DES COMTES DE S. PAUL.
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qu’il envoya de cette Croisade au Duc de Brabant,
son ami. Elle est bien circonstanciée , et finit ainsi :
Si quis Deo vult servire.... etnomen habere clarum
et conspicuum, tollat crucem, et sequatur Dominum,
etveniat ad torneamentum Dommi ad quod ab ipso
Domino iiwitatur. ( Duchêne, Hist. Fr. T. V, p. 275.)
II écrivit une autre lettre, sur le même sujet, à son ami
Renaud, ou Robert de Balve , qui n’a point encore été
imprimée, et dont nous avons î’original sous les yeux.
L’Empereur Baudouin , non content de la dignité
qu’i.1 avoit conférée à Hugues , lui fit encore présent
de Didimotique, ville forte et opulente de Thrace,
avec son territoire. Mais il n’en jouit pas long-tems:
la goutte, à laquelle il étoit sujet, l’emporta sur la fin
de l’an i2o5. On lui fit des obséques magnifiques à
Constantinople; mais son corps fut rapporté en France,
et inhumé dans l’Abbaye de Cercainp , à la demande
des Religieux. Le Comte Flugues étoit zélé pour l’ob-
servation de la jusdce : Villehardouin en rapporte
l’exemple suivant. A la prise de Constantinople , il
avoit défendu de rien divertir du butin que l’on feroit,
mais de mettre tout en cornmun. Un Chevalier du
Comté de S. Paul fut convaincu d’avoir contrevenu à
cette défense ; Hugues le fit pendre sans miséricorde
avec l’écusson de ses arrnes attaché au cou pour plus
grande ignominie. Hugues IV fut le dernier Comte de
la Maison de Champ-d’Avêne , n’ayant laissé de sa
femme, YotAisDE,fille de BaudouinlV, Comte de Hai-
naut, et veuve d’Ives , Comte de Soissons , que deux
filles, Elisabeth , qui suit, et Eustachie, mariée à Jean
de Nesle , Châtelain de Bruges , après avoir été fiancée
à Arnoul II , Comte de Guines. Roger de Hoveden
donne à Hugues pour premiere femme Ide , sille de
Matthieu d’Alsace , Comte de Boulogne , laquelle ,
dit-il, se scépara de lui pour épouser Renaud , Comte
de Dammartin. Mais onvoit ailleurs qu’Ide étoit veuve
de Berthold V , Duc de Zéringhen , lorsqu’elle épousa
Ilenaud.
ELISABETH et GAUTHIER, ou GAUCHER
D E CHÂTILLON.
1 2o5 . Elisabeth , fdle aînée de Hugues IV et femme
de Gauthier , ou Gaucher , fds de Gui II de Châ-
tillon-sur-Marne , qu’elle avoit épousé l’an 1196, suc-
céda à son pere avec son mari, qui commença la se-
conde race des Comtes de S. Paul. Gauthier étoit le
III e du nom de sa Maison. L’an 1189, il avoit pris
la croix avec le Roi Philippe-Auguste , dont il étoit
cousin germain par sa mere, Alix de France, fille de
Robertï, Comte de Drcux, frere du Iloi.Louis VII. Etant
parti en la compagnie du Monarque , il s’étoit signalé
au siége d’Acre, oiiil avoit perdu Gui, son frere. A son
retour il avoit été nommé , l’an 1190 , Sénéchal de
Bourgogne par le Duc Eudes III, et peu de tems après
Grand-Bouteiller de Champagne par le Comte Thi-
baut. II aida Philippe-Auguste, l’an 1208 et l’an 1204,
à faire la conquête dela Normandie. L’an 1209 , étant
à une Cour pléniere que le Roi tenoit à Compiegne aux
fètes de la Pentecôte , il s’y croisa contre les Albigeois
avec plusieurs autres Seigneurs, lesquels, dit la Chro-
nique de Flandre , mirent leurs croix devant le pis
pourla disfèrence cl'outre-mer. Après la prise de Car-
cassonne , événementdu i5 Août de cette année , les
Chefs de la Croisade lui osfrirent, au refus du Duc de
Bourgogne et du Comte de Nevers, la Seigneurie de
tout ie pays qu’ils avoient conquis. Mais Gauthier
eut, cornrne ces deux Princes , la générosité de la re-
fuser. A son retour il reçut du Roi Philippe-Auguste
le commandement de l’armée que ce Monarque en-
voyoit en Bretagne , où des rebeiles faisoient ie degat
aux environs du château du Guesclin, dont ils s’é-
toient rendus maîtres. Gauthier prit cette place d’as-
saut, et la remit au nom du Roi à Juhel, Seigneur de
Mayenne, qui l’accompagnoit dans cetle expédition.
Le Roi, l’an i2i5, fit partir Gauthier de Châtillon
et Guérin , Evêque de Senlis, avec une nouvelle ar-
mée, pour aller reprendre la ville de Tournai, que le
Comte de Flandre avoit surprise par le conseil de Gan-
dulfe , Seigneur de AIortagne-sur-l’Escaut. Les deux
Généraux , ayant réduit la place, firent le dégât sur
les terres du traître Gandulfe, tandis que le Roi Phi-
lippe , avec une autre armée , faisoit la conquête de
Calais, d’ipres, de Bruges et de Gand. Gauthier, l’an-
née suivante , comrnanda l’arriere-garde de l’armée
françoise à la bataille de Bouvines, donnée le 27 Juillet
contre l’Empereur Otton IV, le Comte de Flandre et
les Princes îeurs confédérés. Ce n’étoit pas toutefois
sans quelque défiance de sa fidélité qu’on lui avoit
donné ce commandement. 11 savoit lui-même qu’on
avoit tâché de le desservir dans l’esprit du Roi. Lors-
que ce fut à lui à donner , ii dit au Chevalier Guérin ,
qui laisoit l’office de Maréchal de bataille : On me
soupconne cVétre d’intelligence avecles ennemis; vous
allez voir comme je suis bon traître. A ces mots il
part de la main , et tombe avec furie sur un corps de
Flamands qui étoit devant lui, Gauthier de Châtil-
lon, dit une ancienne version de Rigord, tqntferit et
chapcla , et lui et lcs siens à destre et à senestre ,
quil tresperça tout outre La tourbe de ses ennemis ;
et puis se rescry dedens d’autre part , et les aclost
comme ou millieu cle la balaille. Néanmoins il pensa
périr dans la mêlée en voulant arracher undeses Che-
valiers des mains des ennemis. II y réussit; mais ce 11e
fut qu’après avoir reçu douze coups de lance , qui ce-
pendant ne le porent trebuscher ne lui ne le cheval.
Toujours avide de gloire , il se croisa de nouveau ,
l’an i2i5, contreles Albigeois,et accompagnalePrince
Louis de France dans cette expédition. On voit qu’il
en étoit de retour sur la fin de cette année , par sa
souscription apposée à un jugement rendu à la Cour
de Blanche, Comtesse de Cfiampagne, contrecertaines
prétentions de l’Abbé de Vauluisant, au diocèse de
Sens. (Turpin , p. 109.) On le voit,en 1216, assis,
quoique non Pair de France, au nombre des Juges as-
sembléspour décider la contestation entre laComtesse
Blanche , mere et tutrice de Thibaut le Posthume, et
Philippine , tante de ce Prince, sur la propriété du
Comté de Champagne. L’an 1219 (N. S. ), au mois de
Février, le Iloi Philippe-Auguste récompensa libérale-
ment ses services par ie don qu’il lui lit de la terre de
Torigni en Normandie. (Ib. p. 110.) Peu de tems
après, Gauthier, pour la 3 e fois , se croisa contre les
Albigeois, et encore à la suite du Prince Louis. II fit
merveille au siége de Marmande en Agénois. La place
ayant été obligée de se rendre à discrétion, l’Evêque
de Saintes voulut engager le Prince Louis à faire égor-
ger la garnison ; mais le Duc de Bretagne et le Comte
de S. Paul s’opposerent à cette barbarie. Ilsnepurent
néanmoins empêcher que les troupes victorieuses ,
étant entrées dans la ville après la retraite de la gar-
nison , ne fissent main-basse sur les habitans. De re-
tour- chez lui , le Comte Gauthier mourut au mois
d’Octobre de la même année, emportant dans le tom-
beau la gloire d’avoir été le plus franc. et le plus vaîi-
lant Chevalier de son tems. De sa femme , qui se
rerriaria, après treize ans de viduité, à Jean de Bétliune,
et mourut sans enfans du second lit en 1233 , avant
le mois d’Avril, il eut Flugues, Seigneur de Iroissi et
de Créci , Sénéchal de Champagne et dans la suite
Comte de S. Paui et de Blois; Gui, qui suit; Eusta-
cliie, feminc de Daniel de Béthune, Avoué d’Arlois ;
et Elisabeth, mariée à Aubert de Hangest, Seigneur
de Genlis. Duchêne ( Hist. de Châtillon, p. 55 ; a pu-
blié une Charte de Gauthier de Châtillon de l’an 1206,
laquelle est scellée de son sceau et de celui de sa
femme. Or 011 voit par le dernier que les Dames pre-
noient alors le surnorn de leurs maris, et sceiloient de
leurs armes.
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qu’il envoya de cette Croisade au Duc de Brabant,
son ami. Elle est bien circonstanciée , et finit ainsi :
Si quis Deo vult servire.... etnomen habere clarum
et conspicuum, tollat crucem, et sequatur Dominum,
etveniat ad torneamentum Dommi ad quod ab ipso
Domino iiwitatur. ( Duchêne, Hist. Fr. T. V, p. 275.)
II écrivit une autre lettre, sur le même sujet, à son ami
Renaud, ou Robert de Balve , qui n’a point encore été
imprimée, et dont nous avons î’original sous les yeux.
L’Empereur Baudouin , non content de la dignité
qu’i.1 avoit conférée à Hugues , lui fit encore présent
de Didimotique, ville forte et opulente de Thrace,
avec son territoire. Mais il n’en jouit pas long-tems:
la goutte, à laquelle il étoit sujet, l’emporta sur la fin
de l’an i2o5. On lui fit des obséques magnifiques à
Constantinople; mais son corps fut rapporté en France,
et inhumé dans l’Abbaye de Cercainp , à la demande
des Religieux. Le Comte Flugues étoit zélé pour l’ob-
servation de la jusdce : Villehardouin en rapporte
l’exemple suivant. A la prise de Constantinople , il
avoit défendu de rien divertir du butin que l’on feroit,
mais de mettre tout en cornmun. Un Chevalier du
Comté de S. Paul fut convaincu d’avoir contrevenu à
cette défense ; Hugues le fit pendre sans miséricorde
avec l’écusson de ses arrnes attaché au cou pour plus
grande ignominie. Hugues IV fut le dernier Comte de
la Maison de Champ-d’Avêne , n’ayant laissé de sa
femme, YotAisDE,fille de BaudouinlV, Comte de Hai-
naut, et veuve d’Ives , Comte de Soissons , que deux
filles, Elisabeth , qui suit, et Eustachie, mariée à Jean
de Nesle , Châtelain de Bruges , après avoir été fiancée
à Arnoul II , Comte de Guines. Roger de Hoveden
donne à Hugues pour premiere femme Ide , sille de
Matthieu d’Alsace , Comte de Boulogne , laquelle ,
dit-il, se scépara de lui pour épouser Renaud , Comte
de Dammartin. Mais onvoit ailleurs qu’Ide étoit veuve
de Berthold V , Duc de Zéringhen , lorsqu’elle épousa
Ilenaud.
ELISABETH et GAUTHIER, ou GAUCHER
D E CHÂTILLON.
1 2o5 . Elisabeth , fdle aînée de Hugues IV et femme
de Gauthier , ou Gaucher , fds de Gui II de Châ-
tillon-sur-Marne , qu’elle avoit épousé l’an 1196, suc-
céda à son pere avec son mari, qui commença la se-
conde race des Comtes de S. Paul. Gauthier étoit le
III e du nom de sa Maison. L’an 1189, il avoit pris
la croix avec le Roi Philippe-Auguste , dont il étoit
cousin germain par sa mere, Alix de France, fille de
Robertï, Comte de Drcux, frere du Iloi.Louis VII. Etant
parti en la compagnie du Monarque , il s’étoit signalé
au siége d’Acre, oiiil avoit perdu Gui, son frere. A son
retour il avoit été nommé , l’an 1190 , Sénéchal de
Bourgogne par le Duc Eudes III, et peu de tems après
Grand-Bouteiller de Champagne par le Comte Thi-
baut. II aida Philippe-Auguste, l’an 1208 et l’an 1204,
à faire la conquête dela Normandie. L’an 1209 , étant
à une Cour pléniere que le Roi tenoit à Compiegne aux
fètes de la Pentecôte , il s’y croisa contre les Albigeois
avec plusieurs autres Seigneurs, lesquels, dit la Chro-
nique de Flandre , mirent leurs croix devant le pis
pourla disfèrence cl'outre-mer. Après la prise de Car-
cassonne , événementdu i5 Août de cette année , les
Chefs de la Croisade lui osfrirent, au refus du Duc de
Bourgogne et du Comte de Nevers, la Seigneurie de
tout ie pays qu’ils avoient conquis. Mais Gauthier
eut, cornrne ces deux Princes , la générosité de la re-
fuser. A son retour il reçut du Roi Philippe-Auguste
le commandement de l’armée que ce Monarque en-
voyoit en Bretagne , où des rebeiles faisoient ie degat
aux environs du château du Guesclin, dont ils s’é-
toient rendus maîtres. Gauthier prit cette place d’as-
saut, et la remit au nom du Roi à Juhel, Seigneur de
Mayenne, qui l’accompagnoit dans cetle expédition.
Le Roi, l’an i2i5, fit partir Gauthier de Châtillon
et Guérin , Evêque de Senlis, avec une nouvelle ar-
mée, pour aller reprendre la ville de Tournai, que le
Comte de Flandre avoit surprise par le conseil de Gan-
dulfe , Seigneur de AIortagne-sur-l’Escaut. Les deux
Généraux , ayant réduit la place, firent le dégât sur
les terres du traître Gandulfe, tandis que le Roi Phi-
lippe , avec une autre armée , faisoit la conquête de
Calais, d’ipres, de Bruges et de Gand. Gauthier, l’an-
née suivante , comrnanda l’arriere-garde de l’armée
françoise à la bataille de Bouvines, donnée le 27 Juillet
contre l’Empereur Otton IV, le Comte de Flandre et
les Princes îeurs confédérés. Ce n’étoit pas toutefois
sans quelque défiance de sa fidélité qu’on lui avoit
donné ce commandement. 11 savoit lui-même qu’on
avoit tâché de le desservir dans l’esprit du Roi. Lors-
que ce fut à lui à donner , ii dit au Chevalier Guérin ,
qui laisoit l’office de Maréchal de bataille : On me
soupconne cVétre d’intelligence avecles ennemis; vous
allez voir comme je suis bon traître. A ces mots il
part de la main , et tombe avec furie sur un corps de
Flamands qui étoit devant lui, Gauthier de Châtil-
lon, dit une ancienne version de Rigord, tqntferit et
chapcla , et lui et lcs siens à destre et à senestre ,
quil tresperça tout outre La tourbe de ses ennemis ;
et puis se rescry dedens d’autre part , et les aclost
comme ou millieu cle la balaille. Néanmoins il pensa
périr dans la mêlée en voulant arracher undeses Che-
valiers des mains des ennemis. II y réussit; mais ce 11e
fut qu’après avoir reçu douze coups de lance , qui ce-
pendant ne le porent trebuscher ne lui ne le cheval.
Toujours avide de gloire , il se croisa de nouveau ,
l’an i2i5, contreles Albigeois,et accompagnalePrince
Louis de France dans cette expédition. On voit qu’il
en étoit de retour sur la fin de cette année , par sa
souscription apposée à un jugement rendu à la Cour
de Blanche, Comtesse de Cfiampagne, contrecertaines
prétentions de l’Abbé de Vauluisant, au diocèse de
Sens. (Turpin , p. 109.) On le voit,en 1216, assis,
quoique non Pair de France, au nombre des Juges as-
sembléspour décider la contestation entre laComtesse
Blanche , mere et tutrice de Thibaut le Posthume, et
Philippine , tante de ce Prince, sur la propriété du
Comté de Champagne. L’an 1219 (N. S. ), au mois de
Février, le Iloi Philippe-Auguste récompensa libérale-
ment ses services par ie don qu’il lui lit de la terre de
Torigni en Normandie. (Ib. p. 110.) Peu de tems
après, Gauthier, pour la 3 e fois , se croisa contre les
Albigeois, et encore à la suite du Prince Louis. II fit
merveille au siége de Marmande en Agénois. La place
ayant été obligée de se rendre à discrétion, l’Evêque
de Saintes voulut engager le Prince Louis à faire égor-
ger la garnison ; mais le Duc de Bretagne et le Comte
de S. Paul s’opposerent à cette barbarie. Ilsnepurent
néanmoins empêcher que les troupes victorieuses ,
étant entrées dans la ville après la retraite de la gar-
nison , ne fissent main-basse sur les habitans. De re-
tour- chez lui , le Comte Gauthier mourut au mois
d’Octobre de la même année, emportant dans le tom-
beau la gloire d’avoir été le plus franc. et le plus vaîi-
lant Chevalier de son tems. De sa femme , qui se
rerriaria, après treize ans de viduité, à Jean de Bétliune,
et mourut sans enfans du second lit en 1233 , avant
le mois d’Avril, il eut Flugues, Seigneur de Iroissi et
de Créci , Sénéchal de Champagne et dans la suite
Comte de S. Paui et de Blois; Gui, qui suit; Eusta-
cliie, feminc de Daniel de Béthune, Avoué d’Arlois ;
et Elisabeth, mariée à Aubert de Hangest, Seigneur
de Genlis. Duchêne ( Hist. de Châtillon, p. 55 ; a pu-
blié une Charte de Gauthier de Châtillon de l’an 1206,
laquelle est scellée de son sceau et de celui de sa
femme. Or 011 voit par le dernier que les Dames pre-
noient alors le surnorn de leurs maris, et sceiloient de
leurs armes.