8e Année.
7_ Novembre 1869.
- N" 45 -
LA
*
DES
TOLITIQJJE
ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tons les Dimanches
ABONNEMENTS :
Paris , un an.. . . . 15 fr.
— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 O CENT.
RÉDACTION : Rue Vivienne, 55, Paris
Comptes-rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines-, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Étranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Étranger.
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Départements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne, 55, Paris
LE MUSÉE DU LUXEMBOURG
rendu a l’état.
M. le ministre de la Maison de.T Em-
pereur et dçs Beaux-Arts a reconnu que
le Louvre, malgré ses agrandissements,
est insuffisant pour .contenir les collec-
tions publiques , et nous devons l’en
croire, car nul n’est plus à même que lui
de connaître les besoins de la couronne
et des musées. Depuis cette déclaration,
insérée dans le Journal officiel du 28
mars dernier, le legs de six cents tableaux
faits par M. La Gaze au Louvre est venu
augmenter l’embarras signalé ; aussi, en
présence de ce nouvel accroissement, est-
il permis de craindre que de nombreuses
merveilles de l’antiquité n’aillent rejoin-
dre, dans les greniers, des milliers de
morceaux précieux et les six cent, dix-
neuf peintures éliminées des salles.
Quelles sont les conséquences qui res-
sortent d’une situation officiellement et
publiquement avouée? Elles sont mul-
tiples, et, tout en nous proposant de
les dégager et de les présenter ulté-
rieurement, nous nous contenterons au-
jourd’hui d’insister sur une seule : à
savoir que l’État doit s’opposer à ce que
les galeries du Luxembourg s’appauvris-
sent désormais pour enrichir celles du
Louvre. A la lecture de ces dernières
lignes, il nous semble entendre les ad-
ministrateurs de la liste civile se récrier
et dire : « Quelle est donc cette nouvelle
prétention? Eli quoi! le Musée du Luxem-
bourg n’est-il pas notre propriété aussi
bien que le Musée du Louvre? Ne sommes-
nous pas maîtres chez nous, et voudrait-
on nous empêcher de jouir, comme bon
nous semble, d’œuvres dont l’usufruit,
nous' a été concédé par la constitution ? »
Notre conclusion, pour toute neuve et
toute imprévue qu’elle soit, n’en est pas
moins basée sur des arguments sérieux
et sur la justice. Aux fonctionnaires de
la liste civile qui daigneraient nous
écouter, nous répondrions : « Pour avoir
la libre disposition d’objets d’art que l’on
n’a pas créés, il faut, ou les avoir acquis,
ou les avoir reçus en don. Or, ni l’une ni
l’autre de ces deux conditions n’existe
pour les œuvres conservées dans la gale-
rie du Sénat. Achetées avec les Crédits
votés par la Chambre, exposées dans un
palais de l’État, ces peintures et ces
sculptures ne peuvent être confondues
avec celles mentionnées aux articles IV
et VI du sénatus-consulte de la liste ci-
vile, dont voici la teneur :
• « Article IV. — La dotation mobi-
« lière comprend les diamants, perles*
« pierreries, statues, tableaux, pierres
« gravées, musées, bibliothèques et au-
« très monuments des arts, ainsi que les
« meubles meublants contenus dans l’hô-
. « tel du garde-meuble et les divers pa-
« lais, et établissements royaux. » {Le
Louvre, les Tuileries, VElysée-Bourbon,
Versailles, Saint-Cloud, Meudon, Saifit-
Germuin-en-Laye, Compïègne, Fontai-
nebleau, Pau, et les manufactures de
Sèvres, des Gobelins et de Beauvais.)
« Art. VI. — Les monuments et objets
« d’art [qui seront placés dans les mai-
« sons impériales, soit aux frais de l’État,
« soit aux frais de la couronne, seront
« et demeureront, dès ce moment, pro-
« priété de la couronne. »
Si le Musée du Luxembourg a été rangé
parmi les établissements de la liste ci-
vile, et si, à ce titre, il est régi par un
officier du palais et surveillé par des
gardiens revêtus de la livrée impériale,
tout cela est la conséquence d’une exten-
sion trop grande des droits de la cou-
ronne. Le palais du Luxembourg ne fait
point partie de la dotation réglée par le
sénatus-consulte du 12 décembre 1852;
et, quoi qu’on ait pu faire, quelles que
soient, les dispositions prises, ses collec-
tions demeurent la propriété absolue,
inaliénable et imprescriptible de l’État.
Tels sont les principes, et si -on les a
longtemps méconnus, [il importe d’y re-
venir au plus tôt. A une époque où les
luttes industrielles sont celles qui préoc-
cupent le plus vivement les populations ;
à une époque où les écoles de peinture
et de sculpture exercent une action aussi
♦
directe qu’influente sur le commerce in-
ternational, l’État ne peut continuer à se
désintéresser des questions artistiques et
à laisser la direction- des arts entre les
mains seules cTe la liste civile.
Que ce système ait prévalu quand on
méconnaissait le rôle économique et ci-
vilisateur du dessin, quand la France
croyait devoir s’en rapporter, pour la
solution de tous les problèmes politiques
et sociaux, à la décision unique de son
Souverain, nous le comprenons ; mais il
n’a plus aucune raison d’être, lorsque le
pays réclame et obtient une part légi-
time d’influence dans la gestion de ses
affaires. Sous le régime parlementaire et
de contrôle où nous allons entrer, il n’est
plus possible d’admettre que, par un
singulier mélange d’attributions, un of-
ficier de la couronne puisse, du fait
seul de sa volonté, frapper d’un droit
d’usufruit une propriété publique, ma-
nier à la fois les fonds de l’État et ceux
de la couronne, tenir des fonctions ana-
logues de deux parties susceptibles, à un
moment donné, d’avoir des intérêts op-
posés. Avec l’ère de discussion sur le
point de s’ouvrir, cette situation ne pour-
rait être maintenue sans péril. En persis-
tant à confondre des positions qui n’au-
raient jamais dû cesser d’être distinctes,
on occasionnerait fatalement de regret-
tables conflits. L’impossibilité d’aborder
les questions d’art et d’industrie sans
faire intervenir des officiers de la liste
civile, aurait pour grave et inévitable in-
convénient d’appeler les débats sur un
terrain que les convenances défendent de
franchir. Aussi pour tout homme prudent
et seqsé la séparation du ministère de
la Maison de l’Empereur et des Beaux-
Arts est-elle une conséquence qui dé-
coule immédiatement et nécessairement
de la phase politique où s’engage notre
pays; et comme il convient que, dans
cette situation nouvelle, l’État ait un
musée, ne fût-ce que pour y placer mo-
mentanément ses achats, c’est la galerie
du Sénat qui se trouve naturellement dé-
signée pour cet emploi. Mieux que toute
autre elle est propre à cette destination
par la nature même de ses collections
et par son caractère essentiellement na-
tional ; caractère qu’une loi n’a pas en-
core effacé et qui ne sera jamais effacé,
nous aimons à le croire, pour l’honneur
des arts et de la France.
Émile Galichon.
EXPOSITION ANNUELLE DE VERSAILLES.
A Monsieur le Directeur de la
Chronique des Arts.
Monsieur,
La vérité ne me permettra point de vous
conter merveilles de l’exposition de Ver-
sailles. Elle n’est pas brillante, cette année.
J’allais dire qu’elle est réduite à sa plus
simple expression ; mais c’est au contraire
de l’encombrement que l’on aurait sujet de
se plaindre, car si le livret ne compte que
trois cent soixante-douze numéros, la place
est envahie par des nymphes, des odalisques
et des baigneuses couleur de beurre ou de
chocolat, et par des médiocrités qui n’ont
point l’excuse d’être des produits locaux.
D’où vient que l’expérience acquise, que
le zèle et l’activité de la Société des Amis
des Arts de Seine-et-Oise ne sont pas mieux
récompensés? Devons-nous l’expliquer par
cette difficulté d’être qu’éprouve chez nous
toute création due à l’initiative privée ?
Faudrait-il soupçonner des obstacles cachés?
pressentir chez les artistes qui devraient
contribuer à rendre ces Salons importants,
des chocs, des rivalités d’amour-propre,
des prétentions exagérées ou bien la simple
indifférence ? Je ne sais. Toujours est-il que
la seule colonie versaillaise de peintres et de
graveurs pourrait fournir annuellement un
Salon à la fois agréable et varié. Mais que
de noms manquent au livret ! Et quelle in-
suffisante idée il donnerait du mouvement
artistique dans le département de Seine-et-
Oise !
En ce qui concerne les-admissions et les
refus, peut-être faudrait-il, ici comme dans
toutes les expositions des sociétés particu-
lières, être plus méthodique, plus systéma-
tique au fond, et moins réglementaire dans
la forme. En dehors des œuvres du cru,
(passez-moi l’expression) qui, même faibles,
ont une sorte de droit à la publicité locale,
et à l’exception des artistes célèbres que
l’on accueille même lorsqu’ils- se montrent
inférieurs à eux-mêmes, un choix sévère,
un nombre restreint, devrait être le mot
d’ordre des sociétés artistiqùes de province,
si elles ne veulent écarter de leurs exposi-
tions les gens de goût, les amateurs qui
seuls les fréquentent et les animent. D’ail-
leurs, s’il y a un intérêt réel et un enseigne-
ment pour quelques-uns à comparer la
moyenne du talent dans un pays à de bons
ouvrages venus de loin, on n’apprend rien
à personne en amenant de n’importe où des
ouvrages sans caractère pour les comparer
entre eux. Ce n’est pas non plus le moyen
d’attirer les maîtres. La Société des Amis des
Arts "de Seine-et-Oise aura beau continuer
ses acquisitions régulières et sérieuses, si
elle n’y prend garde, les artistes qui ne sont
point en peine de placer leurs œuvres ne
courront pas volontiers la chance de passer
inaperçus au milieu d’un entourage déplai-
sant. De mauvais tableaux sont bien loin de
faire valoir les bons. J’en trouverais la
preuve dans ce Salon même. Le président
de la Société des Amis des Arts, M. Worms
de Romilly, a tiré de son cabinet, pour les
exposer ici, cinq toiles qui suffiraient à atti-
rer les curieux : une 'Vue de Venise et une
Vue d’Orient par Ziem; l'Heure du duel de
Willems; VArrivée de la caravane (Égypte)
par Gérôme, et un Buveur de Meissonier.
On est comme étonné de cette heureuse
rencontre ; sans doute, les maîtres restent
partout, les maîtres, mais il semble qu’ils
rayonneraient davantage dans un milieu
plus eu harmonie avec eûx.
Ne croyez pas, cependant, que ces cinq
7_ Novembre 1869.
- N" 45 -
LA
*
DES
TOLITIQJJE
ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
Paraissant tons les Dimanches
ABONNEMENTS :
Paris , un an.. . . . 15 fr.
— six mois. 8 fr.
UN NUMÉRO : 2 O CENT.
RÉDACTION : Rue Vivienne, 55, Paris
Comptes-rendus & annonces de ventes publiques de tableaux
dessins, estampes, bronzes, ivoires, médailles, livres rares, autographes
émaux, porcelaines-, armes, objets de curiosité, &c., &c.
Nouvelles des galeries publiques, des ateliers. — Correspondances étrangères
Bibliographie des livres, articles de revues & estampes
publiées en France & à l’Étranger. — Revue des arts industriels
Expositions de Province & de l’Étranger.
Paraissant tous les Dimanches
ABONNEMENTS :
Départements, un an. 18 fr.
— six mois. 10 fr.
Étranger, le port en sus.
ADMINISTRATION : Rue Vivienne, 55, Paris
LE MUSÉE DU LUXEMBOURG
rendu a l’état.
M. le ministre de la Maison de.T Em-
pereur et dçs Beaux-Arts a reconnu que
le Louvre, malgré ses agrandissements,
est insuffisant pour .contenir les collec-
tions publiques , et nous devons l’en
croire, car nul n’est plus à même que lui
de connaître les besoins de la couronne
et des musées. Depuis cette déclaration,
insérée dans le Journal officiel du 28
mars dernier, le legs de six cents tableaux
faits par M. La Gaze au Louvre est venu
augmenter l’embarras signalé ; aussi, en
présence de ce nouvel accroissement, est-
il permis de craindre que de nombreuses
merveilles de l’antiquité n’aillent rejoin-
dre, dans les greniers, des milliers de
morceaux précieux et les six cent, dix-
neuf peintures éliminées des salles.
Quelles sont les conséquences qui res-
sortent d’une situation officiellement et
publiquement avouée? Elles sont mul-
tiples, et, tout en nous proposant de
les dégager et de les présenter ulté-
rieurement, nous nous contenterons au-
jourd’hui d’insister sur une seule : à
savoir que l’État doit s’opposer à ce que
les galeries du Luxembourg s’appauvris-
sent désormais pour enrichir celles du
Louvre. A la lecture de ces dernières
lignes, il nous semble entendre les ad-
ministrateurs de la liste civile se récrier
et dire : « Quelle est donc cette nouvelle
prétention? Eli quoi! le Musée du Luxem-
bourg n’est-il pas notre propriété aussi
bien que le Musée du Louvre? Ne sommes-
nous pas maîtres chez nous, et voudrait-
on nous empêcher de jouir, comme bon
nous semble, d’œuvres dont l’usufruit,
nous' a été concédé par la constitution ? »
Notre conclusion, pour toute neuve et
toute imprévue qu’elle soit, n’en est pas
moins basée sur des arguments sérieux
et sur la justice. Aux fonctionnaires de
la liste civile qui daigneraient nous
écouter, nous répondrions : « Pour avoir
la libre disposition d’objets d’art que l’on
n’a pas créés, il faut, ou les avoir acquis,
ou les avoir reçus en don. Or, ni l’une ni
l’autre de ces deux conditions n’existe
pour les œuvres conservées dans la gale-
rie du Sénat. Achetées avec les Crédits
votés par la Chambre, exposées dans un
palais de l’État, ces peintures et ces
sculptures ne peuvent être confondues
avec celles mentionnées aux articles IV
et VI du sénatus-consulte de la liste ci-
vile, dont voici la teneur :
• « Article IV. — La dotation mobi-
« lière comprend les diamants, perles*
« pierreries, statues, tableaux, pierres
« gravées, musées, bibliothèques et au-
« très monuments des arts, ainsi que les
« meubles meublants contenus dans l’hô-
. « tel du garde-meuble et les divers pa-
« lais, et établissements royaux. » {Le
Louvre, les Tuileries, VElysée-Bourbon,
Versailles, Saint-Cloud, Meudon, Saifit-
Germuin-en-Laye, Compïègne, Fontai-
nebleau, Pau, et les manufactures de
Sèvres, des Gobelins et de Beauvais.)
« Art. VI. — Les monuments et objets
« d’art [qui seront placés dans les mai-
« sons impériales, soit aux frais de l’État,
« soit aux frais de la couronne, seront
« et demeureront, dès ce moment, pro-
« priété de la couronne. »
Si le Musée du Luxembourg a été rangé
parmi les établissements de la liste ci-
vile, et si, à ce titre, il est régi par un
officier du palais et surveillé par des
gardiens revêtus de la livrée impériale,
tout cela est la conséquence d’une exten-
sion trop grande des droits de la cou-
ronne. Le palais du Luxembourg ne fait
point partie de la dotation réglée par le
sénatus-consulte du 12 décembre 1852;
et, quoi qu’on ait pu faire, quelles que
soient, les dispositions prises, ses collec-
tions demeurent la propriété absolue,
inaliénable et imprescriptible de l’État.
Tels sont les principes, et si -on les a
longtemps méconnus, [il importe d’y re-
venir au plus tôt. A une époque où les
luttes industrielles sont celles qui préoc-
cupent le plus vivement les populations ;
à une époque où les écoles de peinture
et de sculpture exercent une action aussi
♦
directe qu’influente sur le commerce in-
ternational, l’État ne peut continuer à se
désintéresser des questions artistiques et
à laisser la direction- des arts entre les
mains seules cTe la liste civile.
Que ce système ait prévalu quand on
méconnaissait le rôle économique et ci-
vilisateur du dessin, quand la France
croyait devoir s’en rapporter, pour la
solution de tous les problèmes politiques
et sociaux, à la décision unique de son
Souverain, nous le comprenons ; mais il
n’a plus aucune raison d’être, lorsque le
pays réclame et obtient une part légi-
time d’influence dans la gestion de ses
affaires. Sous le régime parlementaire et
de contrôle où nous allons entrer, il n’est
plus possible d’admettre que, par un
singulier mélange d’attributions, un of-
ficier de la couronne puisse, du fait
seul de sa volonté, frapper d’un droit
d’usufruit une propriété publique, ma-
nier à la fois les fonds de l’État et ceux
de la couronne, tenir des fonctions ana-
logues de deux parties susceptibles, à un
moment donné, d’avoir des intérêts op-
posés. Avec l’ère de discussion sur le
point de s’ouvrir, cette situation ne pour-
rait être maintenue sans péril. En persis-
tant à confondre des positions qui n’au-
raient jamais dû cesser d’être distinctes,
on occasionnerait fatalement de regret-
tables conflits. L’impossibilité d’aborder
les questions d’art et d’industrie sans
faire intervenir des officiers de la liste
civile, aurait pour grave et inévitable in-
convénient d’appeler les débats sur un
terrain que les convenances défendent de
franchir. Aussi pour tout homme prudent
et seqsé la séparation du ministère de
la Maison de l’Empereur et des Beaux-
Arts est-elle une conséquence qui dé-
coule immédiatement et nécessairement
de la phase politique où s’engage notre
pays; et comme il convient que, dans
cette situation nouvelle, l’État ait un
musée, ne fût-ce que pour y placer mo-
mentanément ses achats, c’est la galerie
du Sénat qui se trouve naturellement dé-
signée pour cet emploi. Mieux que toute
autre elle est propre à cette destination
par la nature même de ses collections
et par son caractère essentiellement na-
tional ; caractère qu’une loi n’a pas en-
core effacé et qui ne sera jamais effacé,
nous aimons à le croire, pour l’honneur
des arts et de la France.
Émile Galichon.
EXPOSITION ANNUELLE DE VERSAILLES.
A Monsieur le Directeur de la
Chronique des Arts.
Monsieur,
La vérité ne me permettra point de vous
conter merveilles de l’exposition de Ver-
sailles. Elle n’est pas brillante, cette année.
J’allais dire qu’elle est réduite à sa plus
simple expression ; mais c’est au contraire
de l’encombrement que l’on aurait sujet de
se plaindre, car si le livret ne compte que
trois cent soixante-douze numéros, la place
est envahie par des nymphes, des odalisques
et des baigneuses couleur de beurre ou de
chocolat, et par des médiocrités qui n’ont
point l’excuse d’être des produits locaux.
D’où vient que l’expérience acquise, que
le zèle et l’activité de la Société des Amis
des Arts de Seine-et-Oise ne sont pas mieux
récompensés? Devons-nous l’expliquer par
cette difficulté d’être qu’éprouve chez nous
toute création due à l’initiative privée ?
Faudrait-il soupçonner des obstacles cachés?
pressentir chez les artistes qui devraient
contribuer à rendre ces Salons importants,
des chocs, des rivalités d’amour-propre,
des prétentions exagérées ou bien la simple
indifférence ? Je ne sais. Toujours est-il que
la seule colonie versaillaise de peintres et de
graveurs pourrait fournir annuellement un
Salon à la fois agréable et varié. Mais que
de noms manquent au livret ! Et quelle in-
suffisante idée il donnerait du mouvement
artistique dans le département de Seine-et-
Oise !
En ce qui concerne les-admissions et les
refus, peut-être faudrait-il, ici comme dans
toutes les expositions des sociétés particu-
lières, être plus méthodique, plus systéma-
tique au fond, et moins réglementaire dans
la forme. En dehors des œuvres du cru,
(passez-moi l’expression) qui, même faibles,
ont une sorte de droit à la publicité locale,
et à l’exception des artistes célèbres que
l’on accueille même lorsqu’ils- se montrent
inférieurs à eux-mêmes, un choix sévère,
un nombre restreint, devrait être le mot
d’ordre des sociétés artistiqùes de province,
si elles ne veulent écarter de leurs exposi-
tions les gens de goût, les amateurs qui
seuls les fréquentent et les animent. D’ail-
leurs, s’il y a un intérêt réel et un enseigne-
ment pour quelques-uns à comparer la
moyenne du talent dans un pays à de bons
ouvrages venus de loin, on n’apprend rien
à personne en amenant de n’importe où des
ouvrages sans caractère pour les comparer
entre eux. Ce n’est pas non plus le moyen
d’attirer les maîtres. La Société des Amis des
Arts "de Seine-et-Oise aura beau continuer
ses acquisitions régulières et sérieuses, si
elle n’y prend garde, les artistes qui ne sont
point en peine de placer leurs œuvres ne
courront pas volontiers la chance de passer
inaperçus au milieu d’un entourage déplai-
sant. De mauvais tableaux sont bien loin de
faire valoir les bons. J’en trouverais la
preuve dans ce Salon même. Le président
de la Société des Amis des Arts, M. Worms
de Romilly, a tiré de son cabinet, pour les
exposer ici, cinq toiles qui suffiraient à atti-
rer les curieux : une 'Vue de Venise et une
Vue d’Orient par Ziem; l'Heure du duel de
Willems; VArrivée de la caravane (Égypte)
par Gérôme, et un Buveur de Meissonier.
On est comme étonné de cette heureuse
rencontre ; sans doute, les maîtres restent
partout, les maîtres, mais il semble qu’ils
rayonneraient davantage dans un milieu
plus eu harmonie avec eûx.
Ne croyez pas, cependant, que ces cinq