DES ROIS D E HONGRIE.
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épousée en 1063, le suivit dans sa retraite. C’est à ce Princeque
Grégoire VII, ce Pontife qui vouloit soumettre toutes les cou-
ronncs à sa tiare, écrivit le 18 Odlobre 1074: Vous ave^ dû
apprendre de vos ancctres que la Hongrie esi un domaine del'E-
glife de Rome. Sacke£ que vous éprouvere^ son indignation si
vous ne reconnoijse^ que vous tene\ votre autorité du S. Siége.
L’hommage que Salomon avoit rendu à l’Empereur étoit ie mo~
tifqui avoit engagé Grégoire à lui écrire sur ce ton.
G É I S A I.
1075. GÉis a I, devenu maître de la Hongrie par la retraite
de Salomon, se fit couronner, l’an 1075-, dans Albe-Royale.
Sa prudence & sa valeur rendirent inutiles les efforts que Salo-
mon fit pour remonter sur ie trône. Le régne de Géisa ne fut
que d’environ 3 ans, ce Prince étant mort le 15 Avrii 1077
(Thwrocz, Pagi. ). II lailsa deux fils en bas âge, Coloman &
Almus, dont le premier devint Roi de Hongrie , avec une fille,
Pyrisca, mariée à l’Empereur grec Jean Comnene.
LADISLAS I.
1077. Ladislas I, filsde Bélal, fut éiu à l’âge de 46 ans,
malgré iui, pour succéder à Géisa, son frere. II ne prit que le
titre d’Administrateur, & protesta qu’il ne se feroit jamais cou-
ronner tant que Salomon vivroit. ll rappella ce Prince, & le
combla d’honneurs & de bienfaits 3 mais Salomon ne paya que
d’ingratitude une si grande générosité. Ladisias s’étant apperçu
qu’il cherchoit à le perdre , prévint ses desieins, l’an 1081 , en
le faisant enfermer à Vicegrad. Sacaptivité fut de courte duréei
Ladissas, au bout de quelques mois, lui rendit la liberté, per-
suadé qu’il avoit changé de dispositions à son égard. II se
trompoit : Salomon ayant formé des liaisons avec le Chef des
Valaques & les Grecs, alsembie une armée & déclare la guerre
à Ladisias. Mais, vaincu dans une premiere bataille, il va sc
jetter avec ses Alliés sur la Bulgarie, où les Généraux grecs
qui commandoient en cette Province, lui font esiuyer une
nouvelle déroute 3 ayant alors perdu toute espérance , il se re-
tira datis une solitude, od il finit ses jours, sous le régne de
Coloman , dans les œuvres de Ia Pénitence , suivant ies Histo-
riens hongrois : Thwrocz, le plus ancien d’entre eux , ajoute
qu’il fut inhumé à Pole, dans l’Istrie 5 mais Berthold de
Constance dit au contraire, sur l’an 1087, que Salomon ayant
fait une expédition contre lcs Grecs, (c’est apparemment ceile
dont on vient de parler ) périt dans une bataille qu’il leur livra,
après avoir tué une multitude incroyable de soldats, posi incre-
cLi'bilem hosiium siragem & ipse viriiiter occubuit. Les Valaques
étant revenus dans la Hongrie, sous la conduite d’un nouveau
Chef, nommé Kopulch, furent de nouveau défaits dans une
bataille, où ils perdirent leur Général avec un grand nombre
des leurs. Ladissas eut ensuite affaire aux Russes, aux Polonois,
aux Bohémiens, & à d’autres peuples, qui, étant venus succes-
sivement l’attaquer, furent tous repoussès , & ne remporterent
que de la hontede Ieursexpéditions. Ces viôtoires rendirentLa-
dissas respectable à tous ses voisins. Les Hongrois avoient une
telle vénération pour sa vertu qu’ils ne l’appeiloient que le
Saint Roi. Ladissas avoit, dit-on, fait vœu de continence ,
vœu très permis à un Souverain dans un Royaume éieètif.
M. Schœpssin lui donne néanmoins deux femmes , Gisele ,
fille, selon lui, de Berthold de Carinthie , & AdélaÏde.
M. le Beau y ajoute une 3 - femme nommée Syradene, fille de
Théodule Syradene, Seigneur riche & puissant en Asie , la-
quelle, dit-il, après la mort de son mari qu’elle avcit épousé
l’an 1078, revint en Orient. Ce fut à Ladissas, selon quelques
Historiens, qu’on déférale commandementdelapremiereCroi-
sade. Mais sa mort, arrivéele 19 Juillet ( un Dimanche ) de l’an
1095 , obligea, disent-ils , de choisir un autre Chef de cette
expédition. Quoi qu’il en soit, il fut universellement regrctté
des Hongrois. Les Historiens nationaux disent qu’il augmenta
sesEtatsdesRoyaumes de Croatie & de Dalmatie, quiluifurent
cédéspar sa sœur, veuve du Roi Zuonimir, mort sans lignéeau
plutôt l’an 1087. Mais Jean Lucius ( Hisi. regn. Dalm & Croat.
L. 3 , c. 1, ) soutient que Ladissas ne posséda que la Croatie, &
que les Vénitiens s’emparerent de la Dalmatie. Ce qui est cons-
tant, selon Du-Cange , ( Famil. Bypant. p. Z99 , ) c’est que
Vital Falieri, ou faledro , qui parvint au Dogat de Venise en
1084, & mourut en 1096, est le premier Doge qui sesoit qua-
lifié Duc de Dalmatie. Ladissas , en 1078, iuivant Albéric de
Trois-Fontaines, avoitfondéen Hongrie l’Abbaye de Scntigis,
ou l’on 11e devoit recevoir que des François , preuve de l’estime
qu’il faisoit de cette nation. II fut enterré à Waradin où son
corps se gardeencoreaujourd’hui. Ses miracles déterminerent le
Pape Célestin III à le canoniser en 1198. Il est honoré le 17
Juin par lcs Hongrois sous le nom de S. Lalo , & par les Fran-
çois sous celui de S. Lancelot.
C O L O M A N.
095. Coloman , fils aîné de Géisa, frere de Ladisias , suc-
céda, l’an 1095, à son oncle. Plulieurs Modernes prétendent
qu’ilétoit pour lors Evêque de Varadin 3 mais ce trait n’est avancé
qu’en doutant par quelques Anciens, & Bonfinius le regarde
comrne très suspeèf. Quoi qu’il en soit, les Hongrois, en Iui
décernant la Couronne, firent un très mauvais choix. Coloman
fut un Prince mal fait de corps & d’esprit. L’an 1096, il vit ar-
river , sur ses terres , la premiere bande des Croisés, conduite
par Gautier , Gentilhomme françois, dit Sans avoir, parce
qu’il n’avoit d’autre bien que son épée. II leur accorda le libre
passage, & leur permit le commerce des vivres. Mais ses sujets
n’en userent pas tous de mcme envers ces pélerins. Seize d’entre
ceux-ci s’étant arrêtés en-deça de la Save, à l’insu de leur Chef,
pour acheter des armes , les gens du pays, qui les trouvent éloi-
gnés de leur armée, se jettent sureux, les volent, les dépouillent
& les renvoient absolument nus. Bientôt aprèsle départ de Gau-
tier& de sa division, paroît en Hongrie Pierre l’Hermite, l’A-
potre de la Croisade, à la tête d’une nouvelle bande composée
de 40 mille homrnes armés. Ayant traversé paisiblement ce
Royaume avec ses gens jusqu’à Malleville ( 1 ) à l’embouchure
delaSave, ilsvoientsuspenduesauxmurs de laville, commeun
trophée, les dépouilles des seize hommes dont on vient de par-
ler. Ce spe&acle met en fureur l’armée ainsi que son Chef. Pour
tirer vengeance de cet outrage, 011 marche à la ville enseignes
déployées. Elle fermeen vain ses portes; on la prend par esca-
lade 3 on poursuit les habitans qui s’étoient sauvés au nombre
de sept mille sur une montagne voisine au-delà du sseuve 3 ils
sont forcés dans ce retranchement, & quatre mille sont égor-
ges5 après quoi les Croisés étant revenus à Malleville, la pillent
pendant cinq jouts. Pierre, averti quelanation hongroise s’as-
sembloit pour tomber sur Iui, passe la Save avec son butin, &
perd au passage un bon nombre de ses gens qui furent tués par
les Hongrois & les Patzinaces, postés en embuscade. La Hon-
grie n’en fut pas quitte pour Ia viiite de ces deux bandes de Croi-
sés. Une troisieme survint la même année, ayant pour Chef un
Prctre du Palatinat, nommé Godescalc , qui l’avoit formée en
Allcmagne, au nombre de ï j mille hommes. Son insolencela
fit écharper par les Hongrois , & le Prêtre se trouva trop heu-
reux de pouvoir regagner son pays, avec quelques fuyards. Cet
exemple ne rendit pas plus sage une 4 e division de 100 mille
hommes François, Anglois, Flamands , Lorrains , auxquels s’é-
toit joint, avec 11 mille hommes, Emilcon, Comte, dans le
voisinage du Rhin. Coloman leur ayant refusé le passage , ils
veulent l’obtenir de force, & subissent le sort de ceux qui les
avoient immédiatement précédés. Enfin, le zo Septembre , pa-
rut sur ies frontieres de l’Autriche & de la Hongrie la belle ar-
mée de Godefroi de Bouillon, dans laquelle étoient renfermées
toutes les forces de la premiere Croisade. Coloman s’aboucha
avec les Chefs , & leur ouvrit la route par ses Etats , après s’ètre
justifîé des hostilités exercées contre les troupes qui les avoient
devancés, sur la nécesiîté où elles l’avoient mis deréprimer leurs
brigandages. L’histoire rapporte qu’il les escorta jusqu’aux bords
de la Save , où il prit congé d’eux, parfaitement satisfait de leur
conduite. De retour dans sa capitale, il ne tarda pas à se brouiller
avec son frere Almus, sur de faux rapports qu’on lui avoit faits
contre ce Duc. Les deux freres en vinrent à une guerre civile.
Mais comme ils étoient près de se livrer bataille, les Grands, de
part & d’autre , en refusant de combattre, les contraignirent de
faire la paix. Almus, craignant toutefois le ressentiment de son
frere, prit le parti de se retirer en Allemagne. Coloman, ennemi
du repos, chercha ensuite à troubler celui de ses voisins. Ayant
levé une armée, il la conduifît sur les terres des Russes , avec
lesquels il n’avoit rien à démêler. La Duchesse de Russîe, que
Thwrocz nomme Lanca, surprise de cette irruption vint au-
devant de lui, & s’étant jettée à ses pieds le supplioit, avec
lannes, d’épargner un peuple qui ne lui avoit donné aucun sujet
de plainte. Mais le féroce Monarque eut la barbarie, suivant le
même Historien, de la repousser avec le pied, en disant que la
majefié du trône ne devoit point être fouillée par les larmes
d'une femme. Lanca s’étant retirée le dépit dans le cœur, im-
plore le secours des Valaques, qui , toujours prêts à marcher
contre la Hongrie, viennent se ranger en foule autour d’elle
sous la conduite de leur Chef nommé Mircode. Les Hongrois
dans une batailie sont défaits, taillés en pieces, & ce qui en resta
fut réduit à une telle extrémité, que, manquant absolument de
vivres, ils se virent obligés de manger le cuir de leurs souliers.
CoJoman se trouva trop heureux de pouvoir regagner la Hon-
( 1 ) C’est le nom que donnerent les Croisés à cette ville qu’on ne rencontre sous cette dénomination dans aucun Géographe.
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épousée en 1063, le suivit dans sa retraite. C’est à ce Princeque
Grégoire VII, ce Pontife qui vouloit soumettre toutes les cou-
ronncs à sa tiare, écrivit le 18 Odlobre 1074: Vous ave^ dû
apprendre de vos ancctres que la Hongrie esi un domaine del'E-
glife de Rome. Sacke£ que vous éprouvere^ son indignation si
vous ne reconnoijse^ que vous tene\ votre autorité du S. Siége.
L’hommage que Salomon avoit rendu à l’Empereur étoit ie mo~
tifqui avoit engagé Grégoire à lui écrire sur ce ton.
G É I S A I.
1075. GÉis a I, devenu maître de la Hongrie par la retraite
de Salomon, se fit couronner, l’an 1075-, dans Albe-Royale.
Sa prudence & sa valeur rendirent inutiles les efforts que Salo-
mon fit pour remonter sur ie trône. Le régne de Géisa ne fut
que d’environ 3 ans, ce Prince étant mort le 15 Avrii 1077
(Thwrocz, Pagi. ). II lailsa deux fils en bas âge, Coloman &
Almus, dont le premier devint Roi de Hongrie , avec une fille,
Pyrisca, mariée à l’Empereur grec Jean Comnene.
LADISLAS I.
1077. Ladislas I, filsde Bélal, fut éiu à l’âge de 46 ans,
malgré iui, pour succéder à Géisa, son frere. II ne prit que le
titre d’Administrateur, & protesta qu’il ne se feroit jamais cou-
ronner tant que Salomon vivroit. ll rappella ce Prince, & le
combla d’honneurs & de bienfaits 3 mais Salomon ne paya que
d’ingratitude une si grande générosité. Ladisias s’étant apperçu
qu’il cherchoit à le perdre , prévint ses desieins, l’an 1081 , en
le faisant enfermer à Vicegrad. Sacaptivité fut de courte duréei
Ladissas, au bout de quelques mois, lui rendit la liberté, per-
suadé qu’il avoit changé de dispositions à son égard. II se
trompoit : Salomon ayant formé des liaisons avec le Chef des
Valaques & les Grecs, alsembie une armée & déclare la guerre
à Ladisias. Mais, vaincu dans une premiere bataille, il va sc
jetter avec ses Alliés sur la Bulgarie, où les Généraux grecs
qui commandoient en cette Province, lui font esiuyer une
nouvelle déroute 3 ayant alors perdu toute espérance , il se re-
tira datis une solitude, od il finit ses jours, sous le régne de
Coloman , dans les œuvres de Ia Pénitence , suivant ies Histo-
riens hongrois : Thwrocz, le plus ancien d’entre eux , ajoute
qu’il fut inhumé à Pole, dans l’Istrie 5 mais Berthold de
Constance dit au contraire, sur l’an 1087, que Salomon ayant
fait une expédition contre lcs Grecs, (c’est apparemment ceile
dont on vient de parler ) périt dans une bataille qu’il leur livra,
après avoir tué une multitude incroyable de soldats, posi incre-
cLi'bilem hosiium siragem & ipse viriiiter occubuit. Les Valaques
étant revenus dans la Hongrie, sous la conduite d’un nouveau
Chef, nommé Kopulch, furent de nouveau défaits dans une
bataille, où ils perdirent leur Général avec un grand nombre
des leurs. Ladissas eut ensuite affaire aux Russes, aux Polonois,
aux Bohémiens, & à d’autres peuples, qui, étant venus succes-
sivement l’attaquer, furent tous repoussès , & ne remporterent
que de la hontede Ieursexpéditions. Ces viôtoires rendirentLa-
dissas respectable à tous ses voisins. Les Hongrois avoient une
telle vénération pour sa vertu qu’ils ne l’appeiloient que le
Saint Roi. Ladissas avoit, dit-on, fait vœu de continence ,
vœu très permis à un Souverain dans un Royaume éieètif.
M. Schœpssin lui donne néanmoins deux femmes , Gisele ,
fille, selon lui, de Berthold de Carinthie , & AdélaÏde.
M. le Beau y ajoute une 3 - femme nommée Syradene, fille de
Théodule Syradene, Seigneur riche & puissant en Asie , la-
quelle, dit-il, après la mort de son mari qu’elle avcit épousé
l’an 1078, revint en Orient. Ce fut à Ladissas, selon quelques
Historiens, qu’on déférale commandementdelapremiereCroi-
sade. Mais sa mort, arrivéele 19 Juillet ( un Dimanche ) de l’an
1095 , obligea, disent-ils , de choisir un autre Chef de cette
expédition. Quoi qu’il en soit, il fut universellement regrctté
des Hongrois. Les Historiens nationaux disent qu’il augmenta
sesEtatsdesRoyaumes de Croatie & de Dalmatie, quiluifurent
cédéspar sa sœur, veuve du Roi Zuonimir, mort sans lignéeau
plutôt l’an 1087. Mais Jean Lucius ( Hisi. regn. Dalm & Croat.
L. 3 , c. 1, ) soutient que Ladissas ne posséda que la Croatie, &
que les Vénitiens s’emparerent de la Dalmatie. Ce qui est cons-
tant, selon Du-Cange , ( Famil. Bypant. p. Z99 , ) c’est que
Vital Falieri, ou faledro , qui parvint au Dogat de Venise en
1084, & mourut en 1096, est le premier Doge qui sesoit qua-
lifié Duc de Dalmatie. Ladissas , en 1078, iuivant Albéric de
Trois-Fontaines, avoitfondéen Hongrie l’Abbaye de Scntigis,
ou l’on 11e devoit recevoir que des François , preuve de l’estime
qu’il faisoit de cette nation. II fut enterré à Waradin où son
corps se gardeencoreaujourd’hui. Ses miracles déterminerent le
Pape Célestin III à le canoniser en 1198. Il est honoré le 17
Juin par lcs Hongrois sous le nom de S. Lalo , & par les Fran-
çois sous celui de S. Lancelot.
C O L O M A N.
095. Coloman , fils aîné de Géisa, frere de Ladisias , suc-
céda, l’an 1095, à son oncle. Plulieurs Modernes prétendent
qu’ilétoit pour lors Evêque de Varadin 3 mais ce trait n’est avancé
qu’en doutant par quelques Anciens, & Bonfinius le regarde
comrne très suspeèf. Quoi qu’il en soit, les Hongrois, en Iui
décernant la Couronne, firent un très mauvais choix. Coloman
fut un Prince mal fait de corps & d’esprit. L’an 1096, il vit ar-
river , sur ses terres , la premiere bande des Croisés, conduite
par Gautier , Gentilhomme françois, dit Sans avoir, parce
qu’il n’avoit d’autre bien que son épée. II leur accorda le libre
passage, & leur permit le commerce des vivres. Mais ses sujets
n’en userent pas tous de mcme envers ces pélerins. Seize d’entre
ceux-ci s’étant arrêtés en-deça de la Save, à l’insu de leur Chef,
pour acheter des armes , les gens du pays, qui les trouvent éloi-
gnés de leur armée, se jettent sureux, les volent, les dépouillent
& les renvoient absolument nus. Bientôt aprèsle départ de Gau-
tier& de sa division, paroît en Hongrie Pierre l’Hermite, l’A-
potre de la Croisade, à la tête d’une nouvelle bande composée
de 40 mille homrnes armés. Ayant traversé paisiblement ce
Royaume avec ses gens jusqu’à Malleville ( 1 ) à l’embouchure
delaSave, ilsvoientsuspenduesauxmurs de laville, commeun
trophée, les dépouilles des seize hommes dont on vient de par-
ler. Ce spe&acle met en fureur l’armée ainsi que son Chef. Pour
tirer vengeance de cet outrage, 011 marche à la ville enseignes
déployées. Elle fermeen vain ses portes; on la prend par esca-
lade 3 on poursuit les habitans qui s’étoient sauvés au nombre
de sept mille sur une montagne voisine au-delà du sseuve 3 ils
sont forcés dans ce retranchement, & quatre mille sont égor-
ges5 après quoi les Croisés étant revenus à Malleville, la pillent
pendant cinq jouts. Pierre, averti quelanation hongroise s’as-
sembloit pour tomber sur Iui, passe la Save avec son butin, &
perd au passage un bon nombre de ses gens qui furent tués par
les Hongrois & les Patzinaces, postés en embuscade. La Hon-
grie n’en fut pas quitte pour Ia viiite de ces deux bandes de Croi-
sés. Une troisieme survint la même année, ayant pour Chef un
Prctre du Palatinat, nommé Godescalc , qui l’avoit formée en
Allcmagne, au nombre de ï j mille hommes. Son insolencela
fit écharper par les Hongrois , & le Prêtre se trouva trop heu-
reux de pouvoir regagner son pays, avec quelques fuyards. Cet
exemple ne rendit pas plus sage une 4 e division de 100 mille
hommes François, Anglois, Flamands , Lorrains , auxquels s’é-
toit joint, avec 11 mille hommes, Emilcon, Comte, dans le
voisinage du Rhin. Coloman leur ayant refusé le passage , ils
veulent l’obtenir de force, & subissent le sort de ceux qui les
avoient immédiatement précédés. Enfin, le zo Septembre , pa-
rut sur ies frontieres de l’Autriche & de la Hongrie la belle ar-
mée de Godefroi de Bouillon, dans laquelle étoient renfermées
toutes les forces de la premiere Croisade. Coloman s’aboucha
avec les Chefs , & leur ouvrit la route par ses Etats , après s’ètre
justifîé des hostilités exercées contre les troupes qui les avoient
devancés, sur la nécesiîté où elles l’avoient mis deréprimer leurs
brigandages. L’histoire rapporte qu’il les escorta jusqu’aux bords
de la Save , où il prit congé d’eux, parfaitement satisfait de leur
conduite. De retour dans sa capitale, il ne tarda pas à se brouiller
avec son frere Almus, sur de faux rapports qu’on lui avoit faits
contre ce Duc. Les deux freres en vinrent à une guerre civile.
Mais comme ils étoient près de se livrer bataille, les Grands, de
part & d’autre , en refusant de combattre, les contraignirent de
faire la paix. Almus, craignant toutefois le ressentiment de son
frere, prit le parti de se retirer en Allemagne. Coloman, ennemi
du repos, chercha ensuite à troubler celui de ses voisins. Ayant
levé une armée, il la conduifît sur les terres des Russes , avec
lesquels il n’avoit rien à démêler. La Duchesse de Russîe, que
Thwrocz nomme Lanca, surprise de cette irruption vint au-
devant de lui, & s’étant jettée à ses pieds le supplioit, avec
lannes, d’épargner un peuple qui ne lui avoit donné aucun sujet
de plainte. Mais le féroce Monarque eut la barbarie, suivant le
même Historien, de la repousser avec le pied, en disant que la
majefié du trône ne devoit point être fouillée par les larmes
d'une femme. Lanca s’étant retirée le dépit dans le cœur, im-
plore le secours des Valaques, qui , toujours prêts à marcher
contre la Hongrie, viennent se ranger en foule autour d’elle
sous la conduite de leur Chef nommé Mircode. Les Hongrois
dans une batailie sont défaits, taillés en pieces, & ce qui en resta
fut réduit à une telle extrémité, que, manquant absolument de
vivres, ils se virent obligés de manger le cuir de leurs souliers.
CoJoman se trouva trop heureux de pouvoir regagner la Hon-
( 1 ) C’est le nom que donnerent les Croisés à cette ville qu’on ne rencontre sous cette dénomination dans aucun Géographe.