LE COURAGE MILITAIRE
PAR M. PAUL DUBOIS
e n'est pas une petite affaire que de refaire,
sans tomber dans le pastiche, ces allégo-
ries morales qui abondent et parfois sura-
bondent dans la sculpture de tous les temps.
Il y en a quelques-unes surtout dont on a
tant abusé et dont la caractéristique paraît
d'ailleurs si nettement indiquée, si étroite-
ment déterminée, qu'elles semblent interdire
tout d'abord la recherche et l'espoir de
l'originalité.
Le courage militaire est de ce nombre.
Du premier coup on voit un guerrier fière-
ment campé, brandissant sa lance contre
des ennemis qui se pressent devant lui.
Quelques cadavres couchés à ses pieds en
des attitudes diverses complètent la repré-
sentation. L'artiste peut encore, s'il le veut,
rendre la chose claire, appeler à son aide
un génie aux grandes ailes qui vienne, der-
rière le guerrier, poser sur sa tête la cou-
Lettre composée et dessinée par Ehrniami, gravure de Dumont.
ronne triomphale. Quoi de plus simple ?
mais aussi quoi de plus banal ? Ce n'est pas là évidemment ce qui pouvait satisfaire M. Paul
Dubois. D'ailleurs une conception de ce genre, admissible pour un tableau ou un bas-relief, ne
pouvait s'accommoder au monument auquel le sculpteur devait subordonner son œuvre. Le tombeau,
que la ville de Nantes érige dans sa cathédrale au général de Lamoricière, exige quatre figures
isolées, dont chacune doit représenter une des qualités attribuées au héros. Le programme imposé
à l'artiste excluait donc toute action, l'action supposant presque nécessairement un groupe.
De plus il ne faut pas oublier que le genre de courage qu'il fallait représenter n'est pas
seulement le courage en quelque sorte physique du simple combattant, qui se lance les yeux
fermés au milieu des ennemis et en triomphe par l'audace et la force. Le courage d'un général,
d'un commandant d'armée, doit être d'une nature différente et plus haute. Il lui faut un carac-
tère plus moral, quelque chose de plus profond, de plus permanent, que l'entraînement qui peut
suffire à une action unique.
C'est ce qu'a bien compris M. Paul Dubois, et ce qu'il a' non moins bien rendu. Son Cou-
rage militaire est assis, comme pour exprimer qu'il n'a pas besoin de l'excitation de la lutte. Il
n'agit pas, mais l'énergie de son attitude, la mâle résolution qui éclate sur son visage disent
suffisamment qu'il est toujours prêt pour l'action. Il est difficile d'imaginer un calme plus
expressif. Le torse bien appuyé, dans une posture dont l'équilibre parfait échappe pourtant à la
monotonie d'une symétrie trop exacte, marque le repos ; mais l'inflexion du cou, la pose de la
Tome VIII. 3 5
PAR M. PAUL DUBOIS
e n'est pas une petite affaire que de refaire,
sans tomber dans le pastiche, ces allégo-
ries morales qui abondent et parfois sura-
bondent dans la sculpture de tous les temps.
Il y en a quelques-unes surtout dont on a
tant abusé et dont la caractéristique paraît
d'ailleurs si nettement indiquée, si étroite-
ment déterminée, qu'elles semblent interdire
tout d'abord la recherche et l'espoir de
l'originalité.
Le courage militaire est de ce nombre.
Du premier coup on voit un guerrier fière-
ment campé, brandissant sa lance contre
des ennemis qui se pressent devant lui.
Quelques cadavres couchés à ses pieds en
des attitudes diverses complètent la repré-
sentation. L'artiste peut encore, s'il le veut,
rendre la chose claire, appeler à son aide
un génie aux grandes ailes qui vienne, der-
rière le guerrier, poser sur sa tête la cou-
Lettre composée et dessinée par Ehrniami, gravure de Dumont.
ronne triomphale. Quoi de plus simple ?
mais aussi quoi de plus banal ? Ce n'est pas là évidemment ce qui pouvait satisfaire M. Paul
Dubois. D'ailleurs une conception de ce genre, admissible pour un tableau ou un bas-relief, ne
pouvait s'accommoder au monument auquel le sculpteur devait subordonner son œuvre. Le tombeau,
que la ville de Nantes érige dans sa cathédrale au général de Lamoricière, exige quatre figures
isolées, dont chacune doit représenter une des qualités attribuées au héros. Le programme imposé
à l'artiste excluait donc toute action, l'action supposant presque nécessairement un groupe.
De plus il ne faut pas oublier que le genre de courage qu'il fallait représenter n'est pas
seulement le courage en quelque sorte physique du simple combattant, qui se lance les yeux
fermés au milieu des ennemis et en triomphe par l'audace et la force. Le courage d'un général,
d'un commandant d'armée, doit être d'une nature différente et plus haute. Il lui faut un carac-
tère plus moral, quelque chose de plus profond, de plus permanent, que l'entraînement qui peut
suffire à une action unique.
C'est ce qu'a bien compris M. Paul Dubois, et ce qu'il a' non moins bien rendu. Son Cou-
rage militaire est assis, comme pour exprimer qu'il n'a pas besoin de l'excitation de la lutte. Il
n'agit pas, mais l'énergie de son attitude, la mâle résolution qui éclate sur son visage disent
suffisamment qu'il est toujours prêt pour l'action. Il est difficile d'imaginer un calme plus
expressif. Le torse bien appuyé, dans une posture dont l'équilibre parfait échappe pourtant à la
monotonie d'une symétrie trop exacte, marque le repos ; mais l'inflexion du cou, la pose de la
Tome VIII. 3 5