ordinaire, un destin auquel on ne peut
résister (5); d’où il suit qu’on ne devrait rencontrer dans Homère pas
plus de chirurgie que de médecine ; mais le poète n’a pas cette logique
inflexible des modernes : il fait panser ses blessés, et l’on peut croire
qu’au besoin il eût fait soigner ses malades. L’intervention des dieux
pour les maladies et la mort naturelle n’est pas plus un obstacle à la
présence du médecin qu’elle ne l’est pour les blessures et la mort
violente; ni les mêmes croyances qui se perpétuent durant tout le paga-
nisme, ni plus tard la foi des chrétiens et le fatalisme des musulmans,
n’ont empêché l’accès des médecins auprès des malades. Il faut d’ail-
leurs remarquer que dans la plupart des passages allégués sur la
puissance de Diane et d’Apollon, il s’agit de mort prompte, ou subite,
ou miraculeuse, et infligée par un dieu pour des causes détermi-
nées (6). Il y a même deux textes de VOdyssée (7) où les maladies lentes
qui entraînent une mort naturelle sont nettement distinguées de ces
maladies aiguës et foudroyantes où l’on a pu imaginer l’intervention
d’un dieu. Nous retrouvons dans la collection hippocratique des
traces de cette antique croyance. Dans Homère les dieux se mêlent à
tous les événements de la vie (8), sans que le cours naturel des
choses en soit sensiblement troublé, ni que les hommes fassent abné-
(1) Voy. par ex. V, 717. —(2) Voy., par exemple, II, 385; 699; 824; XIII, 568-69;
XVI, 787-793; XVIII, 209; XIX, 224- — (3) Voy. par ex. V, 662. — (4) Od. V, 397;
IX, 411. — (5) Moïpa -/.pavaivj, V, 83; Od. II, 100 et passim.
(6) Od. III, 279-282; XI, 411, XV, 478-79; XVII, 251-53; XX, 61-63. IL VI, 421-
423; 428; XIX, 59; XXIV, 605-609.
(7) Od. XI, 171-73; 197-201; XV, 407-411. Lorsque dans ce dernier passage le
poète veut donner une idée du climat merveilleux de l’île d’Ogygie, il dit qu’il n’y a
point de ces maladies odieuses (oOSe ti; voueroç srù oruyepr) Testerai) qui tuent les
mortels, c’est Apollon et Diane qui envoient la mort dans l’extrême vieillesse; d’où
l’on voit manifestement que la maladie est considérée comme le cas ordinaire, et
l’intervention divine comme une espèce de miracle. De même, XI, 171 suiv., les
maladies longues sont opposées aux flèches d’Apollon et de Diane.
(8) Voy. Friedreich, Realien u. s. w., § 198, p. 669 suiv.