LETTRES ANGLAISES
Londres, le 26 février.
ue sera la Season ? Grave question chaque année pleine d'espé-
rance, et à laquelle de trop nombreuses déceptions n'ont cessé
de répondre dans ces derniers temps. Si le succès de « la
Saison de Londres » est d'une importance énorme pour toute
l'immense métropole, on peut dire sans exagération que les ar-
tistes y sont intéressés plus que personne. Aussi suivent-ils avec
plus d'attention qu'ils ne se l'avouent à eux-mêmes les diverses
manifestations artistiques, quelle que soit la forme qu'elles re-
vêtent, et tout particulièrement les fluctuations de la Bourse
des objets d'art ; c'est en effet dans les Auction Rooms de
Christic que vous trouverez le thermomètre le plus sûr de
la London Season. L'an dernier, il n'y a eu de great at-
Lettre tirée d'un traité de calligraphie,
, f , v ... ... „ ... traction que les ventes W\-nn Ellis, Albert Levv, Sir Abra-
par le fratc Vespasiano Amphiareo de frerrare, xvic siècle. 1 J » J ? * i
ham Hume et Richard Foster. La première a fait sensation
sans pareille, grâce au portrait de Georgina, Duchesse de Bevonshire, peint par Gainsborough ;
adjugée à 10,100 guinées (265,12) fr. !) à M. Agnew, cette peinture séduisante venait à peine
d'être payée son pesant d'or, que des controverses de tout genre s'élevèrent à son sujet ; l'un
prétendait que ce n'était point le portrait de la belle duchesse, un autre que la tète n'était pas
de la main du maître ; cette dernière assertion était des plus hasardées, comme le fit très-
justement observer M. Wood, qui prouva une fois de plus qu'il n'est pas seulement un fort
habile Auctioneer, mais aussi un très-fin connaisseur ; l'argument qui consiste à soutenir que les
vêtements révèlent seuls la touche du grand rival de Sir Joshua Reynolds, parce qu'ils sont
peints sur préparation de bitume et se craquèlent, tandis que la tète est intacte, cet argument
est sans valeur pour quiconque a étudié la manière de Gainsborough dans l'ensemble de son
œuvre ; on y constate, en effet, que l'artiste devait connaître les conséquences fatales de l'emploi
du bitume, puisqu'il s'en est presque constamment abstenu pour les tètes et les mains, que le
temps a respectées dans la plupart de ses toiles. Toutes les discussions auxquelles avait donné
lieu le portrait de la duchesse à la suite d'enchères sans précédent, étaient destinées à disparaître
bientôt devant un acte de vandalisme qui allait faire bien autrement de bruit. M. Agnew avait
loué dans Bond Street une galerie pour y exhiber moyennant un shilling d'entrée sa précieuse
conquête. L'exposition ne fut guère de longue durée ; très-peu de jours après l'inauguration, la
toile avait disparu, très-habilement coupée tout le long du cadre par une main sacrilège ; ce vol
inouï qui occupa l'univers est resté à l'état de mystère inconnu, et aujourd'hui on est générale-
ment d'avis qu'il doit y avoir eu là bien moins un vol qu'un acte de basse vengeance, perpétré
par quelque envieux des constants succès et de la puissante fortune du marchand de tableaux de
Londres et de Manchester, qui est aussi le propriétaire de Punch,, et le principal intéressé d'une
des grandes imprimeries de la Cité. Quoi qu'il en soit, M. Agnew a lait démolir la galerie de
Bond Street ; il la rebâtit sur une beaucoup plus vaste échelle, et l'inaugurera très-probablement
en mai prochain.
La collection Albert Levy ressemblait bien moins à un cabinet d'amateur formé avec un
goût délicat, qu'à une liquidation de marchand ; cela sentait singulièrement son stock réuni dans
un but de spéculation. David Cox, par exemple, se trouvait là à l'état d'accaparement ; il y avait
plus de cent de ses tableaux, aquarelles et sépias.
Londres, le 26 février.
ue sera la Season ? Grave question chaque année pleine d'espé-
rance, et à laquelle de trop nombreuses déceptions n'ont cessé
de répondre dans ces derniers temps. Si le succès de « la
Saison de Londres » est d'une importance énorme pour toute
l'immense métropole, on peut dire sans exagération que les ar-
tistes y sont intéressés plus que personne. Aussi suivent-ils avec
plus d'attention qu'ils ne se l'avouent à eux-mêmes les diverses
manifestations artistiques, quelle que soit la forme qu'elles re-
vêtent, et tout particulièrement les fluctuations de la Bourse
des objets d'art ; c'est en effet dans les Auction Rooms de
Christic que vous trouverez le thermomètre le plus sûr de
la London Season. L'an dernier, il n'y a eu de great at-
Lettre tirée d'un traité de calligraphie,
, f , v ... ... „ ... traction que les ventes W\-nn Ellis, Albert Levv, Sir Abra-
par le fratc Vespasiano Amphiareo de frerrare, xvic siècle. 1 J » J ? * i
ham Hume et Richard Foster. La première a fait sensation
sans pareille, grâce au portrait de Georgina, Duchesse de Bevonshire, peint par Gainsborough ;
adjugée à 10,100 guinées (265,12) fr. !) à M. Agnew, cette peinture séduisante venait à peine
d'être payée son pesant d'or, que des controverses de tout genre s'élevèrent à son sujet ; l'un
prétendait que ce n'était point le portrait de la belle duchesse, un autre que la tète n'était pas
de la main du maître ; cette dernière assertion était des plus hasardées, comme le fit très-
justement observer M. Wood, qui prouva une fois de plus qu'il n'est pas seulement un fort
habile Auctioneer, mais aussi un très-fin connaisseur ; l'argument qui consiste à soutenir que les
vêtements révèlent seuls la touche du grand rival de Sir Joshua Reynolds, parce qu'ils sont
peints sur préparation de bitume et se craquèlent, tandis que la tète est intacte, cet argument
est sans valeur pour quiconque a étudié la manière de Gainsborough dans l'ensemble de son
œuvre ; on y constate, en effet, que l'artiste devait connaître les conséquences fatales de l'emploi
du bitume, puisqu'il s'en est presque constamment abstenu pour les tètes et les mains, que le
temps a respectées dans la plupart de ses toiles. Toutes les discussions auxquelles avait donné
lieu le portrait de la duchesse à la suite d'enchères sans précédent, étaient destinées à disparaître
bientôt devant un acte de vandalisme qui allait faire bien autrement de bruit. M. Agnew avait
loué dans Bond Street une galerie pour y exhiber moyennant un shilling d'entrée sa précieuse
conquête. L'exposition ne fut guère de longue durée ; très-peu de jours après l'inauguration, la
toile avait disparu, très-habilement coupée tout le long du cadre par une main sacrilège ; ce vol
inouï qui occupa l'univers est resté à l'état de mystère inconnu, et aujourd'hui on est générale-
ment d'avis qu'il doit y avoir eu là bien moins un vol qu'un acte de basse vengeance, perpétré
par quelque envieux des constants succès et de la puissante fortune du marchand de tableaux de
Londres et de Manchester, qui est aussi le propriétaire de Punch,, et le principal intéressé d'une
des grandes imprimeries de la Cité. Quoi qu'il en soit, M. Agnew a lait démolir la galerie de
Bond Street ; il la rebâtit sur une beaucoup plus vaste échelle, et l'inaugurera très-probablement
en mai prochain.
La collection Albert Levy ressemblait bien moins à un cabinet d'amateur formé avec un
goût délicat, qu'à une liquidation de marchand ; cela sentait singulièrement son stock réuni dans
un but de spéculation. David Cox, par exemple, se trouvait là à l'état d'accaparement ; il y avait
plus de cent de ses tableaux, aquarelles et sépias.