N° 20.
DIMANCHE 16 MAL
1869.
ABONNEMENTS.
Paris.Un an : 15 fr,
—.Six mois : 8 fr.
Départements .... Un an : 18 fr.
— .... Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en sus.
Rédaction, 55, rue Vivienne.
Comptes rendus et annonces des ventes
publiques de tableaux, dessins, estampes,
bronzes, ivoires, médailles, livres rares,
autographes, émaux, porcelaines, armes,
objets de curiosité, etc.
Revue des Arts industriels.
CHRONIQUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
GUIDE SPÉCIAL DES ARTISTES ET DES AMATEURS
JOURNAL POLITIQUE PARAISSANT LE DIMANCHE
ABONNEMENTS.
Paris.Un an : 15 fr
—.Six mois : 8 fr
Départements .... Un an : 18 fr.
. . . . Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en
Administration, 55, rue Vivienne.
Correspondances étrangères. — Nouvelles
des galeries publiques, des ateliers. —
Bibliographie des livres, articles de revues
et estampes, publiés en France et à
l’Étranger.
Expositions de Province et de l’Eti anger.
UN JURY DE CLASSEMENT.
Depuis que l’attention publique s’est
portée fortement sur les rouages de l’ad-
ministration des Beaux-Arts, plus d’un
abus a été réparé. M^is il reste bien des
progrès à réaliser et celui d’un classe-
ment mieux ordonné des tableaux aux
expositions annuelles, est un de ceux
qui touche le plus directement aux inté-
rêts des artistes et aux plaisirs de la foule.
Ce classement, ou, si l’on veut, cet ar-
rangement des peintures aurait été, à en
croire les réclamations que nous ne ces-
sons d’entendre, très-inférieur à ceux des
années précédentes qui étaient déjà loin
d’avoir nos sympathies.
Certes, rien ne rappelle moins une
galerie que cet effroyable entassement
de 3,676 tableaux, dessins, aquarelles,
gravures, faïences, projets d’architec-
ture, etc., et de 55i groupes, bustes,
statues, médaillons, etc., etc.! Lorsque
l’on parcourt cette enfilade interminable
de salles larges ou carrées, aveuglantes
de lumière ou à demi - obscures, on se
sent plein d’indulgence pour les agents
de l’administration qui ont la charge
d’accrocher tous ces cadres, d’alignertous
ces bustes. Leur responsabilité est trop
grande et, nous le savons 'de visu, leur
bonne foi est trop complète pour que nous
ayons un moment la pensée de leur re-
procher les erreurs de détail. Telle toile
d’un coloriste fin est incendiée par le voi-
sinage d’un pétard de couleur. Telle
aquarelle lavée largement est mise en pé-
nitence dans un angle. Tel cadre d’eaux-
fortes délicates et cherchées est accroché
à deux mètres de haut, là où finit la bor-
dure de telle autre eau-forte esquissée à
grands traits... Ce sont là des malheurs
presque inévitables et pendant le remanie-
ment qui se fait au milieu du salon, après
il est vrai que le jury a fonctionné, on
peut dans une certaine mesure réparer
ces erreurs.
Nous ne voulons pas insister, ni re-
procher, par exemple, aux agents de
l’administration, de se faire les esclaves
du parallélisme des bordures et de subir
la tyrannie de la dimension de toiles, au
lieu de consulter les résultats de la jux-
taposition d’œuvres de styles analogues
ou distants et de colorations amies ou en-
nemies. Plusieurs des personnes qui con-
courent à ces exécutions annuelles ont
blanchi sous le harnois. Plusieurs ont
collaboré aux arrangements des salles de
la peinture française au Louvre, C’est
assez dire que notre latin serait perdu.
Nous voudrions simplement qu’on leur
enlevât le classement des œuvres d’art,,
aux salons annuels.
En bonne logique , c’est aux artistes
qu’il appartient de marquer leurs places
et non aux conservateurs et aux sous-
conservateurs de nos collections natio-
nales. La place de ceux-ci est bien mieux,
au Louvre : dans les galeries, pour veiller
au bon entretien des trésors dont ils ont
la garde, ou dans leur cabinet pour dres-
ser des catalogues qui nous instruisent.
Ils éviteraient, en se retirant, toute récri-
mination et les artistes apprendraient
quelque peu à faire eux-mêmes leurs
propres affaires.
Si un jury de classement était nommé
par les'artistes en même temps que le
jury d’admission, le scandale provoqué
par le renvoi du salon carré du tableau
purement philosophique de M. Chenavard
aurait-il remonté aussi haut? Que per-
drait donc à cela l’administration? Tout
au plus le stérile avantage de composer
un salon d’honneur avec quelques mal-
heureux tableaux ofliciels et quelques
portraits plus malheureux encore de no-
tabilités gouvernementales.
Le jury de classement composerait, lui,
un salon d’honneur avec les morceaux
véritablement dignes de l’étude de la
critique et de l’applaudissement de la
foule. Y figurer serait la récompense d’une
carrière honorablement remplie ou d’un
tableau d’éclat. Le public y entrerait
avec recueillement et épèlerait les noms
des artistes que leurs pairs lui désigne-
raient comme les maîtres dans la généra-
tion présente.
Dans les quatre salles qui avoisinent
le salon carré, le jury de classement,
grouperait les deux ou trois cents toiles
qui sont surtout dignes d’intérêt à des
titres divers. Le reste serait arrangé avec
moins de pompe èt ne serait visité que
par lespersonnes, artistes ou littérateurs,
que leurs études rivent au détail. Si dans
ces limbes gémissait quelque victime du
parti pris, ou de l’envie, ou de l’oubli,
les crisseraient vite entendus et le public
se porterait juge.
Ce projet n’est point une utopie! Il
remédierait à ce flot toujours croissant
des envois et des admissions sans froisser
la liberté, puisque les juges seraient élus
par les artistes eux-mêmes. Il redonne-
rait quelque courage au public qui, cette
année surtout, est véritablement fatigué,
ennuyé, moins nombreux.
C’est ainsi que l’on procède en Bel-
gique. J’ai visité il y a quelques années
l’exposition de Bruxelles ; il m’a semblé
que les tableaux étaient assortis avec
beaucoup plus de soin, d’intelligence que
chez nous.
C’est presque ainsi que l’on procède à
Londres. C’est-à-dire que ce sont deux
académiciens — cette année, c’étaient
MM.Watts et Leighton, — qui dirigent le
classement. J’arrive de Londres. Je dois
dire que le classement des nouvelles salles
de l’Académie est parfait de goût, de
clarté, de convenance. Le ministère des
Beaux-Arts devrait envoyer à Londres,
en mission, quelqu’un de ses agents pour
étudier un arrangement qui se fait, m’a-
t-on dit, avec une rapidité merveilleuse.
Que quelques artistes signent une pé-
tition et M. le surintendant, qui remanie
les programmes avec une si merveilleuse
facilité, s’empressera de leur accorder
pour l’an prochain un nouveau règlement
plus conforme à la logique et à Injustice.
Un jury de classement a autant d’im-
portance pratique qu’un jury d’admission.
Il ne suffit pas d’entrer au Salon , il faut
encore y être vu.
Pii. Bürty.
UNE LETTRE DE CHARLET.
Le colonel de la Combe, dans son livre sur
Charlet cl son œuvre, a publié des lettres
fort amusantes de cet artiste qui se servait
de sa plume au moins aussi habilement
que de son crayon.
La lettre que nous publions aujourd’hui,
est empruntée à un riche cabinet d’auto-
graphes, celui de M. Chambry. Elle est
inédite. La gaieté de Charlet qui, plus tard,
devint amère et factice, est encore à cette
date, toute parisienne et toute gauloise.
Cette lettre est adressée à M. Cluse!, alors
lieutenant de voltigeurs au 11e régiment de
ligne, en garnison de Brest.
« Je vous remercie ! monsieur Clusel,
vous êtes un digne homme; j’ai reçu votre
bonne lettre, et suis sensible à tous les té-
moignages d’estime qu’elle contient, pour
moi ; je vous en renvoie pareille somme
craignant seulement d’être accusé de négli-
gence, mais soyez indulgent et prenez tout
en bonne part. J’ai comme vous remis d’un
jour à l’autre pour écrire, et il a fallu que
mes veillées fussent commencées pour trou-
ver le temps de vous répondre.
« Le tableau de votre cantonnement en
garnison tient tant soit peu du Rembrant,
les ombres dominent. Vous que les misères
humaines affligent quelquefois trop, vous,
dont la philosophie tient aussi du Rembrant,
ne devez pas être heureux dans cette terre
maudite, dans ce Brest infect qui pue le
vice et la fange, car decesà0,000 réprouvés
doitseleveruneexhalaisoncriminelle:ondoit
sentir le meurtre à deux lieues à la ronde.
Pauvre monsieur Ciusel, je vous plaindrais
sérieusement s’il pouvait être dans ma con-
formation morale de pouvoir être sérieux
cinq minutes! mais je vous plains parce que
je sais que vous prenez tout au sérieux et
pensez justement que la condition humaine
n’est, morbleu, pas couleur de rose. Enfin je
vous engage à chercher des distractions dans
le travail. Je vois par votre lettre que vous
avez fait deux portraits; je vous engage for-
tement à en faire le plus que vous pourrez ;
tâchez d’arriver à bien comprendre les
masses avant les détails, car voir d’abord les
détails c’est mettre les boutons sur un habit
qui n’egt pas cousu. Or il arrive qu’en vou-
lant boutonner l’habit, les morceaux ne peu-
vent aller ensemble. Ainsi donc coupons
notre habit, cousons-le fortement et ensuite
mettons boutons et boutonnières, ou tous
autres détails et broderie. Tâchez aussi de
vous mettre à l’aise, laissez-vous un peu
glisser et vous retomberez sur vos pieds, je
vous le garantis, donnez-vous de l’alaise
dans le travail : trop de propreté, trop d’at-
tention amènent la sécheresse et la froideur
qui sont sœurs. Enfin je vous répète tout
ce que je vous ait dit à Paris, je désire vous
y revoir et vous être utile par mes conseils.
« J’ai maintenant un très-bel atelier rue de
Vaugirard, 75, au milieu des jardins; il est
vaste ei bien ordonné. Ce n’est plus ce cloa-
que de la rue de Grenelle dont le seul sou-
venir me fait mal au cœur; je suis bien, on
peut travailler vingt sans se gêner; il à 30
pieds de long.
« J’ai perdu la plus jeune de mes petites
filles il y a deux mois, j’ai peine à m’y habi-
DIMANCHE 16 MAL
1869.
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Paris.Un an : 15 fr,
—.Six mois : 8 fr.
Départements .... Un an : 18 fr.
— .... Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en sus.
Rédaction, 55, rue Vivienne.
Comptes rendus et annonces des ventes
publiques de tableaux, dessins, estampes,
bronzes, ivoires, médailles, livres rares,
autographes, émaux, porcelaines, armes,
objets de curiosité, etc.
Revue des Arts industriels.
CHRONIQUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
GUIDE SPÉCIAL DES ARTISTES ET DES AMATEURS
JOURNAL POLITIQUE PARAISSANT LE DIMANCHE
ABONNEMENTS.
Paris.Un an : 15 fr
—.Six mois : 8 fr
Départements .... Un an : 18 fr.
. . . . Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en
Administration, 55, rue Vivienne.
Correspondances étrangères. — Nouvelles
des galeries publiques, des ateliers. —
Bibliographie des livres, articles de revues
et estampes, publiés en France et à
l’Étranger.
Expositions de Province et de l’Eti anger.
UN JURY DE CLASSEMENT.
Depuis que l’attention publique s’est
portée fortement sur les rouages de l’ad-
ministration des Beaux-Arts, plus d’un
abus a été réparé. M^is il reste bien des
progrès à réaliser et celui d’un classe-
ment mieux ordonné des tableaux aux
expositions annuelles, est un de ceux
qui touche le plus directement aux inté-
rêts des artistes et aux plaisirs de la foule.
Ce classement, ou, si l’on veut, cet ar-
rangement des peintures aurait été, à en
croire les réclamations que nous ne ces-
sons d’entendre, très-inférieur à ceux des
années précédentes qui étaient déjà loin
d’avoir nos sympathies.
Certes, rien ne rappelle moins une
galerie que cet effroyable entassement
de 3,676 tableaux, dessins, aquarelles,
gravures, faïences, projets d’architec-
ture, etc., et de 55i groupes, bustes,
statues, médaillons, etc., etc.! Lorsque
l’on parcourt cette enfilade interminable
de salles larges ou carrées, aveuglantes
de lumière ou à demi - obscures, on se
sent plein d’indulgence pour les agents
de l’administration qui ont la charge
d’accrocher tous ces cadres, d’alignertous
ces bustes. Leur responsabilité est trop
grande et, nous le savons 'de visu, leur
bonne foi est trop complète pour que nous
ayons un moment la pensée de leur re-
procher les erreurs de détail. Telle toile
d’un coloriste fin est incendiée par le voi-
sinage d’un pétard de couleur. Telle
aquarelle lavée largement est mise en pé-
nitence dans un angle. Tel cadre d’eaux-
fortes délicates et cherchées est accroché
à deux mètres de haut, là où finit la bor-
dure de telle autre eau-forte esquissée à
grands traits... Ce sont là des malheurs
presque inévitables et pendant le remanie-
ment qui se fait au milieu du salon, après
il est vrai que le jury a fonctionné, on
peut dans une certaine mesure réparer
ces erreurs.
Nous ne voulons pas insister, ni re-
procher, par exemple, aux agents de
l’administration, de se faire les esclaves
du parallélisme des bordures et de subir
la tyrannie de la dimension de toiles, au
lieu de consulter les résultats de la jux-
taposition d’œuvres de styles analogues
ou distants et de colorations amies ou en-
nemies. Plusieurs des personnes qui con-
courent à ces exécutions annuelles ont
blanchi sous le harnois. Plusieurs ont
collaboré aux arrangements des salles de
la peinture française au Louvre, C’est
assez dire que notre latin serait perdu.
Nous voudrions simplement qu’on leur
enlevât le classement des œuvres d’art,,
aux salons annuels.
En bonne logique , c’est aux artistes
qu’il appartient de marquer leurs places
et non aux conservateurs et aux sous-
conservateurs de nos collections natio-
nales. La place de ceux-ci est bien mieux,
au Louvre : dans les galeries, pour veiller
au bon entretien des trésors dont ils ont
la garde, ou dans leur cabinet pour dres-
ser des catalogues qui nous instruisent.
Ils éviteraient, en se retirant, toute récri-
mination et les artistes apprendraient
quelque peu à faire eux-mêmes leurs
propres affaires.
Si un jury de classement était nommé
par les'artistes en même temps que le
jury d’admission, le scandale provoqué
par le renvoi du salon carré du tableau
purement philosophique de M. Chenavard
aurait-il remonté aussi haut? Que per-
drait donc à cela l’administration? Tout
au plus le stérile avantage de composer
un salon d’honneur avec quelques mal-
heureux tableaux ofliciels et quelques
portraits plus malheureux encore de no-
tabilités gouvernementales.
Le jury de classement composerait, lui,
un salon d’honneur avec les morceaux
véritablement dignes de l’étude de la
critique et de l’applaudissement de la
foule. Y figurer serait la récompense d’une
carrière honorablement remplie ou d’un
tableau d’éclat. Le public y entrerait
avec recueillement et épèlerait les noms
des artistes que leurs pairs lui désigne-
raient comme les maîtres dans la généra-
tion présente.
Dans les quatre salles qui avoisinent
le salon carré, le jury de classement,
grouperait les deux ou trois cents toiles
qui sont surtout dignes d’intérêt à des
titres divers. Le reste serait arrangé avec
moins de pompe èt ne serait visité que
par lespersonnes, artistes ou littérateurs,
que leurs études rivent au détail. Si dans
ces limbes gémissait quelque victime du
parti pris, ou de l’envie, ou de l’oubli,
les crisseraient vite entendus et le public
se porterait juge.
Ce projet n’est point une utopie! Il
remédierait à ce flot toujours croissant
des envois et des admissions sans froisser
la liberté, puisque les juges seraient élus
par les artistes eux-mêmes. Il redonne-
rait quelque courage au public qui, cette
année surtout, est véritablement fatigué,
ennuyé, moins nombreux.
C’est ainsi que l’on procède en Bel-
gique. J’ai visité il y a quelques années
l’exposition de Bruxelles ; il m’a semblé
que les tableaux étaient assortis avec
beaucoup plus de soin, d’intelligence que
chez nous.
C’est presque ainsi que l’on procède à
Londres. C’est-à-dire que ce sont deux
académiciens — cette année, c’étaient
MM.Watts et Leighton, — qui dirigent le
classement. J’arrive de Londres. Je dois
dire que le classement des nouvelles salles
de l’Académie est parfait de goût, de
clarté, de convenance. Le ministère des
Beaux-Arts devrait envoyer à Londres,
en mission, quelqu’un de ses agents pour
étudier un arrangement qui se fait, m’a-
t-on dit, avec une rapidité merveilleuse.
Que quelques artistes signent une pé-
tition et M. le surintendant, qui remanie
les programmes avec une si merveilleuse
facilité, s’empressera de leur accorder
pour l’an prochain un nouveau règlement
plus conforme à la logique et à Injustice.
Un jury de classement a autant d’im-
portance pratique qu’un jury d’admission.
Il ne suffit pas d’entrer au Salon , il faut
encore y être vu.
Pii. Bürty.
UNE LETTRE DE CHARLET.
Le colonel de la Combe, dans son livre sur
Charlet cl son œuvre, a publié des lettres
fort amusantes de cet artiste qui se servait
de sa plume au moins aussi habilement
que de son crayon.
La lettre que nous publions aujourd’hui,
est empruntée à un riche cabinet d’auto-
graphes, celui de M. Chambry. Elle est
inédite. La gaieté de Charlet qui, plus tard,
devint amère et factice, est encore à cette
date, toute parisienne et toute gauloise.
Cette lettre est adressée à M. Cluse!, alors
lieutenant de voltigeurs au 11e régiment de
ligne, en garnison de Brest.
« Je vous remercie ! monsieur Clusel,
vous êtes un digne homme; j’ai reçu votre
bonne lettre, et suis sensible à tous les té-
moignages d’estime qu’elle contient, pour
moi ; je vous en renvoie pareille somme
craignant seulement d’être accusé de négli-
gence, mais soyez indulgent et prenez tout
en bonne part. J’ai comme vous remis d’un
jour à l’autre pour écrire, et il a fallu que
mes veillées fussent commencées pour trou-
ver le temps de vous répondre.
« Le tableau de votre cantonnement en
garnison tient tant soit peu du Rembrant,
les ombres dominent. Vous que les misères
humaines affligent quelquefois trop, vous,
dont la philosophie tient aussi du Rembrant,
ne devez pas être heureux dans cette terre
maudite, dans ce Brest infect qui pue le
vice et la fange, car decesà0,000 réprouvés
doitseleveruneexhalaisoncriminelle:ondoit
sentir le meurtre à deux lieues à la ronde.
Pauvre monsieur Ciusel, je vous plaindrais
sérieusement s’il pouvait être dans ma con-
formation morale de pouvoir être sérieux
cinq minutes! mais je vous plains parce que
je sais que vous prenez tout au sérieux et
pensez justement que la condition humaine
n’est, morbleu, pas couleur de rose. Enfin je
vous engage à chercher des distractions dans
le travail. Je vois par votre lettre que vous
avez fait deux portraits; je vous engage for-
tement à en faire le plus que vous pourrez ;
tâchez d’arriver à bien comprendre les
masses avant les détails, car voir d’abord les
détails c’est mettre les boutons sur un habit
qui n’egt pas cousu. Or il arrive qu’en vou-
lant boutonner l’habit, les morceaux ne peu-
vent aller ensemble. Ainsi donc coupons
notre habit, cousons-le fortement et ensuite
mettons boutons et boutonnières, ou tous
autres détails et broderie. Tâchez aussi de
vous mettre à l’aise, laissez-vous un peu
glisser et vous retomberez sur vos pieds, je
vous le garantis, donnez-vous de l’alaise
dans le travail : trop de propreté, trop d’at-
tention amènent la sécheresse et la froideur
qui sont sœurs. Enfin je vous répète tout
ce que je vous ait dit à Paris, je désire vous
y revoir et vous être utile par mes conseils.
« J’ai maintenant un très-bel atelier rue de
Vaugirard, 75, au milieu des jardins; il est
vaste ei bien ordonné. Ce n’est plus ce cloa-
que de la rue de Grenelle dont le seul sou-
venir me fait mal au cœur; je suis bien, on
peut travailler vingt sans se gêner; il à 30
pieds de long.
« J’ai perdu la plus jeune de mes petites
filles il y a deux mois, j’ai peine à m’y habi-