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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 18.1878

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Nr. 2
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Blanc, Charles: Les fresques de Véronèse au château de Masère près de Trévisse
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https://doi.org/10.11588/diglit.22838#0139

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130

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

perles dans les cheveux ! Avec quelle liberté il suppose que les bijoutiers
de l’Olympe ont fabriqué pour Cybèle des pendants d’oreilles et des
bracelets rehaussés de pierres précieuses! N’est-il pas évident que Paolo
Caliari, fils d’un tailleur de pierres (scarpellino) ou, comme l’on dit à
Vérone, d’un tagliapietre, n’avait reçu que les premiers rudiments de
l’éducation classique, et qu’il ne connut de la mythologie que ce qu’en
savent en Italie tous les ouvriers du bâtiment. On parle de son mépris
pour le costume, c’est-à-dire pour les convenances locales, les usages,
les mœurs, les habitudes et les habits des différentes contrées qui four-
nissent le plus de sujets à la peinture; on relève ses anachronismes, son
croc-en-jambe à l’histoire même élémentaire.! Eh bien,1 je crois, pour
mon compte, qu’il a ignoré ces convenances, ou que, sachant qu elles
existaient, il n’a pas pris la peine de s’en instruire. Et ce qui le prouve,
c’est la naïveté des réponses qu’il fit aux inquisiteurs vénitiens lors d’un
procès qui lui fut intenté par le tribunal du Saint-Office au sujet des
Noces de Cana, du Repas chez Lévy et du Repas chez Simon1.

Offusqués des fautes commises par Véronèse contre les bienséances,
les magistrats lui demandent pourquoi il s’est avisé d’introduire dans les
festins évangéliques, dans les Cènes auxquelles assista Jésus-Christ, des
hallebardiers allemands, un bouffon avec un perroquet sur le poing, un
valet qui saigne du nez, des nains, des chiens, des serviteurs à moitié
ivres et autres inconvenances. Le pauvre peintre, fort troublé par ces
questions et encore plus étonné, répond avec candeur que ces bouffons,
ces nains, ces hallebardiers étaient là comme des ornements, comme
des choses pittoresques; que lorsque les Révérends Pères du couvent
des Saints-Jean-et-Paul lui commandaient de mettre à la place d’un
chien une Madeleine, il ne comprenait pas que la figure de Madeleine
pût faire là aussi bien que celle du chien ; mais qu’il consentirait
volontiers à tout ce qu’on voudrait pour son honneur et pour l’hon-
neur de son tableau ; qu’après tout, il fallait bien passer quelque liberté
aux peintres comme aux poètes et aux fous. C’est ce qu’il exprimait
ainsi dans son dialecte vénitien : « Noipittori si pigliamo licenzia che si
jiigliano i poelli e i matti. »

Voilà donc à quoi se réduit toute l’esthétique du bon Véronèse : mettre
dans sa peinture tout ce qui doit y faire bien, et ne pas s’inquiéter du
reste. Or, pour lui, ce qui fait bien} c’est ce qui satisfait les yeux, ce qui

4. Les papiers intéressants de ce procès furent découvertes en 4 869, dans les
Archives de la république de Venise, par M. Armand Baschet, qui en fit part, cette
même année, à la Gazelle des Beaux-Arts.
 
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