880
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tout est intéressant dans cette peinture que Greuze semble avoir soignée
avec amour. La coloration est très douce, la gamme grise étant un peu
lilas dans les ombres, un peu dorée dans les clairs. Les mains du joueur
de harpe sont exquises. Rarement l’artiste a été plus délicat et plus fin.
L’occasion est bonne pour nous raccommoder avec Greuze: saisissons-la.
Beaucoup d’œuvres dont il ne nous est pas possible de parler com-
plètent l’histoire de la portraiture au xviii0 siècle. Gomment oublier
les bustes en terre cuite de Houdon, ce Franklin, ce Diderot qu’illu-
mine le rayon de la vie intellectuelle? Il y a aussi un choix heureux de
crayons, de gouaches et de lavis. Carmontelle est discret, il ne fait pas de
fracas, mais dans ses petits portraits en pied, il est décisif, car il exprime
l’attitude habituelle et la silhouette de tous les jours. Près de lui, est
Jean-Antoine de Peters dont les aquarelles sont des raretés. Peters était
peintre du roi de Danemark et sa manière n’est pas tout à fait française.
C’est un infatigable finisseur. 11 appartenait à l’Académie de Saint-Luc.
Le portrait qui figure au Trocadéro sous le nom de Mme Poitrine, est
l’aquarelle exposée au Colisée en 1776, sous le titre : Une daine allai-
tant son enfant. L’autre aquarelle de Peters représente Collé et Pétro-
nille—Nicole Bazire, « son épouse chérie ». Ces derniers mots, qu’on ne
nous accusera pas d’avoir inventés, sont tirés d’une inscription que Collé
lui-même a fait attacher derrière le cadre et que nous ne pouvons repro-
duire en entier. On y apprend que Mme Collé a rendu son mari le plus
heureux des hommes. Son visage respire en effet la plus charmante dou-
ceur. Il s’agit d’ailleurs d’un petit drame littéraire. Collé vient de lire
un passage d’une de ses comédies : sa femme lui propose une correction
judicieuse et « l’auteur en paraît frappé ». Le joli dessin de Peters appar-
tient à Mrae d’Haville. Il est signé et daté: 1775.
Nous arrivons enfin aux maîtres modernes, et, ici, nous sommes en
présence d’œuvres connues. Nous avions vu jadis aune exposition orga-
nisée par la Société des artistes le beau pastel de Prud’hon, M. Perché ;
nous avions admiré au palais Bourbon le portrait de M,ne d’Orvil—
liers, qui est une des meilleures peintures de David et aussi les deux
Gérard, Mme Régnault de Saint-Jean-d’Angely et Mlle Georges, lumineuse
et vivante image qui vient de la collection du comte de Pourtalès. Le
portrait de Bertin, d’Ingres, s’était mis en route pour l’exposition du Tro-
cadéro ; il y est entré un instant, mais il a trouvé la lumière mauvaise,
et il est parti. Nous avons à sa place le portrait de M. Molé. Ary Scheffer
est représenté non sans honneur, par un Talleyrand qui est de sa pre-
mière manière, c’est-à-dire du temps où l’artiste cherchait la peinture
généreuse. N’oublions enfin ni un charmant portrait de femme par
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tout est intéressant dans cette peinture que Greuze semble avoir soignée
avec amour. La coloration est très douce, la gamme grise étant un peu
lilas dans les ombres, un peu dorée dans les clairs. Les mains du joueur
de harpe sont exquises. Rarement l’artiste a été plus délicat et plus fin.
L’occasion est bonne pour nous raccommoder avec Greuze: saisissons-la.
Beaucoup d’œuvres dont il ne nous est pas possible de parler com-
plètent l’histoire de la portraiture au xviii0 siècle. Gomment oublier
les bustes en terre cuite de Houdon, ce Franklin, ce Diderot qu’illu-
mine le rayon de la vie intellectuelle? Il y a aussi un choix heureux de
crayons, de gouaches et de lavis. Carmontelle est discret, il ne fait pas de
fracas, mais dans ses petits portraits en pied, il est décisif, car il exprime
l’attitude habituelle et la silhouette de tous les jours. Près de lui, est
Jean-Antoine de Peters dont les aquarelles sont des raretés. Peters était
peintre du roi de Danemark et sa manière n’est pas tout à fait française.
C’est un infatigable finisseur. 11 appartenait à l’Académie de Saint-Luc.
Le portrait qui figure au Trocadéro sous le nom de Mme Poitrine, est
l’aquarelle exposée au Colisée en 1776, sous le titre : Une daine allai-
tant son enfant. L’autre aquarelle de Peters représente Collé et Pétro-
nille—Nicole Bazire, « son épouse chérie ». Ces derniers mots, qu’on ne
nous accusera pas d’avoir inventés, sont tirés d’une inscription que Collé
lui-même a fait attacher derrière le cadre et que nous ne pouvons repro-
duire en entier. On y apprend que Mme Collé a rendu son mari le plus
heureux des hommes. Son visage respire en effet la plus charmante dou-
ceur. Il s’agit d’ailleurs d’un petit drame littéraire. Collé vient de lire
un passage d’une de ses comédies : sa femme lui propose une correction
judicieuse et « l’auteur en paraît frappé ». Le joli dessin de Peters appar-
tient à Mrae d’Haville. Il est signé et daté: 1775.
Nous arrivons enfin aux maîtres modernes, et, ici, nous sommes en
présence d’œuvres connues. Nous avions vu jadis aune exposition orga-
nisée par la Société des artistes le beau pastel de Prud’hon, M. Perché ;
nous avions admiré au palais Bourbon le portrait de M,ne d’Orvil—
liers, qui est une des meilleures peintures de David et aussi les deux
Gérard, Mme Régnault de Saint-Jean-d’Angely et Mlle Georges, lumineuse
et vivante image qui vient de la collection du comte de Pourtalès. Le
portrait de Bertin, d’Ingres, s’était mis en route pour l’exposition du Tro-
cadéro ; il y est entré un instant, mais il a trouvé la lumière mauvaise,
et il est parti. Nous avons à sa place le portrait de M. Molé. Ary Scheffer
est représenté non sans honneur, par un Talleyrand qui est de sa pre-
mière manière, c’est-à-dire du temps où l’artiste cherchait la peinture
généreuse. N’oublions enfin ni un charmant portrait de femme par