2
CHRONIQUE DES ARTS.
tor a fait parmi les drames, les romans, les
tragédies, les lieds de Goethe. A un demi-
dieu il fallait une riche chapelle.
Ces compositions de M. Kaulbach, qui
datent d’une dizaine d’années, sont popu-
laires en Allemagne et inconnues en France.
Celle-ci n’est point curieuse. Rarement elle
se dresse sur la pointe du pied pour regar-
der par-dessus ses frontières ce que peignent
ou dessinent, gravent ou sculptent les voi-
sins. C’est comme en fraude qu’il faut intro-
duire en France les renseignements sur ce
qui se fait en Angleterre ou en Allemagne.
Ce n’est point à propos d’un livre d’é-
trennes, — des plus beaux qui se puissent
offrir, — qu’il convient d’épousseter et de
faire agir le spectre de l’Esthétique. Les Alle-
mands n’y répugneraient peut-être point.
Mais le lecteur français, qui prétend sage-
ment juger par lui-même, demande au plus
vite un renseignement sérieux. Ouvrons et
feuilletons donc le livre. C’est ce que fera
tout d’abord la famille réunie autour de la
table. Puis le père serrera le volume et lira
aux heures de repos la noble prose de Paul
de Saint-Victor, sonore et cadencée, limpide4
et colorée comme les flots de cette Méditer-
ranée qu’il chérit tant et qu’il connaît si
bien.
Vingt grands burins, gravés par les artistes
les plus habiles de l'Allemagne, montrent
tour à tour les héroïnes de Goethe, non
point en portraits isolés, comme dans les
anciens keepsakes, mais dans l’action même
d’une des pages du roman ou de la poésie.
C’est Charlotte qui distribue des tartines
de pain bis à sa petite famille. Vous diriez,'
à voir les visages rebondis, les mains pote-
lées qui se dressent vers elles, une scène
peinte par un des successeurs de' Greuze,
Schenau ou Aubry. —Lili s’avance, saluée,
comme une aurore, par les pigeons, les
poules, les porcs, les lapins et les oies de la
ménagerie fantastique. — Claire, du drame
d’Egmont, appelle le peuple, avec d^ gestes
tragiques, à la délivrance de son amant. —
Iphigénie étend sur la tête d’Oreste, que me-
nacent les Furies, « une douce absolution. »
Marguerite, la douce Marguerite de Faust,
a tenté deux fois le crayon de M. W. de
Kaulbach : ici, elle passe, svelte et pure, se
rendant à l’église; là, agenouillée sur la
dalle, les bras tordus de désespoir, la tête
courbée’, le corps brisé, elle pleure amère-
ment sa faiblesse, tandis que dans le fond
les bonnes âmes du quartier rient, babillent
et chantent la vertu , réunies autour de la
fontaine publique. Cette figure de .jeune
femme blonde est une des meilleures, pour
le sentiment comme pour la beauté plasti-
que, qu’ait rencontrées le maître allemand.
Du baiser de Faust et d'Hélène, dans le
Second Faust, naît la charmante figure
d’Euphorion, image de la poésie romanti-
que. La Léonore du Tasse montre la cour
des princes d’Este sous’un costume peut-être
un peu moderne. Mais le tableau que fait
M. Paul de Saint-Victor de ces cours italien-
nes, vaniteuses et pauvres, mesquines et
rancunières, est des plus piquants.
Deux gravures encore pour le conte si
passionné et si- patriotique d'Hermann et
Dorothée. Une seule pour l’Adélaïde du Goetz
de Berlinchingen. Eugène Delacroix avait
pensé à illustrer ce drame héroïque, à mon
sens, injustement méconnu du public. Il a
tracé à la plume quelques bois dans le Ma-
gasin pittoresque. Il a crayonné quelques
lithographies tirées à quelques épreuves d’es-
sai. Il a esquissé plusieurs scènesdont j’ai, à
sa vente, recueilli les croquis. — Eujnie
essaye des bijoux, Mignon chante des stro-
phes dans le château de Nathalie; des ailes
de papier doré accrochées aux épaules,
Oltilie contemple avec une terreur folle le
cadavre de l’enfant quelle vient de noyer.
La Rose dans la forêt, Dora, épisode anti-
que, ardent et rapide comme une épi-
gramme de l’Anthologie et Friederique,
la fille du pasteur, closent, avec Goethe
à Francfort et à Weimar, cette série qui,
selon le mot charmant de M. Paul de
Saint-Victor, a forme une sorte de gynécée
de l’œuvre de Goethe. »
La Chronique doit laisser ignorer les opi-
nions littéraires de ses collaborateurs. On ne
peut prendre la plume que pour y parler
d’art. Mais les études de Paul de Saint-Victor
ressemblent du plus près à des camées ébau-
chés avec un goût toujours pur, finis avec
une habileté merveilleuse, et ce beau livre
laisse à l’esprit le souvenir et l’impression
d’un précieux médaillier.
Ph. Burty.
-io> —
CORRESPONDANCE.
Londres, il décembre 1809.
Mon cher directeur,
Vous avez accueilli dans le dernier nu-
méro de la Chronique une lettre d’un
membre de l’Académie royale en réponse à
une de mes correspondances, et vous
m’avez gracieusement laissé le droit d’y ré-
pondre; j’en profite.
Si l’Académie royale, qui cependant ne
peut plus avoir les prétentions d’une jeune
miss, se choque (je dis ce mot dans le sens
anglais) d’une . expression un peu vive de
ma lettre, je ne veux pas que la courtoisie
hautement reconnue de la Chronique puisse
être mise en doute, et je retire le mot de
bon cœur.
Quant aux faits, je le regrette pour l’ho-
norable membre autant que pour le corps
auquel il appartient, mais je dois les main-
tenir.
Lorsqu’en 1867, la fin d’un bail amena
la suspension des expositions de la
British-institution, le Burlington-club, dont
je ne prétends être ni l’avocat, ni le défen-
seur, mais dont j’ai été des premiers à
signaler et à approuver la conduite, le Bur-
lington-club, dis-je, reconnaissant l’impor-
tance des expositions de tableaux de maîtres
anciens, organisées par la British-institution,
et déplorant leur cessation, engagea des
négociations avec elle, afin de réunir un
fonds commun pour la construction d’une
galerie nouvelle. L’Institution accepta l’offre;
le club trouva un local dans Burlingtongar-
dens, où il proposa de faire faire la constru-
ction nécessaire et d’y dépenser 30,0001.
sterling. L’Institution n’approuva pas le
choix .de Remplacement, et, après en avoir
vainement cherché un autre, le club, j’ad-
mets que ce n’était pas l’Institution, fit I
des offres à l’Académie royale pour l’appro-
priation pendant l’hiver des deux grandes
salles du nouveau local de l’Académie, afin
d’y organiser une exposition de tableaux d e
maîtres anciens, s’engageant, avec l’aide de
la British-institution, à payer toutes les dé-
penses, à trouver les éléments de l’exposi-
tion, en un,mot à tout faire, sans que l’Aca-
démie eût un schilling, non-seulement à
débourser, mais même à risquer. Le prési-
dent de l’Académie royale et le conseil de
l’Académie acceptèrent la proposition, mais
en assemblée générale elle fut repoussée.
Maintenant, sans plus s’occuper des propo-
sitions du Burlington-club et de la British-
institution, l’Académie reprend l’affaire à
elle seule.
Je vous le demande, n’avais-je pas le droit
d’être surpris, sinon plus, d’une telle façon
d’agir ? Dans son avis, l’Académie ne fait
même pas mention de l’offre des deux So-
ciétés! L’Académicien qui m’a fait l’honneur
d’une réponse, assure que l’Académie a eu
l’idée de renouveler les expositions de la
British-institution dès le jour de leur cessa-
tion. C’est possible, je n’en sais rien ; mais
comment se fait-il que l’Académie qui aime
d’habitude à faire pressentir ses projets dans
certaines feuilles, ne se soit, pour la ques-
tion en litige, laissée aller à aucune confi-
dence, n’ait point revendiqué la priorité de
l’idéeaumomentoù diverses lettres parurent
dans le Times, et lorsque moi-même je vous
entretenais des projets du Burlington-club?
On me demande où j’ai puisé mes rensei-
gnements; je réponds; — l’on comprendra
que je ne veuille nommer personne; mais
mon affirmation en vaut une autre, au sein
de l’Académie elle-même : —C’est un royal
académicien qui m’a donné les raisons que
j’ai indiquées comme ayant empêché l’en-
tente des trois Sociétés.
Leslecteurs de la Chronique n’éprouveront,
je le crois, aucune surprise en apprenant
que cette excellente Société (le Burlington-
club) renferme dans son sein plusieurs
membres de l’Académie royale, et je n’ai
jamais dit qu’il y eût guerre ouverte. Les
personnes qui composent le club sont des
gentlemen dans doute l’acception du terme ;
différence d’opinion ne signifie pas lutte
ouverte.
Enfin on me 'parle de tâche onéreuse,
qu’on s’efforce d’accomplir! Comme si cha-
cun ne savait pas que la réussite d’une
chose entreprise par l’Académie royale
devait avoir un succès certain, assuré, in-
discutable et produire un bénéfice net.
Depuis cent ans que l’Académie royale fait
des expositions, a-t-elle jamais eu un déficit
résultant de ses opérations?
Quant à la conduite du Burlington-club et
de la British-institution dans cette affaire, je
suis si peu leur défenseur que je les blâme
et les admire. Dans l’intérêt de la grande
cause de l’art, les deux Sociétés, agissant
comme un seul homme — comme un par-
fait gentleman, devrais-je dire — oublient
leurs justes griefs personnels.
Je regrette qu’une expression emportée
un peu vite par ma plume ait provoqué une
polémique dans vos colonnes ; mais si en
reconnaissant mes torts d’écrivain je main-
tiens les faits, j’ose avoir, prouvé que je
tenais mes renseignements de bonne source,
et j’espère obtenir mon absolution, sinon
de mon adversaire, du moins de vos lec-
teurs, ce qui est l’essentiel pour moi.
W.
NOUVELLES.
L’Académie des Beaux-Arts, dans sa séance
du 11 décembre, a élu correspondants dans
sa section de peinture :
1° M. Hébert, à Londres, en remplace-
ment de M. Leys, d’Anvers, décédé ;
2° M. Rosalès, à Madrid, en remplacement
de M. Navez, à Bruxelles, décédé.
* *
Le palais des Champs-Elysées a retrouvé
son calme inutile ; les derniers vestiges de
l’exposition ont disparu, et l’Union centrale
a repris le chemin de la Place-Royale. Le
comité d’organisation s’y occupe, dit-on,
d’une réforme en vue d’un développement
considérable de l’institution, et les commis-
sions ont recommencé leurs travaux avec
un redoublement d’activité. Les conférences
seront ouvertes dans la première quinzaine
de janvier.
*
*
La galerie Esterhazy a été transportée de
Vienne à Pesth, et il serait question de la
transformer de galerie privée en galerie
publique appartenant au royaume de Hon-
grie. Ses six cent soixante-dix tableaux an-
ciens ont été estimés près de trois millions,
par M. Otto Mundler appelé à en faire l’ex-
pertise.
*
* #
L’Exposition des œuvres de Paul Huet,
organisée par son fils M. Réné-Paul Huet,
est ouverte depuis le 12 décembre au cercle
de l’Union artistique, 18, place Vendôme.
Elle durera jusqu’au 6 janvier, de 11 heures
à h heures. On la visite sur la présentation
d’une carte que les membres du cercle dé-
livrent très-libéralement. •
En même temps paraît un volume de
notre collaborateur M. Burty, qui est orné
d’une eau-forte originale de Huet, et ren-
ferme une notice critique sur son œuvre
avec la description complète de ses eaux-
tortes, de ses lithographies et de ses bois.
*
* *
«
Quelques exemplaires de la belle publi-
cation du graveur Boetzel sur le Salon de
1869 ont été reliés avec un soin spécial en
vue du jour de l’an, et forment un très-beau
cadeau d’étrennes. La Gazette a donné un
spécimen de ces bois, gravés avec talent
d’après les tableaux les plus remarqués à ce
Salon.
Le Directeur : ÉMILE GALICHOIV.
Librairie de FIRMIN DIDOT Frères, Fils et Ce
IMPRIMEURS DE L’iPSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56
A'PARIS
ÉN VENTE CHEZ TOUS LES LIBRAIRES
LES CHEFS-])’OEUVRE
, DE LA
PEINTURE ITALIENNE
PAR PAUL MANTZ
OUVRAGE CONTENANT 20 PLANCHES CHROMO LITHOGRAPHIQUES
EXÉCUTÉES PAR F. KELLERHOVEIV
30 PL. SUIS IIOIS ET 40 CULS-DE-LASIPES ET LETTRES ORNÉES
I splendide vol. In-fol., rsllé. dorures Renaissance
mou rogné, ÎOO fr.
Le caractère (lu texte de l’ouvrage appartient tu type grewè
par Firmin Di dot.
*
La Gazette des Beaux-Arts du 1er novembre
a publié la liste des peintures reproduites
dans cet ouvrage. Mais ce livre n’est nas fait
uniquement pour le plaisir des yeux. L’auteur,
sortant des voies battues, a dû être original
sans être téméraire. Les lignes suivantes, ex-
traites de la préface, expriment la pensée qui
lui a servi de guide dans une œuvre dont
l’importance est incontestable.
« Les planches en couleur et les gravures
formant la partie principale des Chefs-d'œuvre
de la peinture italienne, nous aurions pu nous
borner à les entourer d’un commentaire des-
criptif. Mais il ne nous était pas défendu de
faire un peu plus. Nous l’avons essayé. Le
programme s’est élargi. Les noms d’artistes,
les faits, les dates se sont rangés fatalement
dans un ordre logique, ou qui du moins nous
a paru tel ; notre étude est devenue un récit,
et elle a pris la forme, sinon les hautes ver-
tus de l’histoire.
« Tout se tient dans les choses humaines;.
mais c’est surtout en matière d’art que la con-
séquence se lie au principe et que la moisson
est en raison des semailles, ici l’influence de
l’hérédité, l’aetion salutaire ou mauvaise des
milieux ambiants s’imposent à l’historien avec
fautorité d’ur.e loi. Le passé se prolonge et
reste visible dans le présent, qui déjà laisse
deviner l’avenir. Rien n’est donné au caprice.
S’imaginer qu’on peut isoler un artiste italien
du mouvement antérieur et l’abstraire des
influences contemporaines, c’est pure chi-
mère. Les plus hautes individualités tiennent
aux foules; les écoles elles-mêmes sont étroi-
tement mêlées les unes aux autres. Il est im-
possible de morceler cette grande histoire :
il faut l’étudier, comme l’a faite la logique
souveraine des événements, dans son indivi-
sible unité.
« A ce point de vue, aucun chef-d’œuvre
n’est simple. Pour le comprendre, il faut sa-
voir. d’où il vient et où il va. Le Jugement
dernier de Michel-Ange .résume trois cents
ans d’efforts : Dante, Orcagna, Luca Signorelli
l’avaient préparé, et, un siècle après l’éclo-
sion de la fresque immortelle, elle était en-
core imitée par les artistes dégénérés qui
avaient cessé d’entendre ce fier langage. Si
l’œuvre ne peut être distraite de son milieu,
on ne saurait non plus isoler le maître, car il
se rattache à tout ce qui l’entoure. 11 en est
de même de. ces groupes qu’on a appelés les
écoles, et qui, dans les classifications en usage,
ont pour lien, non le culte d’un idéal pareil,
mais la communauté d’origine des peintres
qui les constituent.
« Aussi, bien que le cadre de ce rivre se
prêtât peu aux hardiesses trop nouvelles,
nous avons cru pouvoir nous séparer, sous ce
rapport, de Lanzi et de ses adhérents. Tout
en regrettant de troubler l’ordre des subdivi-
sions consacrées, nous n’avons pu admettre
l’existence de quatorze ou quinze écoles vivant
en dehors les unes ries autres et conservant
leur autonomie. On verra que dans nos au-
daces, trop timides peut-être, nous avons mêlé
souvent ce que nos devanciers avaient soi-
gneusement distingué.
« C’est notre avis, en effet, que, grandsou
petits, illustres ou obscurs, les maîtres ita-
liens ont bien moins obéi à la loi de leur ori-
gine, aux fatalités locales de la géographie,
qu’aux influences générales du temps, à ces
courants d’idées qui, à un moment donné, pas-
sent sur le inonde, enflamment toutes les in-
telligences et font vibrer toutes les âmes. Lors-
que l’on voit, en des lieux qui semblènt si di-
vers, s’opérer simultanément les transforma-
tions les plus radicales, — la défaite du prin-
cipe byzantin, l’étude de la nature remise à
CHRONIQUE DES ARTS.
tor a fait parmi les drames, les romans, les
tragédies, les lieds de Goethe. A un demi-
dieu il fallait une riche chapelle.
Ces compositions de M. Kaulbach, qui
datent d’une dizaine d’années, sont popu-
laires en Allemagne et inconnues en France.
Celle-ci n’est point curieuse. Rarement elle
se dresse sur la pointe du pied pour regar-
der par-dessus ses frontières ce que peignent
ou dessinent, gravent ou sculptent les voi-
sins. C’est comme en fraude qu’il faut intro-
duire en France les renseignements sur ce
qui se fait en Angleterre ou en Allemagne.
Ce n’est point à propos d’un livre d’é-
trennes, — des plus beaux qui se puissent
offrir, — qu’il convient d’épousseter et de
faire agir le spectre de l’Esthétique. Les Alle-
mands n’y répugneraient peut-être point.
Mais le lecteur français, qui prétend sage-
ment juger par lui-même, demande au plus
vite un renseignement sérieux. Ouvrons et
feuilletons donc le livre. C’est ce que fera
tout d’abord la famille réunie autour de la
table. Puis le père serrera le volume et lira
aux heures de repos la noble prose de Paul
de Saint-Victor, sonore et cadencée, limpide4
et colorée comme les flots de cette Méditer-
ranée qu’il chérit tant et qu’il connaît si
bien.
Vingt grands burins, gravés par les artistes
les plus habiles de l'Allemagne, montrent
tour à tour les héroïnes de Goethe, non
point en portraits isolés, comme dans les
anciens keepsakes, mais dans l’action même
d’une des pages du roman ou de la poésie.
C’est Charlotte qui distribue des tartines
de pain bis à sa petite famille. Vous diriez,'
à voir les visages rebondis, les mains pote-
lées qui se dressent vers elles, une scène
peinte par un des successeurs de' Greuze,
Schenau ou Aubry. —Lili s’avance, saluée,
comme une aurore, par les pigeons, les
poules, les porcs, les lapins et les oies de la
ménagerie fantastique. — Claire, du drame
d’Egmont, appelle le peuple, avec d^ gestes
tragiques, à la délivrance de son amant. —
Iphigénie étend sur la tête d’Oreste, que me-
nacent les Furies, « une douce absolution. »
Marguerite, la douce Marguerite de Faust,
a tenté deux fois le crayon de M. W. de
Kaulbach : ici, elle passe, svelte et pure, se
rendant à l’église; là, agenouillée sur la
dalle, les bras tordus de désespoir, la tête
courbée’, le corps brisé, elle pleure amère-
ment sa faiblesse, tandis que dans le fond
les bonnes âmes du quartier rient, babillent
et chantent la vertu , réunies autour de la
fontaine publique. Cette figure de .jeune
femme blonde est une des meilleures, pour
le sentiment comme pour la beauté plasti-
que, qu’ait rencontrées le maître allemand.
Du baiser de Faust et d'Hélène, dans le
Second Faust, naît la charmante figure
d’Euphorion, image de la poésie romanti-
que. La Léonore du Tasse montre la cour
des princes d’Este sous’un costume peut-être
un peu moderne. Mais le tableau que fait
M. Paul de Saint-Victor de ces cours italien-
nes, vaniteuses et pauvres, mesquines et
rancunières, est des plus piquants.
Deux gravures encore pour le conte si
passionné et si- patriotique d'Hermann et
Dorothée. Une seule pour l’Adélaïde du Goetz
de Berlinchingen. Eugène Delacroix avait
pensé à illustrer ce drame héroïque, à mon
sens, injustement méconnu du public. Il a
tracé à la plume quelques bois dans le Ma-
gasin pittoresque. Il a crayonné quelques
lithographies tirées à quelques épreuves d’es-
sai. Il a esquissé plusieurs scènesdont j’ai, à
sa vente, recueilli les croquis. — Eujnie
essaye des bijoux, Mignon chante des stro-
phes dans le château de Nathalie; des ailes
de papier doré accrochées aux épaules,
Oltilie contemple avec une terreur folle le
cadavre de l’enfant quelle vient de noyer.
La Rose dans la forêt, Dora, épisode anti-
que, ardent et rapide comme une épi-
gramme de l’Anthologie et Friederique,
la fille du pasteur, closent, avec Goethe
à Francfort et à Weimar, cette série qui,
selon le mot charmant de M. Paul de
Saint-Victor, a forme une sorte de gynécée
de l’œuvre de Goethe. »
La Chronique doit laisser ignorer les opi-
nions littéraires de ses collaborateurs. On ne
peut prendre la plume que pour y parler
d’art. Mais les études de Paul de Saint-Victor
ressemblent du plus près à des camées ébau-
chés avec un goût toujours pur, finis avec
une habileté merveilleuse, et ce beau livre
laisse à l’esprit le souvenir et l’impression
d’un précieux médaillier.
Ph. Burty.
-io> —
CORRESPONDANCE.
Londres, il décembre 1809.
Mon cher directeur,
Vous avez accueilli dans le dernier nu-
méro de la Chronique une lettre d’un
membre de l’Académie royale en réponse à
une de mes correspondances, et vous
m’avez gracieusement laissé le droit d’y ré-
pondre; j’en profite.
Si l’Académie royale, qui cependant ne
peut plus avoir les prétentions d’une jeune
miss, se choque (je dis ce mot dans le sens
anglais) d’une . expression un peu vive de
ma lettre, je ne veux pas que la courtoisie
hautement reconnue de la Chronique puisse
être mise en doute, et je retire le mot de
bon cœur.
Quant aux faits, je le regrette pour l’ho-
norable membre autant que pour le corps
auquel il appartient, mais je dois les main-
tenir.
Lorsqu’en 1867, la fin d’un bail amena
la suspension des expositions de la
British-institution, le Burlington-club, dont
je ne prétends être ni l’avocat, ni le défen-
seur, mais dont j’ai été des premiers à
signaler et à approuver la conduite, le Bur-
lington-club, dis-je, reconnaissant l’impor-
tance des expositions de tableaux de maîtres
anciens, organisées par la British-institution,
et déplorant leur cessation, engagea des
négociations avec elle, afin de réunir un
fonds commun pour la construction d’une
galerie nouvelle. L’Institution accepta l’offre;
le club trouva un local dans Burlingtongar-
dens, où il proposa de faire faire la constru-
ction nécessaire et d’y dépenser 30,0001.
sterling. L’Institution n’approuva pas le
choix .de Remplacement, et, après en avoir
vainement cherché un autre, le club, j’ad-
mets que ce n’était pas l’Institution, fit I
des offres à l’Académie royale pour l’appro-
priation pendant l’hiver des deux grandes
salles du nouveau local de l’Académie, afin
d’y organiser une exposition de tableaux d e
maîtres anciens, s’engageant, avec l’aide de
la British-institution, à payer toutes les dé-
penses, à trouver les éléments de l’exposi-
tion, en un,mot à tout faire, sans que l’Aca-
démie eût un schilling, non-seulement à
débourser, mais même à risquer. Le prési-
dent de l’Académie royale et le conseil de
l’Académie acceptèrent la proposition, mais
en assemblée générale elle fut repoussée.
Maintenant, sans plus s’occuper des propo-
sitions du Burlington-club et de la British-
institution, l’Académie reprend l’affaire à
elle seule.
Je vous le demande, n’avais-je pas le droit
d’être surpris, sinon plus, d’une telle façon
d’agir ? Dans son avis, l’Académie ne fait
même pas mention de l’offre des deux So-
ciétés! L’Académicien qui m’a fait l’honneur
d’une réponse, assure que l’Académie a eu
l’idée de renouveler les expositions de la
British-institution dès le jour de leur cessa-
tion. C’est possible, je n’en sais rien ; mais
comment se fait-il que l’Académie qui aime
d’habitude à faire pressentir ses projets dans
certaines feuilles, ne se soit, pour la ques-
tion en litige, laissée aller à aucune confi-
dence, n’ait point revendiqué la priorité de
l’idéeaumomentoù diverses lettres parurent
dans le Times, et lorsque moi-même je vous
entretenais des projets du Burlington-club?
On me demande où j’ai puisé mes rensei-
gnements; je réponds; — l’on comprendra
que je ne veuille nommer personne; mais
mon affirmation en vaut une autre, au sein
de l’Académie elle-même : —C’est un royal
académicien qui m’a donné les raisons que
j’ai indiquées comme ayant empêché l’en-
tente des trois Sociétés.
Leslecteurs de la Chronique n’éprouveront,
je le crois, aucune surprise en apprenant
que cette excellente Société (le Burlington-
club) renferme dans son sein plusieurs
membres de l’Académie royale, et je n’ai
jamais dit qu’il y eût guerre ouverte. Les
personnes qui composent le club sont des
gentlemen dans doute l’acception du terme ;
différence d’opinion ne signifie pas lutte
ouverte.
Enfin on me 'parle de tâche onéreuse,
qu’on s’efforce d’accomplir! Comme si cha-
cun ne savait pas que la réussite d’une
chose entreprise par l’Académie royale
devait avoir un succès certain, assuré, in-
discutable et produire un bénéfice net.
Depuis cent ans que l’Académie royale fait
des expositions, a-t-elle jamais eu un déficit
résultant de ses opérations?
Quant à la conduite du Burlington-club et
de la British-institution dans cette affaire, je
suis si peu leur défenseur que je les blâme
et les admire. Dans l’intérêt de la grande
cause de l’art, les deux Sociétés, agissant
comme un seul homme — comme un par-
fait gentleman, devrais-je dire — oublient
leurs justes griefs personnels.
Je regrette qu’une expression emportée
un peu vite par ma plume ait provoqué une
polémique dans vos colonnes ; mais si en
reconnaissant mes torts d’écrivain je main-
tiens les faits, j’ose avoir, prouvé que je
tenais mes renseignements de bonne source,
et j’espère obtenir mon absolution, sinon
de mon adversaire, du moins de vos lec-
teurs, ce qui est l’essentiel pour moi.
W.
NOUVELLES.
L’Académie des Beaux-Arts, dans sa séance
du 11 décembre, a élu correspondants dans
sa section de peinture :
1° M. Hébert, à Londres, en remplace-
ment de M. Leys, d’Anvers, décédé ;
2° M. Rosalès, à Madrid, en remplacement
de M. Navez, à Bruxelles, décédé.
* *
Le palais des Champs-Elysées a retrouvé
son calme inutile ; les derniers vestiges de
l’exposition ont disparu, et l’Union centrale
a repris le chemin de la Place-Royale. Le
comité d’organisation s’y occupe, dit-on,
d’une réforme en vue d’un développement
considérable de l’institution, et les commis-
sions ont recommencé leurs travaux avec
un redoublement d’activité. Les conférences
seront ouvertes dans la première quinzaine
de janvier.
*
*
La galerie Esterhazy a été transportée de
Vienne à Pesth, et il serait question de la
transformer de galerie privée en galerie
publique appartenant au royaume de Hon-
grie. Ses six cent soixante-dix tableaux an-
ciens ont été estimés près de trois millions,
par M. Otto Mundler appelé à en faire l’ex-
pertise.
*
* #
L’Exposition des œuvres de Paul Huet,
organisée par son fils M. Réné-Paul Huet,
est ouverte depuis le 12 décembre au cercle
de l’Union artistique, 18, place Vendôme.
Elle durera jusqu’au 6 janvier, de 11 heures
à h heures. On la visite sur la présentation
d’une carte que les membres du cercle dé-
livrent très-libéralement. •
En même temps paraît un volume de
notre collaborateur M. Burty, qui est orné
d’une eau-forte originale de Huet, et ren-
ferme une notice critique sur son œuvre
avec la description complète de ses eaux-
tortes, de ses lithographies et de ses bois.
*
* *
«
Quelques exemplaires de la belle publi-
cation du graveur Boetzel sur le Salon de
1869 ont été reliés avec un soin spécial en
vue du jour de l’an, et forment un très-beau
cadeau d’étrennes. La Gazette a donné un
spécimen de ces bois, gravés avec talent
d’après les tableaux les plus remarqués à ce
Salon.
Le Directeur : ÉMILE GALICHOIV.
Librairie de FIRMIN DIDOT Frères, Fils et Ce
IMPRIMEURS DE L’iPSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56
A'PARIS
ÉN VENTE CHEZ TOUS LES LIBRAIRES
LES CHEFS-])’OEUVRE
, DE LA
PEINTURE ITALIENNE
PAR PAUL MANTZ
OUVRAGE CONTENANT 20 PLANCHES CHROMO LITHOGRAPHIQUES
EXÉCUTÉES PAR F. KELLERHOVEIV
30 PL. SUIS IIOIS ET 40 CULS-DE-LASIPES ET LETTRES ORNÉES
I splendide vol. In-fol., rsllé. dorures Renaissance
mou rogné, ÎOO fr.
Le caractère (lu texte de l’ouvrage appartient tu type grewè
par Firmin Di dot.
*
La Gazette des Beaux-Arts du 1er novembre
a publié la liste des peintures reproduites
dans cet ouvrage. Mais ce livre n’est nas fait
uniquement pour le plaisir des yeux. L’auteur,
sortant des voies battues, a dû être original
sans être téméraire. Les lignes suivantes, ex-
traites de la préface, expriment la pensée qui
lui a servi de guide dans une œuvre dont
l’importance est incontestable.
« Les planches en couleur et les gravures
formant la partie principale des Chefs-d'œuvre
de la peinture italienne, nous aurions pu nous
borner à les entourer d’un commentaire des-
criptif. Mais il ne nous était pas défendu de
faire un peu plus. Nous l’avons essayé. Le
programme s’est élargi. Les noms d’artistes,
les faits, les dates se sont rangés fatalement
dans un ordre logique, ou qui du moins nous
a paru tel ; notre étude est devenue un récit,
et elle a pris la forme, sinon les hautes ver-
tus de l’histoire.
« Tout se tient dans les choses humaines;.
mais c’est surtout en matière d’art que la con-
séquence se lie au principe et que la moisson
est en raison des semailles, ici l’influence de
l’hérédité, l’aetion salutaire ou mauvaise des
milieux ambiants s’imposent à l’historien avec
fautorité d’ur.e loi. Le passé se prolonge et
reste visible dans le présent, qui déjà laisse
deviner l’avenir. Rien n’est donné au caprice.
S’imaginer qu’on peut isoler un artiste italien
du mouvement antérieur et l’abstraire des
influences contemporaines, c’est pure chi-
mère. Les plus hautes individualités tiennent
aux foules; les écoles elles-mêmes sont étroi-
tement mêlées les unes aux autres. Il est im-
possible de morceler cette grande histoire :
il faut l’étudier, comme l’a faite la logique
souveraine des événements, dans son indivi-
sible unité.
« A ce point de vue, aucun chef-d’œuvre
n’est simple. Pour le comprendre, il faut sa-
voir. d’où il vient et où il va. Le Jugement
dernier de Michel-Ange .résume trois cents
ans d’efforts : Dante, Orcagna, Luca Signorelli
l’avaient préparé, et, un siècle après l’éclo-
sion de la fresque immortelle, elle était en-
core imitée par les artistes dégénérés qui
avaient cessé d’entendre ce fier langage. Si
l’œuvre ne peut être distraite de son milieu,
on ne saurait non plus isoler le maître, car il
se rattache à tout ce qui l’entoure. 11 en est
de même de. ces groupes qu’on a appelés les
écoles, et qui, dans les classifications en usage,
ont pour lien, non le culte d’un idéal pareil,
mais la communauté d’origine des peintres
qui les constituent.
« Aussi, bien que le cadre de ce rivre se
prêtât peu aux hardiesses trop nouvelles,
nous avons cru pouvoir nous séparer, sous ce
rapport, de Lanzi et de ses adhérents. Tout
en regrettant de troubler l’ordre des subdivi-
sions consacrées, nous n’avons pu admettre
l’existence de quatorze ou quinze écoles vivant
en dehors les unes ries autres et conservant
leur autonomie. On verra que dans nos au-
daces, trop timides peut-être, nous avons mêlé
souvent ce que nos devanciers avaient soi-
gneusement distingué.
« C’est notre avis, en effet, que, grandsou
petits, illustres ou obscurs, les maîtres ita-
liens ont bien moins obéi à la loi de leur ori-
gine, aux fatalités locales de la géographie,
qu’aux influences générales du temps, à ces
courants d’idées qui, à un moment donné, pas-
sent sur le inonde, enflamment toutes les in-
telligences et font vibrer toutes les âmes. Lors-
que l’on voit, en des lieux qui semblènt si di-
vers, s’opérer simultanément les transforma-
tions les plus radicales, — la défaite du prin-
cipe byzantin, l’étude de la nature remise à