2
CHRONIQUE DES ARTS.
vérité que celui de M. Piloty, « chef de l’é-
cole des coloristes allemands. » — Les illus-
trations de M. Steinhausen se distinguent
par leur simplicité, leur élégance et leur
excellente appropriation aux lois de la gra-
vure sur bois.
J’ai pu recueillir en passant quelques traits
que je donne tels quels, sans prétendre en
tirer des conclusions générales. Le nom de
Breton est souvent revenu dans nos conver-
sations ; il excite en Allemagne une admira-
tion universelle. — J’ai trouvé en différents
endroits des collections de photographies de
Braun, d’après les dessins des maîtres. N’est-
ce pas bon signe?'Étudier les maîtres dans
leurs compositions les plus intimes, et dans
les reproductions de Braun qui valent pres-
que les originaux, n’est-ce pas prendre la
meilleure voie pour arriver à l’intelligence
et à la possession de leurs qualités? — Je
suis souvent découragé, me disait un artiste
de Carlsruhe, en voyant combien de Français
savent peindre et bien peindre. A quoi cela
tient-il? — Je lui répondis que l’explication
la plus simple de cette habileté, c’était la
longueur excessive des études de nos artistes
français, et je lui citais ce mot d’ün de nos
meilleurs coloristes, âgé de quarante ans,
« Je ne compose pas encore, parce que je
ne sais pas encore assez bien peindre. »
Je dois aussi vous dire un mot du cabinet
d’estampes de Carlsruhe. Les habitants, aux-
quels d’ailleurs il n’est ouvert, je crois,
qu’une heure par semaine, ignorent à peu
près son existence, et le conservateur ne
s’en soucie guère davantage. Des épreuves
de la Danse des morts, de l’Alphabet de la
Mort, pièces inappréciables, d’une rareté
extrême, traînent sur les tables, exposées
depuis plusieurs mois à la poussière et à
tous les dangers. Parmi les trésors de cette
collection, j’ai surtout admiré un livre d’es-
quisses de Jean Baudouin Grien, renfermant
des portraits superbes à la mine d’argent,
des vues de l’Alsace, des études de che-
vaux... M. Woltmann m’a aussi montré une
suite d’apôtres anonymes, inconnus à Passa-
vant , et, d’après lui, incontestablement
l’œuvre de Grien. Tout n’est pas dit, même
en Allemagne, sur l’école allemande, et les
savants ne risquent pas encore de chômer.
Je ne puis qu’énumérer ici les établisse-
ments d’enseignement artistique de Carls-
ruhe; je me propose d’y revenir plus tard.
Ce sont : l’École de peinture avec huit pro-
fesseurs, et une vingtaine d’élèves ; — l’É-
cole polytechnique qui compte de cinq à
six cents élèves, dont soixante ou quatre-
vingts étudient l’architecture. Autant que
j’ai pu en juger dans une visite rapide, la
collection des moulages est assez maigre.
Les salles de dessin et celles des cours sont
commodes et spacieuses. Les laboratoires
de chimie feraient honneur à plus d’une
grande ville. — Enfin le Gewerbelialle, (mu-
sée industriel) a pris en mains, depuis quel-
ques mois, l’enseignement artistique des
ouvriers, et obtient de grands résultats avec
des ressources relativement fort limitées.
Avouez, monsieur le Directeur, que dans
cette petite ville de trente mille habitants,
les beaux-arts occupent une place impor-
tante, et que je ne m’étais pas trompé en
annonçant au début de cet article qu’ils
fourniraient la matière d’une correspon-
dance.
E. M.
L’INVENTAIRE DES OBJETS D’ART
DE LA FRANCE.
Troyes, le 19 juillet 18G9.
Monsieur et cher Directeur,
Vous avez une idée excellente, celle de
dresser un inventaire général des œuvres
d’art de la France. Je serai heureux de vous
seconder dans cette œuvre patriotique, qui
répond si bien aux aspirations des sociétés
savantes de province. N’est-ce pas en effet
ce qu’elles se sont efforcé de faire isolément,
en signalant les unes et les autres, sur tous
les points de la France, les monuments in-
téressants ou curieux échappés au vanda-
lisme, à l’ignorance ou à l’avidité des spé-
culateurs. Les mémoires, les inventaires
partiels des sociétés savantes, ont pu sauver
un certain nombre d’objets d’art, en les
fixant par la notoriété dans les établissements
auxquels ils appartiennent, mais il ne faut
pas se dissimuler que c’est une victoire pas-
sagère. Le prix toujours croissant des objets
anciens devient Une incessante tentation
pour leurs possesseurs, et ils n’hésitent pas
longtemps à les échanger ou à les vendre ;
le moindre ducaton fait bien mieux leur af-
faire. N’est-ce pas au prix d’efforts inouïs,
que j’ai pu arracher aux brocanteurs, qui
S’emportaient déjà en Angleterre, le beau re-
liquaire de Nesle-la-Reposte, qui fut tant
admiré à l’Exposition universelle et qui fai-
sait, dans les salles de l’Histoire du travail,
le pendant de la châsse de Saint-Taurin
d’Évreux.
Il y a une année à peine, on allait vendre
à Paris une charmante statuette en bronze
doré du xue siècle, représentant saint Jean-
Baptiste portant dans un cylindre de cristal
une phalange d’un doigt du Précurseur, ,
lorsque monseigneur de Troyes, en ayant été
averti, s’empressa de l’acheter pour la res-
tituer à l’église de Brienne-Napoléon, qui en
avail été dépouillée. Au printemps de l’année
dernière je me rendais acquéreur, dans une
vente publique, d’un coffret orné d’appliques
d’étain découpé à jour, provenant de Thi-
baut le Chansonnier. Le travail en est mer-
é
veilleux et je ne connais pas son analogue.
Je vous en parlerai quelque jour. Vous verrez
qu’il est heureux que j’aie pu le joindre aux
richesses artistiques du trésor de la cathé-
drale de Troyes.
L’inventaire que vous vous proposez de
faire gênera sans nul doute les spéculateurs,
il entravera quelques collections particu-
lières, mais il aura le précieux avantage de
protéger nos richesses artistiques, en les
signalant à l’attention générale et en faisant,
de tous ceux qui auront appris à les con-
naître, autant de conservateurs officieux
préposés à leur garde.
Je ne doute pas que la Société académique
de l’Aube ne s’associe de grand cœur à
votre pensée, et je me propose de l’entrete-
nir de votre projet lors de sa première
réunion.
Veuillez, monsieur et cher Directeur...
Le Brun-Dalbanne.
Audi, le 13 juillet 1800.
Monsieur le Directeur,
Je m’empresse de vous informer que,
dans sa séance d’hier, la Société historique
de Gascogne vient de donner son adhésion
pleine et entière à l’excellente initiative
prise par la Gazette des Beaux-Arts, de faire
dresser un inventaire général des objets d’art
placés dans les monuments publics de toute
la France.
Il a été décidé qu’il serait envoyé, sous
forme de Questionnaire, des demandes de
renseignements à MM. les curés et desser-
vants du département, aux membres cor-
respondants, et à tous les amateurs qui
seraient en mesure de fournir d’utiles indi-
cations.
Permettez-moi de vous exprimer un désir
à ce sujet. Il me paraît indispensable, pour
que cet important travail présente une
grande unité dans son ensemble, qu’il soit
adopté, dès le principe, un seul système de
Questionnaire, et je crois que la Gazette des
Beaux-Arts est mieux en situation que per-
sonne d’établir elle-même ce modèle, dont
elle adresserait, le plus tôt possible, un exem-
plaire à toutes les sociétés savantes et à tous
ceux qui ont adhéré à son excellent projet.
Ce mode d’exécution offrirait de nom-
breux avantages, car, en servant de guide au
milieu de ces recherches, parfois difficiles, il
fournirait déjà des indications sûres et pré-
cises aux personnes qui voudront bien s’as-
socier avec vous pour l’exécution de cet
inventaire si nécessaire»
Vous savez d’avance que tout mon con-
cours vous est assuré, et je souhaite que, dans
cette circonstance, il puisse vous être de
quelque Utilité.
Veuillez agréer, monsieur le Directeur,
l’assurance de ma considération la plus dis-
tinguée.
À. Tarbouriech.
Àfëhiviste du Gers.
UNE PLACE DE PROFESSEUR.
Le besoin de l’éducation artiste se fait de
jour en jour plus vivement sentir en pro-
vince. Dans les villes assez importantes pour
pouvoir donner satisfaction à toutes les exi-
gences, on offre aux jeunes gens l’enseigne-
ment supérieur et on leur facilite les moyens
do se faire artistes. Dans les centres moins
importants, on se borne, en attendant plus,
à donner aux enfants les éléments de ce
qu’on appelle l’art appliqué à l’industrie.
Mais ce ne sont plus seulement les muni-
cipalités qui se rendent compte de tout ce
qu’on peut obtenir d’ouvriers plus intelli-
gents, plus vifs, plus fins de compréhension
et de main; ce sont les grandes compagnies
et les particuliers. Chaque jour un travail
lent et sourd enlève à l’autorité somnolente
ou tracassière une parcelle du pouvoir
qu’elle a su si mal employer. Chaque jour,
on entrevoit plus clair et plus prochain le
jour où chaque citoyen, seul ou réuni à un
groupe, saura faire lui-même ses affaires et
veiller à ses intérêts. Ce qui manque au-
jourd’hui encore en France, ce ne sont point
les élèves, ce ne sont point les métho-
des , ce sont les professeurs. La pré-
voyante Angleterre l’a bien senti. Elle n’a
point, comme nous, éternisé les enquêtes,
demandé aux académies des rapports, im-
ploré le gouvernement. Elle a tout simple-
ment fondé son musée de South Kensington
et les moniteurs qu’elle y forme incessam-
ment, vont porter dans tous les comtés de
l’Angleterre les principes d’un enseignement
qüe la pratique peut ensuite modifier à l’in-
fini.
Qu’un citoyen veuille fonder des écoles
libres, comme l’a fait, à Limoges, M. Adrien
Dubouché ; qu’un grand industriel, comme
M. Marne, de Tours, veuille avoir sous la
main un personnel tel, que ses livres entrent
dans sa cour à l’état de chiffon et en sortent
imprimés, reliés, ornés de bois ou de burins,
à qui devront-ils s’adresser pour trouver des
professeurs? A l’École des Beaux-Arts? Elle
ne forme que des artistes qui, forts ou
faibles, n’ont aucune notion sérieuse des
réalités de la vie, et, livrés à eux-mêmes,
traverseront orgueilleusement bien des an-
nées de misère avant de conquérir la no-
toriété que donne le succès, ou de s’avouer
qu’ils ne sont que de lamentables fruits-secs.
A l’Union centrale des Beaux-Arts? mais ce
groupe d’hommes convaincus, zélés, en avant
de leur époque, dignes de toute sympathie
et de tout éloge, n’ont pu réussir, en face
de l’indifférence du public français, à réali-
ser leur grande idée d un college d art ap-
pliqué à l’industrie. Au ministère des Beaux-
Arts ? mais les bureaux, ardents à s’immiscer
dans les affaires privées, n’offriront que des
artistes aigris, brisés par la lutte et qui sol-
licitent une place à défaut d’une copie des
portraits de l’auguste famille.
Cependant il faut des professeurs, et, sans
larder davantage, le directeur d’une puis-
sante compagnie industrielle vient de nous
charger de lui en présenter un.
Il faudrait un homme d’un esprit sain et
souple, assez artiste pour inventer les mo-
dèles dont il devra diriger l’exécution; assez
intelligent pour sentir que ces modèles doi-
vent être subordonnés à de strictes condi-
tions de revient ; assez sage pour voir que
ses élèves, des deux sexes, n’auront jamais à
concourir pour le prix de Rome. Il faudrait
qu’il sût graver sur bois, non pas en pitto-
resque, mais assez pour que tous les orne-
ments des papiers, des couvertures, des
enveloppes passassent par ses mains et celles
de ses élèves. H faudrait enfin qu’il sut assez
librement dessiner sur pierre lithographique
pour qu’on pût lui demander soit une affiche
illustrée, soit une page pour un journal qui
paraît tous les jours.
En s’identifiant bien avec la pensée du
directeur, qui est un homme d’une activité
prodigieuse et d’une volonté singulièrement
passionnée, la personne à qui est offerte
cette position est assurée d’un sort bien plus
heureux que celui des artistes qui usent
leurs « inexpressibles n dans les antichambres
du ministère des Beaux-Arts et sur les cana-
pés de la Surintendance1.
Déjà nous avons réussi deux fois, pour les
professeurs de peinture et de modelage des
écoles libres de Limoges, pourquoi ne réus-
sirions-nous pas une fois encore?
Ph. Burtv.
NOUVELLES.
L’enquête provoquée par la Chronique,
à propos des objets d’art non catalogués
que possède la France, a été accueillie de
tous côtés avec la plus vive faveur. La ville
de Paris elle-même s’en est préoccupée. La
semaine dernière, une commission spéciale
a été réunie. Elle doit entreprendre immé-
diatement un inventaire de tous les objets
d’art que possèdent les églises.
A quand les inventaires patronnés par le
ministère des Beaux-Arts ?
*
■X *
On voit à l’Exposition artistique de Fon-
tainebleau quelques objets céramiques, de
la fabrication de M. Avisseau fils, de Tours.
II y a entr’autres un grand plat tout couvert
de chardons et de plantes rampantes, mo-
delé et émaillé d’une façon remarquable. Il
y a aussi une petite statuette de Jeanne d’Arc,
dans le costume et l’allure du xve siècle.
*
* *
L’Union centrale active les préparatifs de
la double exposition d’œuvres d’industrie
artistique moderne et d’objets orientaux.
Cette exposition s’ouvrira, au Palais de l’In-
dustrie, dans les premiers jours d’août.
*
* *
Après une suspension de quelques mois,
provoquée, pensons-nous, par la mort de
M. Léon de Laborde, l’éditeur Plon vient de
reprendre la publication du Musée des Ar-
chives de l’Empire. Ce catalogue comprend
les actes importants de l’histoire de France,
et les autographes de personnages célèbres
exposés dans l’hôtel Soubise. La livraison
qui vient de paraître est la vingt-huitième.
Elle a trait aux Bourbons, de Henri IV à
Louis XIV. II y en aura AO, enrichies déplus
de 2,000 fac-similé. Elles renferment beau-
coup de documents inédits sur les arts.
*
X X
On assure que la ville de Paris serait sur
le point d’acheter le palais pompéien de
l’avenue Montaigne, qui fut bâti parM. Nor-
mand, pour le prince Napoléon.
Cet édifice serait affecté à des réunions de
sociétés savantes et à la création d’un cerclé
de savants. Il deviendrait le temple de la
science, une sorte d’institut dont les portes
seraient ouvertes à tous.
1<- S’adresser, par correspondance, au bureau de la
Gazette, ou s’y rendre de 5 à G heures.
CHRONIQUE DES ARTS.
vérité que celui de M. Piloty, « chef de l’é-
cole des coloristes allemands. » — Les illus-
trations de M. Steinhausen se distinguent
par leur simplicité, leur élégance et leur
excellente appropriation aux lois de la gra-
vure sur bois.
J’ai pu recueillir en passant quelques traits
que je donne tels quels, sans prétendre en
tirer des conclusions générales. Le nom de
Breton est souvent revenu dans nos conver-
sations ; il excite en Allemagne une admira-
tion universelle. — J’ai trouvé en différents
endroits des collections de photographies de
Braun, d’après les dessins des maîtres. N’est-
ce pas bon signe?'Étudier les maîtres dans
leurs compositions les plus intimes, et dans
les reproductions de Braun qui valent pres-
que les originaux, n’est-ce pas prendre la
meilleure voie pour arriver à l’intelligence
et à la possession de leurs qualités? — Je
suis souvent découragé, me disait un artiste
de Carlsruhe, en voyant combien de Français
savent peindre et bien peindre. A quoi cela
tient-il? — Je lui répondis que l’explication
la plus simple de cette habileté, c’était la
longueur excessive des études de nos artistes
français, et je lui citais ce mot d’ün de nos
meilleurs coloristes, âgé de quarante ans,
« Je ne compose pas encore, parce que je
ne sais pas encore assez bien peindre. »
Je dois aussi vous dire un mot du cabinet
d’estampes de Carlsruhe. Les habitants, aux-
quels d’ailleurs il n’est ouvert, je crois,
qu’une heure par semaine, ignorent à peu
près son existence, et le conservateur ne
s’en soucie guère davantage. Des épreuves
de la Danse des morts, de l’Alphabet de la
Mort, pièces inappréciables, d’une rareté
extrême, traînent sur les tables, exposées
depuis plusieurs mois à la poussière et à
tous les dangers. Parmi les trésors de cette
collection, j’ai surtout admiré un livre d’es-
quisses de Jean Baudouin Grien, renfermant
des portraits superbes à la mine d’argent,
des vues de l’Alsace, des études de che-
vaux... M. Woltmann m’a aussi montré une
suite d’apôtres anonymes, inconnus à Passa-
vant , et, d’après lui, incontestablement
l’œuvre de Grien. Tout n’est pas dit, même
en Allemagne, sur l’école allemande, et les
savants ne risquent pas encore de chômer.
Je ne puis qu’énumérer ici les établisse-
ments d’enseignement artistique de Carls-
ruhe; je me propose d’y revenir plus tard.
Ce sont : l’École de peinture avec huit pro-
fesseurs, et une vingtaine d’élèves ; — l’É-
cole polytechnique qui compte de cinq à
six cents élèves, dont soixante ou quatre-
vingts étudient l’architecture. Autant que
j’ai pu en juger dans une visite rapide, la
collection des moulages est assez maigre.
Les salles de dessin et celles des cours sont
commodes et spacieuses. Les laboratoires
de chimie feraient honneur à plus d’une
grande ville. — Enfin le Gewerbelialle, (mu-
sée industriel) a pris en mains, depuis quel-
ques mois, l’enseignement artistique des
ouvriers, et obtient de grands résultats avec
des ressources relativement fort limitées.
Avouez, monsieur le Directeur, que dans
cette petite ville de trente mille habitants,
les beaux-arts occupent une place impor-
tante, et que je ne m’étais pas trompé en
annonçant au début de cet article qu’ils
fourniraient la matière d’une correspon-
dance.
E. M.
L’INVENTAIRE DES OBJETS D’ART
DE LA FRANCE.
Troyes, le 19 juillet 18G9.
Monsieur et cher Directeur,
Vous avez une idée excellente, celle de
dresser un inventaire général des œuvres
d’art de la France. Je serai heureux de vous
seconder dans cette œuvre patriotique, qui
répond si bien aux aspirations des sociétés
savantes de province. N’est-ce pas en effet
ce qu’elles se sont efforcé de faire isolément,
en signalant les unes et les autres, sur tous
les points de la France, les monuments in-
téressants ou curieux échappés au vanda-
lisme, à l’ignorance ou à l’avidité des spé-
culateurs. Les mémoires, les inventaires
partiels des sociétés savantes, ont pu sauver
un certain nombre d’objets d’art, en les
fixant par la notoriété dans les établissements
auxquels ils appartiennent, mais il ne faut
pas se dissimuler que c’est une victoire pas-
sagère. Le prix toujours croissant des objets
anciens devient Une incessante tentation
pour leurs possesseurs, et ils n’hésitent pas
longtemps à les échanger ou à les vendre ;
le moindre ducaton fait bien mieux leur af-
faire. N’est-ce pas au prix d’efforts inouïs,
que j’ai pu arracher aux brocanteurs, qui
S’emportaient déjà en Angleterre, le beau re-
liquaire de Nesle-la-Reposte, qui fut tant
admiré à l’Exposition universelle et qui fai-
sait, dans les salles de l’Histoire du travail,
le pendant de la châsse de Saint-Taurin
d’Évreux.
Il y a une année à peine, on allait vendre
à Paris une charmante statuette en bronze
doré du xue siècle, représentant saint Jean-
Baptiste portant dans un cylindre de cristal
une phalange d’un doigt du Précurseur, ,
lorsque monseigneur de Troyes, en ayant été
averti, s’empressa de l’acheter pour la res-
tituer à l’église de Brienne-Napoléon, qui en
avail été dépouillée. Au printemps de l’année
dernière je me rendais acquéreur, dans une
vente publique, d’un coffret orné d’appliques
d’étain découpé à jour, provenant de Thi-
baut le Chansonnier. Le travail en est mer-
é
veilleux et je ne connais pas son analogue.
Je vous en parlerai quelque jour. Vous verrez
qu’il est heureux que j’aie pu le joindre aux
richesses artistiques du trésor de la cathé-
drale de Troyes.
L’inventaire que vous vous proposez de
faire gênera sans nul doute les spéculateurs,
il entravera quelques collections particu-
lières, mais il aura le précieux avantage de
protéger nos richesses artistiques, en les
signalant à l’attention générale et en faisant,
de tous ceux qui auront appris à les con-
naître, autant de conservateurs officieux
préposés à leur garde.
Je ne doute pas que la Société académique
de l’Aube ne s’associe de grand cœur à
votre pensée, et je me propose de l’entrete-
nir de votre projet lors de sa première
réunion.
Veuillez, monsieur et cher Directeur...
Le Brun-Dalbanne.
Audi, le 13 juillet 1800.
Monsieur le Directeur,
Je m’empresse de vous informer que,
dans sa séance d’hier, la Société historique
de Gascogne vient de donner son adhésion
pleine et entière à l’excellente initiative
prise par la Gazette des Beaux-Arts, de faire
dresser un inventaire général des objets d’art
placés dans les monuments publics de toute
la France.
Il a été décidé qu’il serait envoyé, sous
forme de Questionnaire, des demandes de
renseignements à MM. les curés et desser-
vants du département, aux membres cor-
respondants, et à tous les amateurs qui
seraient en mesure de fournir d’utiles indi-
cations.
Permettez-moi de vous exprimer un désir
à ce sujet. Il me paraît indispensable, pour
que cet important travail présente une
grande unité dans son ensemble, qu’il soit
adopté, dès le principe, un seul système de
Questionnaire, et je crois que la Gazette des
Beaux-Arts est mieux en situation que per-
sonne d’établir elle-même ce modèle, dont
elle adresserait, le plus tôt possible, un exem-
plaire à toutes les sociétés savantes et à tous
ceux qui ont adhéré à son excellent projet.
Ce mode d’exécution offrirait de nom-
breux avantages, car, en servant de guide au
milieu de ces recherches, parfois difficiles, il
fournirait déjà des indications sûres et pré-
cises aux personnes qui voudront bien s’as-
socier avec vous pour l’exécution de cet
inventaire si nécessaire»
Vous savez d’avance que tout mon con-
cours vous est assuré, et je souhaite que, dans
cette circonstance, il puisse vous être de
quelque Utilité.
Veuillez agréer, monsieur le Directeur,
l’assurance de ma considération la plus dis-
tinguée.
À. Tarbouriech.
Àfëhiviste du Gers.
UNE PLACE DE PROFESSEUR.
Le besoin de l’éducation artiste se fait de
jour en jour plus vivement sentir en pro-
vince. Dans les villes assez importantes pour
pouvoir donner satisfaction à toutes les exi-
gences, on offre aux jeunes gens l’enseigne-
ment supérieur et on leur facilite les moyens
do se faire artistes. Dans les centres moins
importants, on se borne, en attendant plus,
à donner aux enfants les éléments de ce
qu’on appelle l’art appliqué à l’industrie.
Mais ce ne sont plus seulement les muni-
cipalités qui se rendent compte de tout ce
qu’on peut obtenir d’ouvriers plus intelli-
gents, plus vifs, plus fins de compréhension
et de main; ce sont les grandes compagnies
et les particuliers. Chaque jour un travail
lent et sourd enlève à l’autorité somnolente
ou tracassière une parcelle du pouvoir
qu’elle a su si mal employer. Chaque jour,
on entrevoit plus clair et plus prochain le
jour où chaque citoyen, seul ou réuni à un
groupe, saura faire lui-même ses affaires et
veiller à ses intérêts. Ce qui manque au-
jourd’hui encore en France, ce ne sont point
les élèves, ce ne sont point les métho-
des , ce sont les professeurs. La pré-
voyante Angleterre l’a bien senti. Elle n’a
point, comme nous, éternisé les enquêtes,
demandé aux académies des rapports, im-
ploré le gouvernement. Elle a tout simple-
ment fondé son musée de South Kensington
et les moniteurs qu’elle y forme incessam-
ment, vont porter dans tous les comtés de
l’Angleterre les principes d’un enseignement
qüe la pratique peut ensuite modifier à l’in-
fini.
Qu’un citoyen veuille fonder des écoles
libres, comme l’a fait, à Limoges, M. Adrien
Dubouché ; qu’un grand industriel, comme
M. Marne, de Tours, veuille avoir sous la
main un personnel tel, que ses livres entrent
dans sa cour à l’état de chiffon et en sortent
imprimés, reliés, ornés de bois ou de burins,
à qui devront-ils s’adresser pour trouver des
professeurs? A l’École des Beaux-Arts? Elle
ne forme que des artistes qui, forts ou
faibles, n’ont aucune notion sérieuse des
réalités de la vie, et, livrés à eux-mêmes,
traverseront orgueilleusement bien des an-
nées de misère avant de conquérir la no-
toriété que donne le succès, ou de s’avouer
qu’ils ne sont que de lamentables fruits-secs.
A l’Union centrale des Beaux-Arts? mais ce
groupe d’hommes convaincus, zélés, en avant
de leur époque, dignes de toute sympathie
et de tout éloge, n’ont pu réussir, en face
de l’indifférence du public français, à réali-
ser leur grande idée d un college d art ap-
pliqué à l’industrie. Au ministère des Beaux-
Arts ? mais les bureaux, ardents à s’immiscer
dans les affaires privées, n’offriront que des
artistes aigris, brisés par la lutte et qui sol-
licitent une place à défaut d’une copie des
portraits de l’auguste famille.
Cependant il faut des professeurs, et, sans
larder davantage, le directeur d’une puis-
sante compagnie industrielle vient de nous
charger de lui en présenter un.
Il faudrait un homme d’un esprit sain et
souple, assez artiste pour inventer les mo-
dèles dont il devra diriger l’exécution; assez
intelligent pour sentir que ces modèles doi-
vent être subordonnés à de strictes condi-
tions de revient ; assez sage pour voir que
ses élèves, des deux sexes, n’auront jamais à
concourir pour le prix de Rome. Il faudrait
qu’il sût graver sur bois, non pas en pitto-
resque, mais assez pour que tous les orne-
ments des papiers, des couvertures, des
enveloppes passassent par ses mains et celles
de ses élèves. H faudrait enfin qu’il sut assez
librement dessiner sur pierre lithographique
pour qu’on pût lui demander soit une affiche
illustrée, soit une page pour un journal qui
paraît tous les jours.
En s’identifiant bien avec la pensée du
directeur, qui est un homme d’une activité
prodigieuse et d’une volonté singulièrement
passionnée, la personne à qui est offerte
cette position est assurée d’un sort bien plus
heureux que celui des artistes qui usent
leurs « inexpressibles n dans les antichambres
du ministère des Beaux-Arts et sur les cana-
pés de la Surintendance1.
Déjà nous avons réussi deux fois, pour les
professeurs de peinture et de modelage des
écoles libres de Limoges, pourquoi ne réus-
sirions-nous pas une fois encore?
Ph. Burtv.
NOUVELLES.
L’enquête provoquée par la Chronique,
à propos des objets d’art non catalogués
que possède la France, a été accueillie de
tous côtés avec la plus vive faveur. La ville
de Paris elle-même s’en est préoccupée. La
semaine dernière, une commission spéciale
a été réunie. Elle doit entreprendre immé-
diatement un inventaire de tous les objets
d’art que possèdent les églises.
A quand les inventaires patronnés par le
ministère des Beaux-Arts ?
*
■X *
On voit à l’Exposition artistique de Fon-
tainebleau quelques objets céramiques, de
la fabrication de M. Avisseau fils, de Tours.
II y a entr’autres un grand plat tout couvert
de chardons et de plantes rampantes, mo-
delé et émaillé d’une façon remarquable. Il
y a aussi une petite statuette de Jeanne d’Arc,
dans le costume et l’allure du xve siècle.
*
* *
L’Union centrale active les préparatifs de
la double exposition d’œuvres d’industrie
artistique moderne et d’objets orientaux.
Cette exposition s’ouvrira, au Palais de l’In-
dustrie, dans les premiers jours d’août.
*
* *
Après une suspension de quelques mois,
provoquée, pensons-nous, par la mort de
M. Léon de Laborde, l’éditeur Plon vient de
reprendre la publication du Musée des Ar-
chives de l’Empire. Ce catalogue comprend
les actes importants de l’histoire de France,
et les autographes de personnages célèbres
exposés dans l’hôtel Soubise. La livraison
qui vient de paraître est la vingt-huitième.
Elle a trait aux Bourbons, de Henri IV à
Louis XIV. II y en aura AO, enrichies déplus
de 2,000 fac-similé. Elles renferment beau-
coup de documents inédits sur les arts.
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X X
On assure que la ville de Paris serait sur
le point d’acheter le palais pompéien de
l’avenue Montaigne, qui fut bâti parM. Nor-
mand, pour le prince Napoléon.
Cet édifice serait affecté à des réunions de
sociétés savantes et à la création d’un cerclé
de savants. Il deviendrait le temple de la
science, une sorte d’institut dont les portes
seraient ouvertes à tous.
1<- S’adresser, par correspondance, au bureau de la
Gazette, ou s’y rendre de 5 à G heures.