LA VÉNUS
les ventes publiques ; que sont devenus les clairs de lune et les
hivers de ce peintre, qui luttait avec Aart Van der Neer et qui
même le surpassa, s'il faut en croire De Burtin, qui s'y connais-
sait, dans le tableau que posse'dait cet amateur? Ce qu'ils sont
devenus, on le devine sans peine : ils sont devenus des Van der
Neer, comme ses paysages d'un autre genre ont pu devenir des
Wijnants, te'moin celui de l'Exposition de Munich.
A l'Exposition rétrospective d'Amsterdam, en 1867, on vit
inscrits sous le nom de Dirk Rafaelz, trois tableaux dont les su-
jets étaient : un Intérieur rustique, avec deux figures; un Inté-
rieur de ferme, reproduisant une fois de plus la donnée de la
paysanne courtisée par un villageois, celui-ci avec la fausse
signature de Paul Potter et la date de 1641, qui en reporterait
l'exécution à l'époque où ce maître était âgé de seize ans; enfin
une Nature morte. Les deux premiers tableaux sont incontesta-
LA VÉNUS
Toutes les hypothèses sur la Vénus de Milo semblent épui-
sées ; et, à moins d'une nouvelle découverte venant offrir d'au-
tres documents positifs, il paraît bien difficile de revenir sur ce
sujet. Il ne serait peut-être pas inutile de donner en quelques
mots le procès-verbal des combats livrés autour de ce sublime
morceau de l'art grec, d'enregistrer les arguments souvent spé-
cieux de différents adversaires ; en un mot, de résumer les
débats.
Emeric David, Quatremère de Quincy et Clarac ont raconté
comment fut découverte, en 1820, dans l'île de Milo (ancienne-
ment Mélos), la célèbre statue connue aujourd'hui sous le nom
de Vénus. L'ouvrage publié par M. Aicard a jeté un nouveau
jour sur la façon dont cette statue est parvenue dans nos mains.
Les documents qu'il a fait paraître 1 semblent devoir donner une
valeur décisive à ses conjectures sur les difficultés de la prise de
possession. On s'explique parfaitement que M. de Marcellus n'ait
du 12 avril 1820 : « ... Vénus tenant la pomme de discorde dans
une main ; elle est un peu mutilée, les bras sont cassés, et parta-
gée en deux par la ceinture. » Le second extrait, provenant d'une
autre lettre du même vice-consul, datée du 26 novembre, vient
confirmer le précédent. Elle est adressée à M. le vicomte de
Viella, chargé d'affaires. « Son Excellence m'a laissé des ordres
pour faire des recherches pour trouver les bras et autres débris
de la statue ; mais pour cela faire, il serait urgent d'obtenir un
bouljourdhy qui nous permît de faire des fouilles à nos frais, car
dans la même niche, il y a lieu d'espérer que l'on doit trouver
d'autres objets. »
Au reste, ce côté de la question perd de son importance si l'on
réfléchit que, de ce que l'on a trouvé avec la Vénus de Milo, mis
en place ou en terre, entiers ou brisés, des bras et une main tenant
DE MILO. .67
blement de Govert Camphuysen. Si celui-ci est également l'au-
teur de la Nature morte et s'il a peint le portrait donné par
Bûrger au musée d'Amsterdam, c'était un maître doué des apti-
tudes les plus étendues, en même temps que les plus brillantes,
égalant les habiles spécialistes dans plusieurs genres, et les sur-
passant par la variété des applications qu'il faisait de ses talents.
Voilà tout ce qu'on sait, jusqu'à présent, des Camphuysen.
En groupant des particularités négligées par nos prédécesseurs,
nous avons pu ajouter quelque lumière sur les travaux de deux
artistes remarquables, laissés dans un injuste oubli. Il y a encore
beaucoup à faire pour arriver à la solution du problème de leur
histoire. Nous nous estimerions heureux d'avoir contribué à
diriger de ce côté les investigations des écrivains de la Hollande
qui s'occupent de compléter les annales de leur école nationale.
Edouard Fétis.
DE MILO
pas voulu ébruiter le recours à la force qu'il n'avait pu éviter, et
qu'il ait fait transformer volontairement dans les rapports offi-
ciels le combat livré sur la plage, autour de la Vénus, en une
lutte pacifique n'ayant pas dépassé les limites d'une action diplo-
matique.
Quoi qu'il en soit, faut-il admettre que, grâce aux travaux
de M. Aicard, la question relative à la restauration scientifique
de la Vénus de Milo soit définitivement résolue? Nous ne le
croyons pas. Que la statue, alors que MM. Dumont d'Urville
et Matterer passèrent à Milo, ait eu, selon leurs relations, la main
gauche relevée tenant une pomme, nous voulons bien le croire,
quoique deux communications faites à l'Académie par M. de
Vogué paraissent en opposition avec ces relations. Voici deux
passages des lettres citées dans ces communications. Le premier
est extrait d'une lettre de M. Louis Brest, vice-consul de France
à Milo, à M. David, consul général de France à Smyrne, à la date
une pomme, il ne s'ensuit pas que cette statue soit nécessairement
sortie ainsi des mains du sculpteur et ait toujours eu le caractère
que M. Aicard lui accorde. Qui empêche d'en expliquer la pré-
sence, comme le prétendait Quatremère de Quincy, par quelque
tentative de restauration entreprise dans l'antiquité ? Pour cet
érudit, la Vénus de Milo avait dû être primitivement groupée avec
un Mars. « La plupart des archéologues, écrit M. Frcehner, sans
toutefois partager cette opinion, pensent que, à l'instar de la Vic-
m
toire de Brescia, elle aura tenu un bouclier, en posant le pied
gauche sur un casque. » On sait qu'il est généralement admis
aujourd'hui que la statue connue sous le nom de Victoire de
Brescia est une Vénus restaurée en Victoire. Mais ne pourrait-on
admettre qu'elle ait été primitivement une Vénus victorieuse,
conception familière au génie grec ? Pausanias nous offre un
1. La Vénus de Milo, recherches sur l'histoire de la découverte, d'après des documents inédits, un volume in-iS, par M. Jean Aicard.
les ventes publiques ; que sont devenus les clairs de lune et les
hivers de ce peintre, qui luttait avec Aart Van der Neer et qui
même le surpassa, s'il faut en croire De Burtin, qui s'y connais-
sait, dans le tableau que posse'dait cet amateur? Ce qu'ils sont
devenus, on le devine sans peine : ils sont devenus des Van der
Neer, comme ses paysages d'un autre genre ont pu devenir des
Wijnants, te'moin celui de l'Exposition de Munich.
A l'Exposition rétrospective d'Amsterdam, en 1867, on vit
inscrits sous le nom de Dirk Rafaelz, trois tableaux dont les su-
jets étaient : un Intérieur rustique, avec deux figures; un Inté-
rieur de ferme, reproduisant une fois de plus la donnée de la
paysanne courtisée par un villageois, celui-ci avec la fausse
signature de Paul Potter et la date de 1641, qui en reporterait
l'exécution à l'époque où ce maître était âgé de seize ans; enfin
une Nature morte. Les deux premiers tableaux sont incontesta-
LA VÉNUS
Toutes les hypothèses sur la Vénus de Milo semblent épui-
sées ; et, à moins d'une nouvelle découverte venant offrir d'au-
tres documents positifs, il paraît bien difficile de revenir sur ce
sujet. Il ne serait peut-être pas inutile de donner en quelques
mots le procès-verbal des combats livrés autour de ce sublime
morceau de l'art grec, d'enregistrer les arguments souvent spé-
cieux de différents adversaires ; en un mot, de résumer les
débats.
Emeric David, Quatremère de Quincy et Clarac ont raconté
comment fut découverte, en 1820, dans l'île de Milo (ancienne-
ment Mélos), la célèbre statue connue aujourd'hui sous le nom
de Vénus. L'ouvrage publié par M. Aicard a jeté un nouveau
jour sur la façon dont cette statue est parvenue dans nos mains.
Les documents qu'il a fait paraître 1 semblent devoir donner une
valeur décisive à ses conjectures sur les difficultés de la prise de
possession. On s'explique parfaitement que M. de Marcellus n'ait
du 12 avril 1820 : « ... Vénus tenant la pomme de discorde dans
une main ; elle est un peu mutilée, les bras sont cassés, et parta-
gée en deux par la ceinture. » Le second extrait, provenant d'une
autre lettre du même vice-consul, datée du 26 novembre, vient
confirmer le précédent. Elle est adressée à M. le vicomte de
Viella, chargé d'affaires. « Son Excellence m'a laissé des ordres
pour faire des recherches pour trouver les bras et autres débris
de la statue ; mais pour cela faire, il serait urgent d'obtenir un
bouljourdhy qui nous permît de faire des fouilles à nos frais, car
dans la même niche, il y a lieu d'espérer que l'on doit trouver
d'autres objets. »
Au reste, ce côté de la question perd de son importance si l'on
réfléchit que, de ce que l'on a trouvé avec la Vénus de Milo, mis
en place ou en terre, entiers ou brisés, des bras et une main tenant
DE MILO. .67
blement de Govert Camphuysen. Si celui-ci est également l'au-
teur de la Nature morte et s'il a peint le portrait donné par
Bûrger au musée d'Amsterdam, c'était un maître doué des apti-
tudes les plus étendues, en même temps que les plus brillantes,
égalant les habiles spécialistes dans plusieurs genres, et les sur-
passant par la variété des applications qu'il faisait de ses talents.
Voilà tout ce qu'on sait, jusqu'à présent, des Camphuysen.
En groupant des particularités négligées par nos prédécesseurs,
nous avons pu ajouter quelque lumière sur les travaux de deux
artistes remarquables, laissés dans un injuste oubli. Il y a encore
beaucoup à faire pour arriver à la solution du problème de leur
histoire. Nous nous estimerions heureux d'avoir contribué à
diriger de ce côté les investigations des écrivains de la Hollande
qui s'occupent de compléter les annales de leur école nationale.
Edouard Fétis.
DE MILO
pas voulu ébruiter le recours à la force qu'il n'avait pu éviter, et
qu'il ait fait transformer volontairement dans les rapports offi-
ciels le combat livré sur la plage, autour de la Vénus, en une
lutte pacifique n'ayant pas dépassé les limites d'une action diplo-
matique.
Quoi qu'il en soit, faut-il admettre que, grâce aux travaux
de M. Aicard, la question relative à la restauration scientifique
de la Vénus de Milo soit définitivement résolue? Nous ne le
croyons pas. Que la statue, alors que MM. Dumont d'Urville
et Matterer passèrent à Milo, ait eu, selon leurs relations, la main
gauche relevée tenant une pomme, nous voulons bien le croire,
quoique deux communications faites à l'Académie par M. de
Vogué paraissent en opposition avec ces relations. Voici deux
passages des lettres citées dans ces communications. Le premier
est extrait d'une lettre de M. Louis Brest, vice-consul de France
à Milo, à M. David, consul général de France à Smyrne, à la date
une pomme, il ne s'ensuit pas que cette statue soit nécessairement
sortie ainsi des mains du sculpteur et ait toujours eu le caractère
que M. Aicard lui accorde. Qui empêche d'en expliquer la pré-
sence, comme le prétendait Quatremère de Quincy, par quelque
tentative de restauration entreprise dans l'antiquité ? Pour cet
érudit, la Vénus de Milo avait dû être primitivement groupée avec
un Mars. « La plupart des archéologues, écrit M. Frcehner, sans
toutefois partager cette opinion, pensent que, à l'instar de la Vic-
m
toire de Brescia, elle aura tenu un bouclier, en posant le pied
gauche sur un casque. » On sait qu'il est généralement admis
aujourd'hui que la statue connue sous le nom de Victoire de
Brescia est une Vénus restaurée en Victoire. Mais ne pourrait-on
admettre qu'elle ait été primitivement une Vénus victorieuse,
conception familière au génie grec ? Pausanias nous offre un
1. La Vénus de Milo, recherches sur l'histoire de la découverte, d'après des documents inédits, un volume in-iS, par M. Jean Aicard.