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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 2)

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Cartault, A.: Notre bibliothèque
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CIX

Voyage dans un grenier, par Charles C....., de la Société des

amis des livres. Paris. Damascène Morgand et Charles
Fatout. 1878.

Voici un livre qui, heureusement pour lui, est capable de
faire son chemin tout seul, car il n'a point de père pour le
recommander. Est-ce une modestie excessive qui porte M. Cou-
sin à ne point le reconnaître ? Est-ce dureté de cœur ou simple
bizarrerie ? Ne serait-ce pas plutôt une coquetterie raffinée ? Il
y a toujours quelque plaisir à se faire deviner, et, à la richesse
de l'ouvrage qui a coûté 25,000 francs, on voit qu'il est chéri et
choyé par l'auteur de ses jours : l'amour paternel lui inspire ces
folies.

M. Cousin n'est point égoïste et jaloux comme la plupart
des collectionneurs : c'est un homme franc et ouvert qui s'est
mis en tùte de nous faire les honneurs de son « grenier ». Or
« grenier » n'est là que pour métaphore ; c'est musée qu'il fallait
dire, et ce musée contient de véritables trésors, livres, faïences,
autographes, bibelots que le « Toqué »,— l'auteur, messieurs, sans
nulle-vanité — passe en revue avec son bavard et jovial Babylas.
Les invités ne sont pas nombreux, car le livre n'est tiré qu'à six
cents exemplaires; et, quoique M. Cousin trouve, chemin fai-
sant, le moyen d'y exprimer ses convictions républicaines et
démocratiques, il se soucie peu d'admettre la foule dans son
confortable grenier : quelques amis et quelques connaisseurs lui
suffisent. Ce n'est donc point à une exposition publique qu'il
nous convie, ce n'est pas non plus à une exploration en règle;
la fantaisie seule le guide et il suit au hasard le cours de ses
souvenirs et de ses impressions. Du reste, causeur spirituel et
compagnon de vovage charmant, il a un entrain, une bonne
humeur qui ne se démentent pas un instant ; il sait à la satisfac-
tion visible du propriétaire allier la discrétion et la facilité d'al-
lures de l'homme du monde. Nous permettra-t-il de lui adresser
un regret ? C'est que bien des armoires soient closes, bien des
pièces du musée inaccessibles aux visiteurs ; c'est qu'il prenne si
brusquement et si cavalièrement congé de ses hôtes, au moment
même où leur curiosité est le plus éveillée. A quand une seconde
et plus complète visite ?

Suivons-le, quoi qu'il en soit : nous avons beaucoup à voir,
Voici d'abord jetés pèle-mèle des autographes signés des noms
les plus divers : Théophile Gautier, Trochu, Proudhon, Brillât-
Savarin, Victor Hugo, Eugène Sue, Maupertuis, Volney,
Voltaire et le reste. Le misanthrope Barrière déclare d'une
écriture lâchée et dédaigneuse qu'il ne se lie jamais avec per-
sonne, afin de pouvoir dire du mal de tout le monde. » Le duc
d'Aumale proteste de son désintéressement politique et signe :
« Votre très-peu ambitieux et très-affectionné condisciple ». Rachel
parle avec une certaine naïveté d'expression et de sentiment d'un
de ses nombreux triomphes à l'étranger et ne se sent pas d'aise
de jouer « devant cette aristhocratic {sic) anglaise, si richement
vêtue ». Chérubini loue les compositions de Rossini qui sont
« d'un dévergondage délicieux ; il est rempli d'idées et de verve,
mais son côté faible est la composition ». Le général Tiirr, dans
une lettre de 1870, rappelle à M. de Bismarck qu'au moment des
angoisses vite oubliées de 1866 il eût volontiers laissé la France
s'arrondir. « Si l'empereur Napoléon veut occuper la Belgique,
disait-il, nous opposerons nos baïonnettes au gouvernement qui
chercherait à y mettre obstacle. » Par contre, dans un opuscule
de 183 1, Balzac, traçant au ministère un programme de politique
extérieure, déclare qu'il faudrait appeler à la liberté la Belgique,
l'Italie et la Pologne, « demander pour la France ses fron-

tières naturelles et réclamer pour la Prusse un territoire plus
large, en exigeant (H) qu'elle eût sa gauche adossée à la mer et
sa droite au Danube ». Le maréchal Sérurier écrit au général
baron d'Arnaud , commandant de l'hôtel des Invalides ,
le 3 mai 1814, sur un beau papier fort portant dans la pâte
deux grands écussons, un portrait de Napoléon le Grand
empereur (1812) et un aigle avec la devise : « Dieu protège
son empire » ; et il ordonne de tirer des Invalides quatre salves
d'artillerie en l'honneur de l'arrivée du roi à Paris, deux en
particulier lors de son entrée à Notre-Dame et lors de son
départ de cette église. — Une autre lettre du même au même,
sur un méchant papier à chandelles, du 20 mars 1815, prescrit
de tirer 150 coups de canon sans indiquer cette fois en l'hon-
neur de qui :

Le sage dit, selon les gens :
Vive le Roi ! Vive la Ligue !

Ltcs-vous fatigué des variations de la politique ? Passons du
grave au doux, du sévère au plaisant : C'est Pradier qui se
plaint de l'humeur envahissante de Ingres, son incommode voisin
d'atelier : « Il est tout seul avec Marne Ingres et il veut tout
l'Institut! » C'est Béranger qui commande à son tailleur un
pantalon d'hiver « brun-noir, sans sous-pieds, à grand pont et à
boucle par derrière ». C'est Madame de Maintenon déclarant
dans un petit billet qu'elle « a laissé le roi en bonne santé, à une
heure, et sa médecine faisant tout ce qu'on peut désirer ».

Quel dommage que nous n'ayons point la clef du tiroir aux
autographes de la Commune, que certaines pièces soient trop
récentes pour être livrées à la publicité ! Il ne faut souhaiter la
mort de personne ; mais il y aura là dans quelques années plus
d'une publication intéressante à faire.

Au milieu de toutes ces lettres dispersées, l'auteur intercale
des souvenirs de ses lectures : vous trouvez tour à tour des vers
d'Hippolyte Rigault à la Saint-Charlemagne de 1839 sur les
classiques et les romantiques, et le discours de réception du
frère Littré comme franc-maçon, une recommandation de Bos-
suet pour un livre de théologie et des extraits fort naïfs du Nou-
veau traité de civilité qui se pratique en France parmi les
honnêtes gens. Paris, Josset, 1680. C'est donc un pot-pourri des
curiosités les plus disparates ; on peut être tranquille en com-
mençant la lecture, la variété en exclut l'ennui.

Après le plaisir de l'esprit qui savoure ces miettes éparpillées
de l'histoire et ces bribes littéraires, le plaisir des yeux qui s'arrê-
tent émerveillés sur les riches arabesques et sur les tons moel-
leux des vieilles faïences. Il y a çà et là quelques vieux Rouen
admirablement rendus par la chromotypic ; d'abord une coupe à
deux anses gracieuse et commode dont les bleus sont d'une
franchise et d'une intensité prodigieuses ; puis un sucrier [mal-
heureusement veuf de son couvercle, de forme majestueuse et
noble, régulièrement paré de fleurs et de feuilles d'un bleu un
peu plus éteint. Ailleurs des décors compliqués étalent des cou-
leurs d'une fraîcheur ravissante : sur une assiette, des Chinois
bleus et jaunes prennent sans façon leurs ébats, tandis que des
plantes absolument fantastiques rampent le long des bords et
qu'une sorte de scarabée s'envole en déployant ses ailes jaunes
et ses pattes rouges; sur une autre un buisson, dont les branches
s'épanouissent en fleurs invraisemblables, porte un faisan doré
à la queue en panache, vers lequel vole le plus [extraordinaire
des papillons inventés par les décorateurs de faïences ; une
troisième dont le fond est vert d'eau est tout enguirlandée de
feuilles, de fleurs et de fruits et offre aurnilieu dans une corbeille
un bouquet de fleurs des champs légères et fraîches. Ne séparons
 
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