L' art: revue hebdomadaire illustrée (3.1877 (Teil 1))

LETTRES ANGLAISES

Londres, le 10 mars.

L'année dernière, lorsque la section anglaise de la National Gal-
lery a été installée définitivement à Trafalgar Square, ce déménage-
ment qui occasionnait un vide considérable et qui pouvait être du plus
fâcheux effet dans les galeries du premier étage du South Kensington
Muséum, devint au contraire la cause d'un attrait de plus pour cette
florissante institution. Un des plus grands seigneurs du Royaume-Uni,
le comte Spencer, s'empressa d'envoyer un grand nombre de tableaux
« Pug-Dog.. en porcelaine de Saxe, de sa collection pour occuper pendant quelque temps la place d'une

de la seconde moitié du xvnie siècle. (Collection . ^ . 1 \ t-* 1 t» k -tt t t^. h •

de Lady Carington, partie des absents. Un membre du Parlement, M. W. Fuller Mait-

.t^nîtï !and, vicnt dc suivre cet excellent exemple; les deux prêts sont placés

1-ac-simile d un dessin de John \\ atknis. 7 F > r r

dans des salles contiguës, et il n'est que trop aisé de se rendre compte
que la comparaison est loin d'être à l'avantage des derniers venus ; les œuvres très-discutables,
les œuvres absolument fausses, abondent malheureusement parmi eux. Pour un Italien vrai,
quoique repeint, il n'y en a que trop qui sont ornés d'attributions sacrilèges; il est évident, en
effet, que le riche amateur a été indignement volé quand on voit donner à Andréa del Sarto les
deux compositions intitulées : Labourers in the Vineyard, et que Léonard est gratifié d'un
Portrait of a Youth, qui est une sanglante insulte à la mémoire de l'illustre Vinci. Le plaisant
de l'affaire, c'est que la peinture ainsi baptisée est signée de la façon la plus apparente d'un
monogramme composé d'un A, d'un M et d'un R1.

Il n'y a pas que les Italiens de maltraités de la sorte ; Hugo Van der Goes et Rogier Van
der Weyden n'ont pas de moindres droits de protester contre l'abus audacieux qui a été fait de
leur nom. Il n'y a vraiment à louer sans restrictions que quelques tableaux de l'école anglaise;
des Crome par exemple, et surtout et avant tout un Cotman de qualité prestigieuse : Barges in a
Mist. Rentrons dans les salles occupées par l'envoi de Lord Spencer, en détournant la tête d'un
Salomon Ruysdaël qui a dû être fort intéressant, mais qui, récuré, usé au'possible, a été repeint
par un barbouilleur sans vergogne; on ne se fait pas d'idée des exploits que ce vandale s'est
permis dans le ciel qu'il a tout particulièrement saucé et resaucé avec acharnement.

Chez Lord Spencer, au moins, s'il y a plus d'une tare sérieuse à signaler, on compte maints
chefs-d'œuvre auxquels on ne saurait trop s'arrêter.

Il n'y a pas lieu de s'occuper longuement des tableaux anglais qui sont nombreux, mais
brillent plus par la quantité que par la qualité ; c'est ainsi qu'il n'est pas difficile de citer des
Gainsborough très-supérieurs à la Duchesse de Devonshire en pied, que nous trouvons ici, et des
Reynolds qui ne font pas regretter ses multiples manifestations, dont quelques-unes d'une extrême
faiblesse, comme sa Frances Marchioness Camden, d'autres absolument en ruine, Lavinia Vicoùn-
tess Althorp par exemple ; et quand un Reynolds est en ruine, c'est un bien navrant spectacle,
grâce à la désastreuse collaboration du bitume dont le maître s'est montré si prodigue. Voyez
presque à côté cette German Lady, une ruine aussi, mais une ruine qui a conservé l'empreinte
du génie d'Holbein ; si abîmé que soit ce panneau, vous ne vous lassez point de l'admirer, tant il
reste grand par le caractère, la vitalité physique et morale, l'assimilation complète du modèle ; à
ne considérer que le travail du pinceau, l'œuvre de l'outil, cela est bien malade, cela a terrible-
ment souffert des injures du temps et des hommes, il n'y a pas à se le dissimuler: et cependant

i. On y lit également la date de 1494 et l'âge du jeune modèle : ano 20 (sic).