N9 29.
DIMANCHE 18 JUILLET.
1869,
Rédaction, 55, rue Vivienne.
ABONNEMENTS.
Paris.Un an : 1 5 fr.
—.Six mois : 8 fr.
Départements .... Un an : 18 fr.
— .... Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en sus.
Comptes rendus et annonces des ventes
publiques de tableaux, dessins, estampes,
bronzes, ivoires, médailles, livres rares,
autographes, émaux, porcelaines, armes,
objets de curiosité, etc.
Revue des Arts industriels.
CHRONIQUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
GUIDE SPÉCIAL DES ARTISTES ET DES AMATEURS
JOURNAL POLITIQUE PARAISSANT LE DIMANCHE
ABONNEMENTS.
Paris.
Un an :
15
Six mois
: 8
Départements . . . .
Un an :
18
— . . . .
Six mois
: 10
Un numéro :
: 20 cent.
Pour l’étranger,
le port en
SUS.
Administration, 55, rue Vivienne,
Correspondances étrangères. — Nouvelles
des galeries publiques, des ateliers. —
Bibliographie des livres, articles de revues
et estampes, publiés en France et à
l’Etranger.
Expositions de Province et de l’Et. anger.
APPEL
AUX ARTISTES ET AUX AMATEURS.
L’administration des Beaux-Arts ne
saurait invoquer une seule bonne raison
pour justifier son mutisme sur les œuvres
achetées par elle dans le but d’enrichir
nos musées ou d’orner nos monuments.
La publication des acquisitions a, poul-
ie monde artiste, toute l’importance de
l’insertion des débats législatifs dans le
Journal officiel; par elle seulement on
peut juger les doctrines et les sentiments
des fonctionnaires chargés de la direction
des Beaux-Arts : et si c’est un droit pour
nous tous que de connaître ces doctrines
et ces sentiments, c’est un devoir pour
ces fonctionnaires que de les proclamer.
Le placement d’un tableau dans un mu-
sée n’est pas un fait aussi indifférent
qu’on paraît le supposer ; pour l’artiste,
c’est un honneur qui mérite une publi-
cité au moins égale à celle donnée aux
médailles; pour le peuple, c’est un acte
qui contribue au développement ou à la
dépravation de son goût. Il importe donc,
à des points de vue considérables, géné-
raux et privés, qu’une grande publicité
soit accordée aux acquisitions de l’État;
et cependant l’administration s’y refuse
dans la crainte de voir discuter les motifs
qui trop souvent l’inspirent ! Mais si l’ad-
ministration aime à s’entourer de té-
nèbres favorables aux caprices du bon
plaisir, il faut que les intéressés à la ces-
sation d’un semblable régime dissipent les
ténèbres et fassent luire une clarté qui
seule peut nous assurer des décisions ré-
fléchies et vraiment utiles à l’art. Pour
atteindre ce but, nous faisons appel à
tous les artistes et amateurs ; que ceux
qui connaissent des œuvres achetées par
le ministère de la maison de l’Empereur
et des Beaux-Arts nous les fassent con-
naître, qu’ils nous mettent à même d’en
donner une liste aussi complète que pos-
sible, et, en agissant ainsi, ils se montre-
ront artistes préoccupés de la gloire de
l’école française et citoyens soucieux de
leur dignité.
Émile Galichon.
Des rumeurs fort diverses circulent sur la
situation nouvelle qui serait faite aux Beaux-
Arts dans le remaniement des ministères. En
principe il paraît décidé que le ministère de
la maison de l’Empereur et des Beaux-Arts
sera supprimé. La division des beaux-arts,
suivant les uns, serait annexée (comme
avant et pendant 1848) au ministère de l’in-
térieur; tandis que, suivant les autres, cette
division ferait partie d’un ministère des tra-
vaux publics qu’il serait question de créer.
La nécessité de fonder un ministère des
travaux publics ne nous paraît pas assez dé-
montrée pour que nous puissions ajouter foi
à sa formation. La réunion de la division des
beaux-arts au ministère de l’intérieur aura
le grave inconvénient de placer les arts dans
une situation secondaire, de les laisser, ce
qu’ils ont été trop longtemps, un instrument
politique, un moyen électoral, un système de
récompenses à la disposition du ministre de
l’intérieur. La raison veut que cette division
importante fasse partie du ministère de l’in-
struction publique, dans la dépendance du-
quel l’avait placé la Convention; mais à quelle
époque la raison a-t-elle été écoulée en pa-
reille matière? Espérons que cette transfor-
mation concordera avec l’abolition du droit
de virement qui change si facilement en fic-
tion le vote du budget par les chambres. S’il
n'en était pas ainsi, la direction des beaux-arts
se trouverait, hélas! dans la triste situation
de l’agneau devant le loup à jeun et plein de
rage. Quoi qu’il arrive, la séparation abso-
lue de la liste civile avec l’État semble de-
voir se réaliser et tout le monde applaudira
à la fin d’une alliance qui a été fertile en ré-
sultats fâcheux.
Quant au Louvre, avec ses collections, il
continuera à faire partie de la liste civile, à
moins toutefois que l’Empereur ne songe à
profiter de ces remaniements considérables
pour abandonner une jouissance qui ne
crée que des embarras et qui gêne considé-
rablement le développement de nos collec-
tions et l’appropriation de toutes nos ri-
chesses d’art à l’enseignement public.
F. De Tal.
Nous prions instamment tous les artistes
et amateurs de vouloir bien nous faire par-
venir, le plus prochainement possible, les
observations, corrections et renseignements
nouveaux, relatifs à Y Annuaire que la Gazette
des Beaux-Arts vient de publier. 11 est im-
portant que cet ouvrage soit aussi complet
et aussi exact que possible, et pour cela il
est nécessaire que tous les intéressés contri-
buent à son perfectionnement.
Nous demanderons aux Sociétés savantes
de vouloir bien nous transmettre leurs sta-
tuts et les livrets des expositions provin-
ciales, qui renferment tant de documents.
VENTE D’UN RETABLE
PAR LA FABRIQUE DE LUCV.
Auxerre, 12 juillet.
Cher monsieur, a
Je m’empresse de vous adresser, les ren-
seignements que vous désirez sur le retable
de Lucy, dont l’article de ITonne, reproduit
dans le dernier n° de la Chronique, a signalé
la disparition heureusement momentanée.
C’est un curieux spécimen de la sculpture
sur bois de l’époque ogivale et le plus im-
portant qui existe encore dans ce départe-
ment. Le ciseau naïf d’un maître de la fin
du xve siècle ou du commencement du xvie,
y a figuré, en divers panneaux disposés sur
deux rangs, Y Histoire de la Vierge et sa Glo-
rification, le tout en figurines de 20 à 25
centimètres.
Les personnages, presque tous de plein
relief, sont recouverts, selon la mode du
temps, de couleurs voyantes et recham-
pis en or par un enlumineur. Plusieurs ont
une attitude expressive, pleine de mouve-
ment et de caractère. Une restauration en-
treprise par un artiste de goût et de talent,
M. Passepont, l’un des conservateurs les
plus méritants de notre musée, a fait réap-
paraître, presque en totalité, les couleurs et
les dorures éteintes sous d’épaisses couches
de badigeon. Ce monument, en somme, a
une réelle importance et le musée d’Auxerre
qui l’a recueilli s’en montre fier à juste
titre.
11 signalait autrefois à la visite des ama-
teurs l'humble église qui le possédait. Lu-
cy est un petit village écarté, à six lieues
d’Auxerre et non loin des fameuses grottes
d’Arcy. Un beau jour de 1858 un de ces
opérateurs, si habiles à détruire les tableaux
qu’ils prétendent restaurer, y débarqua ,
rafistola tant bien que mal les toiles de l’é-
glise; puis sa tâche terminée, proposa à
l’honnête curé du lieu de lui céder ledit
retable pour tout salaire; marché proposé,
marché conclu, et notre barbouilleur pro-
céda sans délai à l’enlèvement de son butin,
qu’il vendit bientôt à un brocanteur de
Paris.
Mais au bout d’un mois environ l’affaire
s’ébruita. Informée du rapt, l’administration
locale le signala au préfet de police, M. Boi-
telle, autrefois préfet à Auxerre et qui, par
cette raison peut-être, mit une rare ac-
tivité à retrouver la piste du restaurateur
ambulant. On y parvint, cependant, après
plusieurs mois de recherches. Fort heureu-
sement le retable n’avait point quitté Paris;
il fut saisi malgré les protestations du mar-
chand, M. Donzelle, rue des Gravilliers, et
mis sous scellé ; puis un procès s’engagea
entre celui-ci et la fabrique de Lucy qui ob-
tint enfin gain de cause.
Tout cela avait pris du temps et occa-
sionné en frais accessoires une dépense
de trois cents francs que les fabriciens
de Lucy étaient fort en peine de payer.
Notre Société des sciences paya pour eux.
C’est ainsi que le retable a trouvé enfin dans
notre musée un lieu d’asile définitif et digne
de lui.
Il provient de la riche abbaye de femmes
de Grisenon, située sur le territoire de Lucy
et aujourd’hui démolie. Plusieurs érudits
ont cru y retrouver le style de l’ancienne
école de Troyes, attribution contestable si
l’on songe que pendant tout le moyen âge,
la ville d’Auxerre fut un foyer d’art des plus
actifs, comme l’attestent notamment les ad-
mirables sculptures des portails sud et
ouest de sa cathédrale. Mais l’essentiel, pour
le moment, est l’installation définitive dans
une collection publique d’un morceau im-
portant, que nos contrées ont pu considérer
un moment comme à jamais perdu pour
elles.
Cette histoire très-sommaire du retable
de Lucy montre comment les corporations
et les fabriques savent éluder la loi qui les
place sous la tutelle administrative. L’article
de l'Yonne auquel vous avez accordé les
honneurs de la reproduction, signale à qui
de droit les convoitises des brocanteurs à
l’endroit des magnifiques tapisseries de l’an-
cienne abbaye de Saint-Germain-d’Auxerre,
devenue aujourd’hui l’Hôtel-Dieu. Le même
danger menace à Sens le « Van Dick in-
connu » dont M. Léon Legrange, de chère
et regrettable mémoire, a révélé à vos lec-
teurs l’existence. Pendant que les rares ama-
teurs d’art, que possède encore la ville de
Jean Cousin, s’enorgueillissent de posséder
cette œuvre capitale, les religieuses pré-
posées à sa conservation ne se préoccupent
que d une chose : battre monnaie et tirer le
plus d’argent possible d’une œuvre qui est
l’honneur et la gloire de leur établisse-
ment.
A cela, il n’y a qu’un remède; l’inven-
taire général dont vous avez pris l’initiative.
Tous les amis des arts y applaudissent.
DIMANCHE 18 JUILLET.
1869,
Rédaction, 55, rue Vivienne.
ABONNEMENTS.
Paris.Un an : 1 5 fr.
—.Six mois : 8 fr.
Départements .... Un an : 18 fr.
— .... Six mois : 10 fr.
Un numéro : 20 cent.
Pour l’étranger, le port en sus.
Comptes rendus et annonces des ventes
publiques de tableaux, dessins, estampes,
bronzes, ivoires, médailles, livres rares,
autographes, émaux, porcelaines, armes,
objets de curiosité, etc.
Revue des Arts industriels.
CHRONIQUE
DES ARTS ET DE LA CURIOSITÉ
GUIDE SPÉCIAL DES ARTISTES ET DES AMATEURS
JOURNAL POLITIQUE PARAISSANT LE DIMANCHE
ABONNEMENTS.
Paris.
Un an :
15
Six mois
: 8
Départements . . . .
Un an :
18
— . . . .
Six mois
: 10
Un numéro :
: 20 cent.
Pour l’étranger,
le port en
SUS.
Administration, 55, rue Vivienne,
Correspondances étrangères. — Nouvelles
des galeries publiques, des ateliers. —
Bibliographie des livres, articles de revues
et estampes, publiés en France et à
l’Etranger.
Expositions de Province et de l’Et. anger.
APPEL
AUX ARTISTES ET AUX AMATEURS.
L’administration des Beaux-Arts ne
saurait invoquer une seule bonne raison
pour justifier son mutisme sur les œuvres
achetées par elle dans le but d’enrichir
nos musées ou d’orner nos monuments.
La publication des acquisitions a, poul-
ie monde artiste, toute l’importance de
l’insertion des débats législatifs dans le
Journal officiel; par elle seulement on
peut juger les doctrines et les sentiments
des fonctionnaires chargés de la direction
des Beaux-Arts : et si c’est un droit pour
nous tous que de connaître ces doctrines
et ces sentiments, c’est un devoir pour
ces fonctionnaires que de les proclamer.
Le placement d’un tableau dans un mu-
sée n’est pas un fait aussi indifférent
qu’on paraît le supposer ; pour l’artiste,
c’est un honneur qui mérite une publi-
cité au moins égale à celle donnée aux
médailles; pour le peuple, c’est un acte
qui contribue au développement ou à la
dépravation de son goût. Il importe donc,
à des points de vue considérables, géné-
raux et privés, qu’une grande publicité
soit accordée aux acquisitions de l’État;
et cependant l’administration s’y refuse
dans la crainte de voir discuter les motifs
qui trop souvent l’inspirent ! Mais si l’ad-
ministration aime à s’entourer de té-
nèbres favorables aux caprices du bon
plaisir, il faut que les intéressés à la ces-
sation d’un semblable régime dissipent les
ténèbres et fassent luire une clarté qui
seule peut nous assurer des décisions ré-
fléchies et vraiment utiles à l’art. Pour
atteindre ce but, nous faisons appel à
tous les artistes et amateurs ; que ceux
qui connaissent des œuvres achetées par
le ministère de la maison de l’Empereur
et des Beaux-Arts nous les fassent con-
naître, qu’ils nous mettent à même d’en
donner une liste aussi complète que pos-
sible, et, en agissant ainsi, ils se montre-
ront artistes préoccupés de la gloire de
l’école française et citoyens soucieux de
leur dignité.
Émile Galichon.
Des rumeurs fort diverses circulent sur la
situation nouvelle qui serait faite aux Beaux-
Arts dans le remaniement des ministères. En
principe il paraît décidé que le ministère de
la maison de l’Empereur et des Beaux-Arts
sera supprimé. La division des beaux-arts,
suivant les uns, serait annexée (comme
avant et pendant 1848) au ministère de l’in-
térieur; tandis que, suivant les autres, cette
division ferait partie d’un ministère des tra-
vaux publics qu’il serait question de créer.
La nécessité de fonder un ministère des
travaux publics ne nous paraît pas assez dé-
montrée pour que nous puissions ajouter foi
à sa formation. La réunion de la division des
beaux-arts au ministère de l’intérieur aura
le grave inconvénient de placer les arts dans
une situation secondaire, de les laisser, ce
qu’ils ont été trop longtemps, un instrument
politique, un moyen électoral, un système de
récompenses à la disposition du ministre de
l’intérieur. La raison veut que cette division
importante fasse partie du ministère de l’in-
struction publique, dans la dépendance du-
quel l’avait placé la Convention; mais à quelle
époque la raison a-t-elle été écoulée en pa-
reille matière? Espérons que cette transfor-
mation concordera avec l’abolition du droit
de virement qui change si facilement en fic-
tion le vote du budget par les chambres. S’il
n'en était pas ainsi, la direction des beaux-arts
se trouverait, hélas! dans la triste situation
de l’agneau devant le loup à jeun et plein de
rage. Quoi qu’il arrive, la séparation abso-
lue de la liste civile avec l’État semble de-
voir se réaliser et tout le monde applaudira
à la fin d’une alliance qui a été fertile en ré-
sultats fâcheux.
Quant au Louvre, avec ses collections, il
continuera à faire partie de la liste civile, à
moins toutefois que l’Empereur ne songe à
profiter de ces remaniements considérables
pour abandonner une jouissance qui ne
crée que des embarras et qui gêne considé-
rablement le développement de nos collec-
tions et l’appropriation de toutes nos ri-
chesses d’art à l’enseignement public.
F. De Tal.
Nous prions instamment tous les artistes
et amateurs de vouloir bien nous faire par-
venir, le plus prochainement possible, les
observations, corrections et renseignements
nouveaux, relatifs à Y Annuaire que la Gazette
des Beaux-Arts vient de publier. 11 est im-
portant que cet ouvrage soit aussi complet
et aussi exact que possible, et pour cela il
est nécessaire que tous les intéressés contri-
buent à son perfectionnement.
Nous demanderons aux Sociétés savantes
de vouloir bien nous transmettre leurs sta-
tuts et les livrets des expositions provin-
ciales, qui renferment tant de documents.
VENTE D’UN RETABLE
PAR LA FABRIQUE DE LUCV.
Auxerre, 12 juillet.
Cher monsieur, a
Je m’empresse de vous adresser, les ren-
seignements que vous désirez sur le retable
de Lucy, dont l’article de ITonne, reproduit
dans le dernier n° de la Chronique, a signalé
la disparition heureusement momentanée.
C’est un curieux spécimen de la sculpture
sur bois de l’époque ogivale et le plus im-
portant qui existe encore dans ce départe-
ment. Le ciseau naïf d’un maître de la fin
du xve siècle ou du commencement du xvie,
y a figuré, en divers panneaux disposés sur
deux rangs, Y Histoire de la Vierge et sa Glo-
rification, le tout en figurines de 20 à 25
centimètres.
Les personnages, presque tous de plein
relief, sont recouverts, selon la mode du
temps, de couleurs voyantes et recham-
pis en or par un enlumineur. Plusieurs ont
une attitude expressive, pleine de mouve-
ment et de caractère. Une restauration en-
treprise par un artiste de goût et de talent,
M. Passepont, l’un des conservateurs les
plus méritants de notre musée, a fait réap-
paraître, presque en totalité, les couleurs et
les dorures éteintes sous d’épaisses couches
de badigeon. Ce monument, en somme, a
une réelle importance et le musée d’Auxerre
qui l’a recueilli s’en montre fier à juste
titre.
11 signalait autrefois à la visite des ama-
teurs l'humble église qui le possédait. Lu-
cy est un petit village écarté, à six lieues
d’Auxerre et non loin des fameuses grottes
d’Arcy. Un beau jour de 1858 un de ces
opérateurs, si habiles à détruire les tableaux
qu’ils prétendent restaurer, y débarqua ,
rafistola tant bien que mal les toiles de l’é-
glise; puis sa tâche terminée, proposa à
l’honnête curé du lieu de lui céder ledit
retable pour tout salaire; marché proposé,
marché conclu, et notre barbouilleur pro-
céda sans délai à l’enlèvement de son butin,
qu’il vendit bientôt à un brocanteur de
Paris.
Mais au bout d’un mois environ l’affaire
s’ébruita. Informée du rapt, l’administration
locale le signala au préfet de police, M. Boi-
telle, autrefois préfet à Auxerre et qui, par
cette raison peut-être, mit une rare ac-
tivité à retrouver la piste du restaurateur
ambulant. On y parvint, cependant, après
plusieurs mois de recherches. Fort heureu-
sement le retable n’avait point quitté Paris;
il fut saisi malgré les protestations du mar-
chand, M. Donzelle, rue des Gravilliers, et
mis sous scellé ; puis un procès s’engagea
entre celui-ci et la fabrique de Lucy qui ob-
tint enfin gain de cause.
Tout cela avait pris du temps et occa-
sionné en frais accessoires une dépense
de trois cents francs que les fabriciens
de Lucy étaient fort en peine de payer.
Notre Société des sciences paya pour eux.
C’est ainsi que le retable a trouvé enfin dans
notre musée un lieu d’asile définitif et digne
de lui.
Il provient de la riche abbaye de femmes
de Grisenon, située sur le territoire de Lucy
et aujourd’hui démolie. Plusieurs érudits
ont cru y retrouver le style de l’ancienne
école de Troyes, attribution contestable si
l’on songe que pendant tout le moyen âge,
la ville d’Auxerre fut un foyer d’art des plus
actifs, comme l’attestent notamment les ad-
mirables sculptures des portails sud et
ouest de sa cathédrale. Mais l’essentiel, pour
le moment, est l’installation définitive dans
une collection publique d’un morceau im-
portant, que nos contrées ont pu considérer
un moment comme à jamais perdu pour
elles.
Cette histoire très-sommaire du retable
de Lucy montre comment les corporations
et les fabriques savent éluder la loi qui les
place sous la tutelle administrative. L’article
de l'Yonne auquel vous avez accordé les
honneurs de la reproduction, signale à qui
de droit les convoitises des brocanteurs à
l’endroit des magnifiques tapisseries de l’an-
cienne abbaye de Saint-Germain-d’Auxerre,
devenue aujourd’hui l’Hôtel-Dieu. Le même
danger menace à Sens le « Van Dick in-
connu » dont M. Léon Legrange, de chère
et regrettable mémoire, a révélé à vos lec-
teurs l’existence. Pendant que les rares ama-
teurs d’art, que possède encore la ville de
Jean Cousin, s’enorgueillissent de posséder
cette œuvre capitale, les religieuses pré-
posées à sa conservation ne se préoccupent
que d une chose : battre monnaie et tirer le
plus d’argent possible d’une œuvre qui est
l’honneur et la gloire de leur établisse-
ment.
A cela, il n’y a qu’un remède; l’inven-
taire général dont vous avez pris l’initiative.
Tous les amis des arts y applaudissent.