2
CHRONIQUE DES ARTS.
entre les mains de M. le surintendant, une
pétition dans laquelle, sous prétexte d’irré-
gularités commises par les membres du
jury, ils demandaient que plusieurs d’entre
eux fussent adjoints aux logistes élus pour
le concours définitif. Grande émotion parmi
les élèves. M. le surintendant réunit le con-
seil supérieur de l’École et, après avoir exa-
miné les études, traverse la cour encombrée
de jeunes gens et déclare que le jugement
ayant été, en effet, mal prononcé, il leur
sera rendu justice. Les élèves élus deman-
dent à être reçus par le conseil pour dé-
fendre leurs intérêts menacés et confondre
les dénonciateurs. Ils n’obtiennent pas sa-
tisfaction et quelques instants après, sans
qu’on ait procédé à une enquête régulière,
sérieuse, qui permît d’établir les faits après
avoir entendu les élèves et les jurés, M. le
surintendant, par une note où aucune irré-
gularité n’est précisée, fait savoir au direc-
teur de l’École que :
« Le conseil supérieur, informé qu’un fait
irrégulier s’est produit avant le jugement de
la seconde épreuve du concours au grand
prix de Rome, dans la section de peinture,
— considère ce fait comme une raison suf-
fisante d’infirmer le jugement; — et, usant
de son droit, il décide à l’unanimité que le
concours sera soumis à un nouveau jury,
tiré au sort, dans les conditions prescrites
par le règlement.
« Le Président,
« Nieuwerkerke. »
Les logistes signent à leur tour une péti-
tion ; les membres du jury et les professeurs
de l’École protestent contre une pareille
façon d’agir. Puis, samedi, le second jury
assemblé déclare qu’il n’y a point lieu de
procéder à un nouvel examen; que le juge-
ment de leurs prédécesseurs reste intact et
ne peut être cassé par une décision de l’ad-
ministration ; que si l’on persistait à vouloir
annuler le premier jugement, leur vote
unanime le rétablirait.
En vérité, tant de bruit était-il nécessaire
pour arriver à ce résultat ? G est le cas ou
jamais de rappeler les vers du poêle qui dit :
... Je chanteray la guerre
Que firent les Titans au maistre du tonnerre
C’est promettre beaucoup-, mais qu’en sort-il souvent?
Du vent.
F. De Tal.
LE GRAND PRIX DE CENT MILLE FRANCS
NOUVELLE VARIATION.
Aujourd’hui ce n’est plus l’Académie des
beaux-arts qui composera le jury pour le
grand prix de cent mille francs. La décision
si honorable prise, samedi dernier, par ce
corps a été brisée et l’administration revient
purement et simplement aux termes du
décret si étrangement modifié une première
fois par une décision de M. le surintendant.
Reste à savoir, sauf variations nouvelles,
qui désignera les trente membres du jury.
C’est au sort ou à M. le surintendant que ce
soin incombera probablement.
Pauvre prix, qu’en adviendra-t-il ?
Si on a tant de peine à trouver un jury,
que sera-ce quand il s’agira d’un lauréat!
F. De Tal.
CORPS LÉGISLATIF.
SÉANCE DU 26 AVRIL.
Ministère de la maison de l’Empereur et des Beaux-
Arts, 4e section, (travaux extraordinaires) : MM.
Adolphe Guéroult,Achille Jubinal, Magnin, Cornu-
det, commissaire du Gouvernement.
CONSTRUCTION DE L’OPÉRA.
M. le président Schneider. La délibération s ouvre
sur le ministère de la maison de l’Empereur et des
Beaux-Arts.
« Quatrième section. Travaux extraordinaires, fr.
4,960,000. «
La parole est à M. Guéroult.
M. Adolphe Guéroult. Messieurs, je voudrais vous
entretenir très-rapidement de la situation des tra-
vaux du nouvel Opéra, et, je le dis tout de suite,
j’invoque deux titres à votre indulgence : je serai
court et je ne vous demanderai pas d'argent. (On
rit.) *
Vous savez dans quelle situation se trouvent les
travaux du nouvel Opéra. Voilà six ans qu’ils ont été
commencés. Le Gouvernement a voulu que les plans
de ce grand travail fussent soumis au concours. On a
lait choix, entre tous les projets présentés, de celui
qui paraissait off rir le plus d’avantages.
Depuis lors, les travaux ont été poursuivis avec as-
sez d activité. On aurait peut-être pu surseoir à la
construction même du grand Opéra; mais puisque les
travaux ont été commencés, il est évident- qu’on ne
peut ni les suspendre, ni les ajourner indéfiniment,
sans donner à la fois un témoignage d’impuissance
et de mauvaise administration.
Il y avait du reste de fortes raisons pour faire le
nouvel Opéra ; l’ancien avait été, ainsi que vous le
savez, construità titre de salle provisoire,mais comme
il n y a guère que le provisoire qui soit définitif dans
notre pays, ce provisoire dure depuis près de cin-
quante ans.
Néanmoins, il faut le reconnaître, l’ancienne salle
ne suffit plus du tout aux besoins du service: elle
était construite dans des proportions beaucoup trop
étroites...
M. Ernest Picard. La nouvelle salle ne contient
pas plus de places.
M. Adolphe Guéroult. Le personnel nécessaire aux
grandes représentations y était entassé d’une façon
gênante pour le service.
De plus, 1 ancien Opéra, placé au milieu d’un quar-
tier compacte, sans que rien le sépare des autres édi-
fices, est un danger au point de vue de l’incendie,
danger contre lequel les voisins ont souvent réclamé.
Il y avait donc, je le répète, de fort bonnes raisons,
pour entreprendre le Douvel Opéra.
M. Ernest Picard. Non! non! — Je demande la
parole. (Mouvements divers.)
M. Adolphe Guéroult. Seulement ce qu’on peut
critiquer, c’est le chiffre de la dépense, qui a dépassé
toutes les prévisions. Il y a cependant à ce chit^re des
circonstances atténuantes. 11 s’est produit des diffi-
cultés imprévue* On a rencontré, dans les fondations,
des nappes d eau souteraines qui ont obligé à des tra-
vaux supplémentaires et par conséquent à des dé-
penses imprévues.
Quoi qu’il en soit, à l’heure qu’il est, la situation est
celle-ci : Il y a 23 millions de dépensés; on calcule
qu’il faut encore dépenser pour mener les construc-
tions à terme, à peu près 10 millions, en y compre-
nant les fonds déjà votés.
Pour 1S69, 2 millions sont votés; 1 million 800,000
flancs le sont pour 1870, ou tout au moins vont l’è-
tre tout à l’heure.
Si la construction ne marche pas plus vite, il fau-
dra cinq ou six années pour terminer le tout. Or, il
ne faut pas perdre de vue que, pendant les cinq ou six
années, tous les travaux faits restent inutiles, que
l’intérêt de l’argent dépensé reste infructueux, et que
le quartier de l’Opéra, pour lequel ce grand monu-
ment devait être une source de richesses, voit ses es-
pérances indéfiniment ajournées. J'ajoute que des ar-
tistes éminents et très-nombreux au nombre de 400
depuis les Baudry, les Carpeaux, les Jouffroy, les Mil-
let, jusqu’aux ornemanistes les plus modestes, sont
attaches a ces travaux, qui sont pour eux une source
de profits et d’honneur.
U y a peut-être un moyen de terminer ces travaux
non-seulement sans rien ajouter au budget, mais
même en le dégrevant des sommes qui sont annuel-
lement portées pour l’Opéra. C’est cette considération
que je prends la liberté de recommander tout parti-
culièrement à la Chambre.
L emplacement de l’ancien Opéra comprend une
superficie de 6,000 mètres environ. Ces 6,ooo mè-
tres, situés dans un quartier très-populeux et très-
luxueux, représentent une valeur d’environ 6 mil-
lions qui, avec les fonds déjà votés, parferaient les
lo millions nécessaires à l'achèvement de l’édifice.
Or, ne serait-il pas possible d’employer la valeur de
ces terrains à l’achèvement du nouvel Opéra; et si le
Gouvernement n’a pas dans ce moment, la disponi-
bilité de cette ressource, ne pourrait-il pas faire ce
qui se fait quelquefois dans nos travaux d’arts et au-
tres, c est-à-dire concéder A uue compagnie particu-
lière a la fois les terrains dont ils feraient ressources,
et l’achèvement des travaux de l’Opéra? Ce procédé,
éviterait des dépenses au pays et en même temps hâterait
l’exécution définitive d’un travail très-impatiemment
attendu par la ville de Paris, par les artistes, par
1 administration de l’Opéra, par le quartier lui-même
tout entier?
11 y a encore un autre moyen possible, ce serait de
faire terminer les travaux par l’industrie privée, en
faisant aux entrepreneurs uue concession temporaire
pour l’exploitation du nouvel Opéra.
Quoi qu’il en soit, il me parait impossible que les
travaux restent aujourd’hui dans l’état où ils sont,
qu'on y consacre annuellement 1 million 500,000 ou
1 million 800,000 francs ou 2 millions, et que cette
situation se prolonge pendant cinq ou six ans, pen-
dant lesquels il faut ajouter un million, ou 1,200,000
d’intérêt par an à la somme déjà dépensée et qui ue
profite à personne.
Je regrette, messieurs, que M. le ministre de la
maison de 1-Empereur et des beaux-arts ne soit pas
ici présent, pour défendre, comme le font ses honora-
bles collègues, le budget de son département. Ce-
pendant j’ai l’espérance que ces observations très-ra-
pides que je viens de faire et que je ne veux pas
prolonger arriveront jusqu’à lui, qu’il comprendra
la nécessité de s’occuper de ce travail important au-
quel se rattachent tant d’espérances, et qu’il voudra
bien, par conséquent, faire droit aux réclamations
que je viens de produire, et auxquelles je ne veux
pas donner plus d’étendue pour ménager les instants
de la Chambre. (Assentiment sur quelques bancs.)
M. Achille Junibal. J’abonde tout à fait dans le
sens des observations de l’honorable M. Guéroult, par
des considérations semblables et par des considéra-
tions différentes. Les voici:...
M. Magnin. Il me semble que la parole devrait
m’appartenir, car je ne parle pas dans le même sens.
M. Achille Junibal. Il s’agit de deuxmots seulement.
J’étais inscrit. Vous pourrez tout aussi bien répondre
après.
L’houorable M. Guéroult ne demande pas qu’on di-
minue l’argent alloué pour le nouvel Opéra; cela est
vrai, mais je demande, moi, qu’on l’augmente, et
que, sinon aujourd’hui, du moins pour l’année pro-
chaine on remette les crédits au point ou ils étaient
en 1869.
Messieurs,j’habite lequartierdu nouvel Opéra,pres-
que en face du charmant hôtel de notre honorable
président, et j’ai reçu depuis quelques jours un très-
grand nombre de réclamations au sujet du projet de
lui qui nous occupe.
Un certain nombre d’artistes, mais surtout de pro-
prétaires de l’élégant quartier qui entoure l’Opéra
sont venus me trouver et m’ont fait observer que si
on diminuait les crédits, et, par conséquent, les tra-
vaux de l’Opéra, aussi longtemps que l’Opéra ne se-
rait pas fini, les maisons qui l’avoisinent n’obtien-
draient pas leur rendement moral; ce qui est parfaite-
ment vrai, et que pour eux, comme pour la ville de
Paris, ce serait uue perte énorme.
Savez-vous, en effet, messieurs, quelle est la va-
leur des immeubles situés autour du nouvel Opéra?
Elle est de 150 millions! N’est-ce pas quelque chose
que de laisser immobiles d’aussi grandes valeurs? Il
y a là des magasins loués jusqu’à 20,000 francs par
an. Ces magasins payent des patentes énormes. Eh
bien! vous les empêchez de travailler.
Il y a en outre les professions artistiques dont par-
lait l’honorable M. Guéroult; les bronziers, les sculp-
teurs, les peintres, les fondeurs, seront certainement
très-gènés pendant cette année; même avec la diminu-
tion forte qu’on fera subir aux travaux de l’Opéra,
leur misère sera grande. Cela s’est déjà produit à
plusieurs reprises, et cette population intéressante des
artistes est venue nous prier de réclamer à cet égard.
Mais ce n’est point là la seule raison à faire va-
loir.
11 y a d’autres considérations que l’honorable M. Gué-
roult a touchées en passant.
Je ne veux en retenir qu’une et c’est celle-ci. Aussi
longtemps que l’Opéra restera inachevé, vous per-
drez l’intéièt de l’argent que vous y avez consacré.
Or l’intérêt de cet argent sur 24 ou 25 millions, c'est
bien quelque chose.
Messieurs, je suis de l’avis de votre commission et
de la Chambre tout entière, j’approuve les écono-
mies et je veux qu’on en fasse; mais il ne faut pas les
faire à tort et à travers.
Je ne suis certes pas de ceux qui vous auraientde-
mandé, au prix de 4 0 millions, la construction d’un
temple si magnifique à l’amour vénal et .aux arts ef-
féminés: non. J’aurais mieux aimé voir rebâtir quel-
ques-unes de nos anciennes cathédrales où l’on songe
à Dieu, et réparer quelques-uns de ces monuments
historiques qui font songer à la gloire de notre pa-
trie; mais enfin, puisque l’Opéra est voté, il faut le
finir et le finir promptement. C’est un moyen de don-
ner satisfaction à ceux qui aiment voir représenter
nos grands chefs-d’œuvre lyriques. C’est un moyen aussi
de diminuer vos dépenses et peut-être même de les
faire cesser tout à fait. (Tiès-bien! très-bien!)
Maintenant, messieurs, puisque nous en sommes à
la maison de l’Empereur, voulez-vous me permettre
encore quelques mots? (Oui! oui! Parlez!) Je ne
vous retiendrai pas longtemps.
Je veux parler d’un arrèléjjqui a été si vivement
critiqué ici et même critiqué illustrement, car il i’a
été pàr l’honorable M. Thiers. Cet arrêté est relatif
aux peintures et autres objets d'art qu’on a l’inten-
tion d’enlever au Louvre pour les donner aux musées
et aux églises des départements.
Permettez-moi donc de dire un mot à propos de
cette mesure, ne l'ùt-ce que par amour paternel, puis-
que j’ai été le premier, en 1865, à introduire cette
question dans la Chambre par un discours qui jeta
l’idée de l’arrêté actuel dans la circulation.
Ma pensée était de faire progresser les études artis-
tiques dans nos départements, en faisant connaître
aux provinces quelques-uns des maîtres et des chefs-
d’œuvre que tous les élèves viennent admirer à Pa-
ris.
Eh bien ! je trouve qu’il n’y a pas à blâmer l’arrêté
dont je parle, et lorsque l’honorable M. Thiers est’
venu dire que ce qui appartenait à l’État devait res-
ter à l’État, que ce qui entre une fois au Louvre n’en
devrait jamais sortir, il s’est trompé, car bien sou-
vent on a échangé, on a donné des objets qui ont ap-
partenu à l’État, et bien souvent aussi ce qui est en-
tré au Louvre en est sorti. Vous avez voté 3 millions
pour acheter le musée Campana. C’était une subven-
tion indirecte, politique au premier chef, et à laquelle
nous nous sommes très-volontiers associés d'accord
avec le Gouvernement, afin de montrer nos sentiments
envers le Saint-Père. Eh bien! où est aujourd'hui le
musée Campana? Est-il sorti tout entier du Louvre?
non; mais il est un peu dispersé partout, et je puis
dire, par expérience et par ce que j’ai vu de mes yeux,
que ses richesses en majolique, en faenza, en vases
étrusques, ont puissamment contribué, en faisant con-
naître les écoles primitives de l’Italie, à faire naître
le goût des arts dans nos départements. Je vous en
conjure donc, continuons à marcher dans cette voie,
c’est la bonne.
Puisque vous voulez la démocratie et la liberté en
politique, il faut aussi les vouloir dans la littérature
et dans les arts. Pour cela qu’y a-t-il à faire ? Décen-
traliser : c’est mettre l’art à la portée de tous, c’est le
populariser, C’est eu un mot démocratiser la pensée
parla vue des chefs-d’œuvre, c’est procéder par suite
à l’éducation des cœurs et à l’élévation des âmes, et
former aux idées et aux études sérieuses nos jeunes
générations. (C’est vrai ! — Très-bien !)
M. Eugène Pelletan. Par la voie législative et non
pas par le caprice administratif.
M. Magnin. Le Gouvernement ne répond pas aux
observations des orateurs ?.. Je ne voudrais pas
prendre son rôle.
M. le président Schneider. Parlez toujours, on
vous répondra.
M. Magnin. Messieurs, je ne me place pas au même
point de vue que les deux honorables orateurs que
vous venez d’entendre. Je crois qu’il est bon, à la
fin d’une législature, d’examiner la question du
nouvel Opéra, que la législature actuelle n’a pas
voté.
Quant à moi, je ne saurais m’associer aux paroles
de l’honorable M. Guéroult, qui nous disait que l’O-
péra nouveau était une nécessité et qu’on avait bien
fait de le voter.
J'espère établir devant vous tout à l’heure que,
lorsqu’on a entraîné la législature précédente à
émettre un vote de cette importance, on lui a donné
des renseignements qui ne seront pas vérifiés et que
je pourrais taxer d’inexactitude.
Examinons, messieurs, quelle est la situation
financière du nouvel Opéra, c’est ce qui doit toucher
les contribuables, c’est ce qui intéresse les électeurs
qui nous font l’honneur de nous envoyer ici.
Dans la législature précédente, on a évalué la dé-
pense du nouvel Opéra à 25 millions, et successive-
ment chaque année on a inscrit au budget extraordi-
naire du ministère de la maison de l’Empereur et des
beaux-arts, des crédits variant de 4 à 3 et 2 millions
et enfin à 1 million 800,000 francs. (Bruit.)
Si la Chambre ûe veut pas écouter, je m’arrêterai,
car je suis incapable de dominer ce bruit. (Parlez!
parlez!)
On a chaque année, j’avais l’honneur de le dire à
la Chambre, inscrit des crédits au budget extraordi-
naire du ministère de la maison de l’Empereur et
des beaux-arts, de 4, de 3, de 2 millions, et, enfin,
on est arrivé, pour l’année 1870, à inscrire un crédit
de t million 800,000 francs, qui complète et épuise
l’évaluation primitive de 25 millions, faite pour les
travaux.
Lorsque ce crédit sera absorbé, il faudra avoir re-
cours à une nouvelle évaluation qui aggravera celle
de 25 millions, complètement absorbée, sans avoir
réussi à achever l’Opéra. Mais, en outre, en dehors
des 25 millions dépensés pour les constructions, il a
fallu acquérir le terrain, qui a une contenance de
15,700 mètres carrés, et qui, estimé ;çu prix de
700 francs le mètre, a coûté une somme de 11 mil-
lions : ajoutez ces 11 millions aux 25 dont je viens
de parler, et vous aurez un total de 36 millions.
Ce n’est pas tout, il faudra terminer les travaux
de l’Opéra, or, pour qui a visité l’intérieur de l’Opéra,
il y a certitude que la dépense à faire sera très-consi-
dérable. On l’évalue à 12 millions, j’accepte cette
évaluation, — je crains qu’elle ne soit inférieure à la
réalité, mais je l’accepte; — il n’en est pas moins
certain qu’il faut ajouter ces 12 millions aux 36 dont
je viens de parler, ce qui fait un total de 48 mil-
lions.
Ainsi, pour avoir cette nouvelle salle d’Opéra que
vous connaissez, pour réaliser cette grande folie, —
je me sers de ce mot avec intention, — on aura dé-
pensé 48 millions. 48 millions !... et personne n’oserait
répondre que cette somme ne sera pas dépassée. C’est-
à-dire, messieurs, qu’on aura dépensé 3,000 francs
de contruction par mètre carré, et 15,000 francs pour
créer chacune des places que contiendra cette salle,
qui doit contenir 3,000 spectateurs. (Mouvements
divers.)
Quand on a entraîné le vote de la législature pré-
cédente en faveur de la construction de l’Opéra, qu’a-
t-on dit ? C était à l’époque où les ministres ne pa-
raissaient pas devant cette Chambre. M. le président
fiu conseil d État, actuellement ministre de la justice,
représentait le Gouvernement. J’ai lu, avec attention
le discours qu’il a prononcé lors de la discussion de
cette question et j’ai vu qu’il avait invoqué deux
arguments : le premier, c’est que les terrains de l’an-
cien Opéra, actuellement existant et servant encore,
avaient une grande valeur et serviraient à payer une
grande partie de la dépense; — ou sait aujourd’hui
à quoi s’en tenir; le second, qui a vivement touché
la Chambre, bien qu’il ne fût pas exact, comme je le
disais en commençant, c’est que le Gouvernement
n’avait aucune confiance dans la solidité de l’Opéra
actuel et qu’il ue voulait pas retarder d’uu seul jour
la construction du nouvel Opéra, car sa responsabilité
était engagée; il y a de cela huit ans, et depuis
huit ans on joue tous les deux jours à l’Opéra; or, si
le Gouvernement avait cette pensée que les specta-
teurs n’étaient pas en sécurité, il serait bien coupa-
ble de ne pas l’avoir interdit immédiatement.
Mais ce n’était là que des moyens oratoires dont on
sè servait à cette époque ; ils ont touché la précédente
législature, mais on ne peut plus les invoquer main-
tenant. C’est ainsi qu’on a entraîné le vote de la
Chambre; c’est ainsi qu’on est parvenu à lui faire
voter d’abord 25 millions, qui seront suivis très-pro-
chainement de 12 autres millions; c’est ainsi que,
pour faire un grand monument destiné à jouer les
grands opéras et à être fréquenté par les classe:
riches et privilégiées ■ (Rumeurs sur plusieurs bancs.)
on n’a pas craint de dépenser, au centre de Paris.
48 millions.
C’est au nbm de la province, c’est au nom des co: -
tribuables que je proteste contre une prodigalité sem-
blable faite des derniers provenant des impôts. Et
quand nous demanderons une subvention de 2 ou
300,000 francs pour d’anciens instituteurs qui re-
çoivent 50 ou 60 traucs de pension, M. le ministre des
finances jettera un cri d’alarme, il s’écriera : Mais
notre budget, nous l’équilibrons avec toutes les peines
imaginables, nous n’arrivons pas à mettre les dé-
penses en rapport avec les recettes ; si la Chambre
votait ces 200.000 francs, tout l’équilibre de noire
CHRONIQUE DES ARTS.
entre les mains de M. le surintendant, une
pétition dans laquelle, sous prétexte d’irré-
gularités commises par les membres du
jury, ils demandaient que plusieurs d’entre
eux fussent adjoints aux logistes élus pour
le concours définitif. Grande émotion parmi
les élèves. M. le surintendant réunit le con-
seil supérieur de l’École et, après avoir exa-
miné les études, traverse la cour encombrée
de jeunes gens et déclare que le jugement
ayant été, en effet, mal prononcé, il leur
sera rendu justice. Les élèves élus deman-
dent à être reçus par le conseil pour dé-
fendre leurs intérêts menacés et confondre
les dénonciateurs. Ils n’obtiennent pas sa-
tisfaction et quelques instants après, sans
qu’on ait procédé à une enquête régulière,
sérieuse, qui permît d’établir les faits après
avoir entendu les élèves et les jurés, M. le
surintendant, par une note où aucune irré-
gularité n’est précisée, fait savoir au direc-
teur de l’École que :
« Le conseil supérieur, informé qu’un fait
irrégulier s’est produit avant le jugement de
la seconde épreuve du concours au grand
prix de Rome, dans la section de peinture,
— considère ce fait comme une raison suf-
fisante d’infirmer le jugement; — et, usant
de son droit, il décide à l’unanimité que le
concours sera soumis à un nouveau jury,
tiré au sort, dans les conditions prescrites
par le règlement.
« Le Président,
« Nieuwerkerke. »
Les logistes signent à leur tour une péti-
tion ; les membres du jury et les professeurs
de l’École protestent contre une pareille
façon d’agir. Puis, samedi, le second jury
assemblé déclare qu’il n’y a point lieu de
procéder à un nouvel examen; que le juge-
ment de leurs prédécesseurs reste intact et
ne peut être cassé par une décision de l’ad-
ministration ; que si l’on persistait à vouloir
annuler le premier jugement, leur vote
unanime le rétablirait.
En vérité, tant de bruit était-il nécessaire
pour arriver à ce résultat ? G est le cas ou
jamais de rappeler les vers du poêle qui dit :
... Je chanteray la guerre
Que firent les Titans au maistre du tonnerre
C’est promettre beaucoup-, mais qu’en sort-il souvent?
Du vent.
F. De Tal.
LE GRAND PRIX DE CENT MILLE FRANCS
NOUVELLE VARIATION.
Aujourd’hui ce n’est plus l’Académie des
beaux-arts qui composera le jury pour le
grand prix de cent mille francs. La décision
si honorable prise, samedi dernier, par ce
corps a été brisée et l’administration revient
purement et simplement aux termes du
décret si étrangement modifié une première
fois par une décision de M. le surintendant.
Reste à savoir, sauf variations nouvelles,
qui désignera les trente membres du jury.
C’est au sort ou à M. le surintendant que ce
soin incombera probablement.
Pauvre prix, qu’en adviendra-t-il ?
Si on a tant de peine à trouver un jury,
que sera-ce quand il s’agira d’un lauréat!
F. De Tal.
CORPS LÉGISLATIF.
SÉANCE DU 26 AVRIL.
Ministère de la maison de l’Empereur et des Beaux-
Arts, 4e section, (travaux extraordinaires) : MM.
Adolphe Guéroult,Achille Jubinal, Magnin, Cornu-
det, commissaire du Gouvernement.
CONSTRUCTION DE L’OPÉRA.
M. le président Schneider. La délibération s ouvre
sur le ministère de la maison de l’Empereur et des
Beaux-Arts.
« Quatrième section. Travaux extraordinaires, fr.
4,960,000. «
La parole est à M. Guéroult.
M. Adolphe Guéroult. Messieurs, je voudrais vous
entretenir très-rapidement de la situation des tra-
vaux du nouvel Opéra, et, je le dis tout de suite,
j’invoque deux titres à votre indulgence : je serai
court et je ne vous demanderai pas d'argent. (On
rit.) *
Vous savez dans quelle situation se trouvent les
travaux du nouvel Opéra. Voilà six ans qu’ils ont été
commencés. Le Gouvernement a voulu que les plans
de ce grand travail fussent soumis au concours. On a
lait choix, entre tous les projets présentés, de celui
qui paraissait off rir le plus d’avantages.
Depuis lors, les travaux ont été poursuivis avec as-
sez d activité. On aurait peut-être pu surseoir à la
construction même du grand Opéra; mais puisque les
travaux ont été commencés, il est évident- qu’on ne
peut ni les suspendre, ni les ajourner indéfiniment,
sans donner à la fois un témoignage d’impuissance
et de mauvaise administration.
Il y avait du reste de fortes raisons pour faire le
nouvel Opéra ; l’ancien avait été, ainsi que vous le
savez, construità titre de salle provisoire,mais comme
il n y a guère que le provisoire qui soit définitif dans
notre pays, ce provisoire dure depuis près de cin-
quante ans.
Néanmoins, il faut le reconnaître, l’ancienne salle
ne suffit plus du tout aux besoins du service: elle
était construite dans des proportions beaucoup trop
étroites...
M. Ernest Picard. La nouvelle salle ne contient
pas plus de places.
M. Adolphe Guéroult. Le personnel nécessaire aux
grandes représentations y était entassé d’une façon
gênante pour le service.
De plus, 1 ancien Opéra, placé au milieu d’un quar-
tier compacte, sans que rien le sépare des autres édi-
fices, est un danger au point de vue de l’incendie,
danger contre lequel les voisins ont souvent réclamé.
Il y avait donc, je le répète, de fort bonnes raisons,
pour entreprendre le Douvel Opéra.
M. Ernest Picard. Non! non! — Je demande la
parole. (Mouvements divers.)
M. Adolphe Guéroult. Seulement ce qu’on peut
critiquer, c’est le chiffre de la dépense, qui a dépassé
toutes les prévisions. Il y a cependant à ce chit^re des
circonstances atténuantes. 11 s’est produit des diffi-
cultés imprévue* On a rencontré, dans les fondations,
des nappes d eau souteraines qui ont obligé à des tra-
vaux supplémentaires et par conséquent à des dé-
penses imprévues.
Quoi qu’il en soit, à l’heure qu’il est, la situation est
celle-ci : Il y a 23 millions de dépensés; on calcule
qu’il faut encore dépenser pour mener les construc-
tions à terme, à peu près 10 millions, en y compre-
nant les fonds déjà votés.
Pour 1S69, 2 millions sont votés; 1 million 800,000
flancs le sont pour 1870, ou tout au moins vont l’è-
tre tout à l’heure.
Si la construction ne marche pas plus vite, il fau-
dra cinq ou six années pour terminer le tout. Or, il
ne faut pas perdre de vue que, pendant les cinq ou six
années, tous les travaux faits restent inutiles, que
l’intérêt de l’argent dépensé reste infructueux, et que
le quartier de l’Opéra, pour lequel ce grand monu-
ment devait être une source de richesses, voit ses es-
pérances indéfiniment ajournées. J'ajoute que des ar-
tistes éminents et très-nombreux au nombre de 400
depuis les Baudry, les Carpeaux, les Jouffroy, les Mil-
let, jusqu’aux ornemanistes les plus modestes, sont
attaches a ces travaux, qui sont pour eux une source
de profits et d’honneur.
U y a peut-être un moyen de terminer ces travaux
non-seulement sans rien ajouter au budget, mais
même en le dégrevant des sommes qui sont annuel-
lement portées pour l’Opéra. C’est cette considération
que je prends la liberté de recommander tout parti-
culièrement à la Chambre.
L emplacement de l’ancien Opéra comprend une
superficie de 6,000 mètres environ. Ces 6,ooo mè-
tres, situés dans un quartier très-populeux et très-
luxueux, représentent une valeur d’environ 6 mil-
lions qui, avec les fonds déjà votés, parferaient les
lo millions nécessaires à l'achèvement de l’édifice.
Or, ne serait-il pas possible d’employer la valeur de
ces terrains à l’achèvement du nouvel Opéra; et si le
Gouvernement n’a pas dans ce moment, la disponi-
bilité de cette ressource, ne pourrait-il pas faire ce
qui se fait quelquefois dans nos travaux d’arts et au-
tres, c est-à-dire concéder A uue compagnie particu-
lière a la fois les terrains dont ils feraient ressources,
et l’achèvement des travaux de l’Opéra? Ce procédé,
éviterait des dépenses au pays et en même temps hâterait
l’exécution définitive d’un travail très-impatiemment
attendu par la ville de Paris, par les artistes, par
1 administration de l’Opéra, par le quartier lui-même
tout entier?
11 y a encore un autre moyen possible, ce serait de
faire terminer les travaux par l’industrie privée, en
faisant aux entrepreneurs uue concession temporaire
pour l’exploitation du nouvel Opéra.
Quoi qu’il en soit, il me parait impossible que les
travaux restent aujourd’hui dans l’état où ils sont,
qu'on y consacre annuellement 1 million 500,000 ou
1 million 800,000 francs ou 2 millions, et que cette
situation se prolonge pendant cinq ou six ans, pen-
dant lesquels il faut ajouter un million, ou 1,200,000
d’intérêt par an à la somme déjà dépensée et qui ue
profite à personne.
Je regrette, messieurs, que M. le ministre de la
maison de 1-Empereur et des beaux-arts ne soit pas
ici présent, pour défendre, comme le font ses honora-
bles collègues, le budget de son département. Ce-
pendant j’ai l’espérance que ces observations très-ra-
pides que je viens de faire et que je ne veux pas
prolonger arriveront jusqu’à lui, qu’il comprendra
la nécessité de s’occuper de ce travail important au-
quel se rattachent tant d’espérances, et qu’il voudra
bien, par conséquent, faire droit aux réclamations
que je viens de produire, et auxquelles je ne veux
pas donner plus d’étendue pour ménager les instants
de la Chambre. (Assentiment sur quelques bancs.)
M. Achille Junibal. J’abonde tout à fait dans le
sens des observations de l’honorable M. Guéroult, par
des considérations semblables et par des considéra-
tions différentes. Les voici:...
M. Magnin. Il me semble que la parole devrait
m’appartenir, car je ne parle pas dans le même sens.
M. Achille Junibal. Il s’agit de deuxmots seulement.
J’étais inscrit. Vous pourrez tout aussi bien répondre
après.
L’houorable M. Guéroult ne demande pas qu’on di-
minue l’argent alloué pour le nouvel Opéra; cela est
vrai, mais je demande, moi, qu’on l’augmente, et
que, sinon aujourd’hui, du moins pour l’année pro-
chaine on remette les crédits au point ou ils étaient
en 1869.
Messieurs,j’habite lequartierdu nouvel Opéra,pres-
que en face du charmant hôtel de notre honorable
président, et j’ai reçu depuis quelques jours un très-
grand nombre de réclamations au sujet du projet de
lui qui nous occupe.
Un certain nombre d’artistes, mais surtout de pro-
prétaires de l’élégant quartier qui entoure l’Opéra
sont venus me trouver et m’ont fait observer que si
on diminuait les crédits, et, par conséquent, les tra-
vaux de l’Opéra, aussi longtemps que l’Opéra ne se-
rait pas fini, les maisons qui l’avoisinent n’obtien-
draient pas leur rendement moral; ce qui est parfaite-
ment vrai, et que pour eux, comme pour la ville de
Paris, ce serait uue perte énorme.
Savez-vous, en effet, messieurs, quelle est la va-
leur des immeubles situés autour du nouvel Opéra?
Elle est de 150 millions! N’est-ce pas quelque chose
que de laisser immobiles d’aussi grandes valeurs? Il
y a là des magasins loués jusqu’à 20,000 francs par
an. Ces magasins payent des patentes énormes. Eh
bien! vous les empêchez de travailler.
Il y a en outre les professions artistiques dont par-
lait l’honorable M. Guéroult; les bronziers, les sculp-
teurs, les peintres, les fondeurs, seront certainement
très-gènés pendant cette année; même avec la diminu-
tion forte qu’on fera subir aux travaux de l’Opéra,
leur misère sera grande. Cela s’est déjà produit à
plusieurs reprises, et cette population intéressante des
artistes est venue nous prier de réclamer à cet égard.
Mais ce n’est point là la seule raison à faire va-
loir.
11 y a d’autres considérations que l’honorable M. Gué-
roult a touchées en passant.
Je ne veux en retenir qu’une et c’est celle-ci. Aussi
longtemps que l’Opéra restera inachevé, vous per-
drez l’intéièt de l’argent que vous y avez consacré.
Or l’intérêt de cet argent sur 24 ou 25 millions, c'est
bien quelque chose.
Messieurs, je suis de l’avis de votre commission et
de la Chambre tout entière, j’approuve les écono-
mies et je veux qu’on en fasse; mais il ne faut pas les
faire à tort et à travers.
Je ne suis certes pas de ceux qui vous auraientde-
mandé, au prix de 4 0 millions, la construction d’un
temple si magnifique à l’amour vénal et .aux arts ef-
féminés: non. J’aurais mieux aimé voir rebâtir quel-
ques-unes de nos anciennes cathédrales où l’on songe
à Dieu, et réparer quelques-uns de ces monuments
historiques qui font songer à la gloire de notre pa-
trie; mais enfin, puisque l’Opéra est voté, il faut le
finir et le finir promptement. C’est un moyen de don-
ner satisfaction à ceux qui aiment voir représenter
nos grands chefs-d’œuvre lyriques. C’est un moyen aussi
de diminuer vos dépenses et peut-être même de les
faire cesser tout à fait. (Tiès-bien! très-bien!)
Maintenant, messieurs, puisque nous en sommes à
la maison de l’Empereur, voulez-vous me permettre
encore quelques mots? (Oui! oui! Parlez!) Je ne
vous retiendrai pas longtemps.
Je veux parler d’un arrèléjjqui a été si vivement
critiqué ici et même critiqué illustrement, car il i’a
été pàr l’honorable M. Thiers. Cet arrêté est relatif
aux peintures et autres objets d'art qu’on a l’inten-
tion d’enlever au Louvre pour les donner aux musées
et aux églises des départements.
Permettez-moi donc de dire un mot à propos de
cette mesure, ne l'ùt-ce que par amour paternel, puis-
que j’ai été le premier, en 1865, à introduire cette
question dans la Chambre par un discours qui jeta
l’idée de l’arrêté actuel dans la circulation.
Ma pensée était de faire progresser les études artis-
tiques dans nos départements, en faisant connaître
aux provinces quelques-uns des maîtres et des chefs-
d’œuvre que tous les élèves viennent admirer à Pa-
ris.
Eh bien ! je trouve qu’il n’y a pas à blâmer l’arrêté
dont je parle, et lorsque l’honorable M. Thiers est’
venu dire que ce qui appartenait à l’État devait res-
ter à l’État, que ce qui entre une fois au Louvre n’en
devrait jamais sortir, il s’est trompé, car bien sou-
vent on a échangé, on a donné des objets qui ont ap-
partenu à l’État, et bien souvent aussi ce qui est en-
tré au Louvre en est sorti. Vous avez voté 3 millions
pour acheter le musée Campana. C’était une subven-
tion indirecte, politique au premier chef, et à laquelle
nous nous sommes très-volontiers associés d'accord
avec le Gouvernement, afin de montrer nos sentiments
envers le Saint-Père. Eh bien! où est aujourd'hui le
musée Campana? Est-il sorti tout entier du Louvre?
non; mais il est un peu dispersé partout, et je puis
dire, par expérience et par ce que j’ai vu de mes yeux,
que ses richesses en majolique, en faenza, en vases
étrusques, ont puissamment contribué, en faisant con-
naître les écoles primitives de l’Italie, à faire naître
le goût des arts dans nos départements. Je vous en
conjure donc, continuons à marcher dans cette voie,
c’est la bonne.
Puisque vous voulez la démocratie et la liberté en
politique, il faut aussi les vouloir dans la littérature
et dans les arts. Pour cela qu’y a-t-il à faire ? Décen-
traliser : c’est mettre l’art à la portée de tous, c’est le
populariser, C’est eu un mot démocratiser la pensée
parla vue des chefs-d’œuvre, c’est procéder par suite
à l’éducation des cœurs et à l’élévation des âmes, et
former aux idées et aux études sérieuses nos jeunes
générations. (C’est vrai ! — Très-bien !)
M. Eugène Pelletan. Par la voie législative et non
pas par le caprice administratif.
M. Magnin. Le Gouvernement ne répond pas aux
observations des orateurs ?.. Je ne voudrais pas
prendre son rôle.
M. le président Schneider. Parlez toujours, on
vous répondra.
M. Magnin. Messieurs, je ne me place pas au même
point de vue que les deux honorables orateurs que
vous venez d’entendre. Je crois qu’il est bon, à la
fin d’une législature, d’examiner la question du
nouvel Opéra, que la législature actuelle n’a pas
voté.
Quant à moi, je ne saurais m’associer aux paroles
de l’honorable M. Guéroult, qui nous disait que l’O-
péra nouveau était une nécessité et qu’on avait bien
fait de le voter.
J'espère établir devant vous tout à l’heure que,
lorsqu’on a entraîné la législature précédente à
émettre un vote de cette importance, on lui a donné
des renseignements qui ne seront pas vérifiés et que
je pourrais taxer d’inexactitude.
Examinons, messieurs, quelle est la situation
financière du nouvel Opéra, c’est ce qui doit toucher
les contribuables, c’est ce qui intéresse les électeurs
qui nous font l’honneur de nous envoyer ici.
Dans la législature précédente, on a évalué la dé-
pense du nouvel Opéra à 25 millions, et successive-
ment chaque année on a inscrit au budget extraordi-
naire du ministère de la maison de l’Empereur et des
beaux-arts, des crédits variant de 4 à 3 et 2 millions
et enfin à 1 million 800,000 francs. (Bruit.)
Si la Chambre ûe veut pas écouter, je m’arrêterai,
car je suis incapable de dominer ce bruit. (Parlez!
parlez!)
On a chaque année, j’avais l’honneur de le dire à
la Chambre, inscrit des crédits au budget extraordi-
naire du ministère de la maison de l’Empereur et
des beaux-arts, de 4, de 3, de 2 millions, et, enfin,
on est arrivé, pour l’année 1870, à inscrire un crédit
de t million 800,000 francs, qui complète et épuise
l’évaluation primitive de 25 millions, faite pour les
travaux.
Lorsque ce crédit sera absorbé, il faudra avoir re-
cours à une nouvelle évaluation qui aggravera celle
de 25 millions, complètement absorbée, sans avoir
réussi à achever l’Opéra. Mais, en outre, en dehors
des 25 millions dépensés pour les constructions, il a
fallu acquérir le terrain, qui a une contenance de
15,700 mètres carrés, et qui, estimé ;çu prix de
700 francs le mètre, a coûté une somme de 11 mil-
lions : ajoutez ces 11 millions aux 25 dont je viens
de parler, et vous aurez un total de 36 millions.
Ce n’est pas tout, il faudra terminer les travaux
de l’Opéra, or, pour qui a visité l’intérieur de l’Opéra,
il y a certitude que la dépense à faire sera très-consi-
dérable. On l’évalue à 12 millions, j’accepte cette
évaluation, — je crains qu’elle ne soit inférieure à la
réalité, mais je l’accepte; — il n’en est pas moins
certain qu’il faut ajouter ces 12 millions aux 36 dont
je viens de parler, ce qui fait un total de 48 mil-
lions.
Ainsi, pour avoir cette nouvelle salle d’Opéra que
vous connaissez, pour réaliser cette grande folie, —
je me sers de ce mot avec intention, — on aura dé-
pensé 48 millions. 48 millions !... et personne n’oserait
répondre que cette somme ne sera pas dépassée. C’est-
à-dire, messieurs, qu’on aura dépensé 3,000 francs
de contruction par mètre carré, et 15,000 francs pour
créer chacune des places que contiendra cette salle,
qui doit contenir 3,000 spectateurs. (Mouvements
divers.)
Quand on a entraîné le vote de la législature pré-
cédente en faveur de la construction de l’Opéra, qu’a-
t-on dit ? C était à l’époque où les ministres ne pa-
raissaient pas devant cette Chambre. M. le président
fiu conseil d État, actuellement ministre de la justice,
représentait le Gouvernement. J’ai lu, avec attention
le discours qu’il a prononcé lors de la discussion de
cette question et j’ai vu qu’il avait invoqué deux
arguments : le premier, c’est que les terrains de l’an-
cien Opéra, actuellement existant et servant encore,
avaient une grande valeur et serviraient à payer une
grande partie de la dépense; — ou sait aujourd’hui
à quoi s’en tenir; le second, qui a vivement touché
la Chambre, bien qu’il ne fût pas exact, comme je le
disais en commençant, c’est que le Gouvernement
n’avait aucune confiance dans la solidité de l’Opéra
actuel et qu’il ue voulait pas retarder d’uu seul jour
la construction du nouvel Opéra, car sa responsabilité
était engagée; il y a de cela huit ans, et depuis
huit ans on joue tous les deux jours à l’Opéra; or, si
le Gouvernement avait cette pensée que les specta-
teurs n’étaient pas en sécurité, il serait bien coupa-
ble de ne pas l’avoir interdit immédiatement.
Mais ce n’était là que des moyens oratoires dont on
sè servait à cette époque ; ils ont touché la précédente
législature, mais on ne peut plus les invoquer main-
tenant. C’est ainsi qu’on a entraîné le vote de la
Chambre; c’est ainsi qu’on est parvenu à lui faire
voter d’abord 25 millions, qui seront suivis très-pro-
chainement de 12 autres millions; c’est ainsi que,
pour faire un grand monument destiné à jouer les
grands opéras et à être fréquenté par les classe:
riches et privilégiées ■ (Rumeurs sur plusieurs bancs.)
on n’a pas craint de dépenser, au centre de Paris.
48 millions.
C’est au nbm de la province, c’est au nom des co: -
tribuables que je proteste contre une prodigalité sem-
blable faite des derniers provenant des impôts. Et
quand nous demanderons une subvention de 2 ou
300,000 francs pour d’anciens instituteurs qui re-
çoivent 50 ou 60 traucs de pension, M. le ministre des
finances jettera un cri d’alarme, il s’écriera : Mais
notre budget, nous l’équilibrons avec toutes les peines
imaginables, nous n’arrivons pas à mettre les dé-
penses en rapport avec les recettes ; si la Chambre
votait ces 200.000 francs, tout l’équilibre de noire