PREMIÈRE EXPOSITION DE « L'UNION »
'Union, qui vient d'ouvrir au Grand-Hôtel sa première exposition,
mérite d'être encouragée. Cette Société s'est constituée le 18 août 1875
sous le patronage, non pas d'une autorité officielle, mais seulement
d'une idée, et d'une idée neuve en France : l'application du principe
coopératif aux choses de l'art. Inviter et exciter les artistes : peintres,
sculpteurs, graveurs, architectes, lithographes, céramistes, etc., à faire
leurs affaires eux-mêmes, à se passer d'intermédiaires, et à dédaigner
également et la réclame du marchand, intéressé au succès des ateliers
qu'il commandite, et les réclames gouvernementales, prix, médailles
et autres récompenses honorifiques, tel est le but de cette Société
anonyme à personnel et capital variables, qui se propose d'organiser d'abord un peu partout,
dans les locaux qu'elle trouvera disponibles, plus tard chez elle, quand ses ressources lui auront
permis l'acquisition d'un immeuble, des expositions libres, sans jury d'admission, sans jury des
récompenses. Pas de médailles. Ceux qui en veulent n'ont qu'à exposer au Salon. Pas de
médailles, mais pas de refusés. Tout actionnaire a droit à l'exposition de ses œuvres, et sa
récompense sera de les vendre.
C'est là, il faut bien le dire, le point délicat. Le public malheureusement se défie de lui-
même, quand il s'agit d'apprécier et surtout d'acheter une œuvre d'art. Tel qui n'hésitera pas,
connaisseur ou non, à formuler nettement son opinion bonne ou mauvaise, sur un drame, une
comédie, un vaudeville, un roman, un opéra comique ou sérieux, y regardera à deux fois à se
prononcer sur la valeur d'un tableau ou d'une statue, surtout s'il s'agit de délier les cordons de
la bourse. Pour juger le roman, il faut l'avoir lu, généralement du moins. Il se rencontre parfois
des critiques d'une compétence toute spéciale, assez heureusement doués pour se passer de cette
formalité préalable. Quoi qu'il en soit, pour ceux qui lisent, la dépense est faite au moment
d'exprimer leur sentiment sur l'œuvre. On l'a acheté, ce roman. Souvent on se contente de
l'emprunter. Mais pour celui qui achète, il n'y a plus à y revenir. L'argent est chez le libraire,
et l'acheteur en a fait son deuil. Aussi n'attendra-t-il pas un point d'interrogation pour donner un
avis qui ne l'engage plus à rien, et qui ne peut avoir d'autre inconvénient que de compromettre
sa réputation d'homme de goût, le cadet de ses soucis.
Pour le théâtre, il en est de même. On y est allé; que ce soit avec un billet de faveur ou
en payant, peu importe. La chose est réglée, et l'on ne se gêne pas pour trancher dans le vif.
La pièce me plaît. L'opéra ne me plaît pas. Ou mieux encore : Triste drame, jolie musique. C'est
excellent! C'est détestable. Mais s'il s'agit d'une œuvre d'art palpable, et dont l'auteur ne serait
pas fâché de palper le prix, tableau, dessin ou statuette, la situation change du tout au tout, et
celui qui vient de brûler ses vaisseaux au sortir d'une représentation dramatique ou d'un cabinet
de lecture, tremble de se compromettre dans une salle d'exposition.
Il sera moins embarrassé dans le blâme que dans la louange.
On ne risque rien à trouver tout mauvais. Mais un élpge peut coûter gros, surtout s'il est
sincère, et s'il se complique de quelque velléité d'achat. Qui me prouvera que ce tableau est
vraiment bon, et que je ne vais pas faire, en me l'annexant, une opération détestable ? Et voilà
pourquoi la grande majorité du public aime les jurys d'admission, les jurys des récompenses, les
médailles, les prix, les croix, les cautions sous toutes leurs formes, les œuvres étiquetées, contrô-
lées, poinçonnées, et tout ce qui lui donne l'idée d'une cote officielle de la valeur artistique.
'Union, qui vient d'ouvrir au Grand-Hôtel sa première exposition,
mérite d'être encouragée. Cette Société s'est constituée le 18 août 1875
sous le patronage, non pas d'une autorité officielle, mais seulement
d'une idée, et d'une idée neuve en France : l'application du principe
coopératif aux choses de l'art. Inviter et exciter les artistes : peintres,
sculpteurs, graveurs, architectes, lithographes, céramistes, etc., à faire
leurs affaires eux-mêmes, à se passer d'intermédiaires, et à dédaigner
également et la réclame du marchand, intéressé au succès des ateliers
qu'il commandite, et les réclames gouvernementales, prix, médailles
et autres récompenses honorifiques, tel est le but de cette Société
anonyme à personnel et capital variables, qui se propose d'organiser d'abord un peu partout,
dans les locaux qu'elle trouvera disponibles, plus tard chez elle, quand ses ressources lui auront
permis l'acquisition d'un immeuble, des expositions libres, sans jury d'admission, sans jury des
récompenses. Pas de médailles. Ceux qui en veulent n'ont qu'à exposer au Salon. Pas de
médailles, mais pas de refusés. Tout actionnaire a droit à l'exposition de ses œuvres, et sa
récompense sera de les vendre.
C'est là, il faut bien le dire, le point délicat. Le public malheureusement se défie de lui-
même, quand il s'agit d'apprécier et surtout d'acheter une œuvre d'art. Tel qui n'hésitera pas,
connaisseur ou non, à formuler nettement son opinion bonne ou mauvaise, sur un drame, une
comédie, un vaudeville, un roman, un opéra comique ou sérieux, y regardera à deux fois à se
prononcer sur la valeur d'un tableau ou d'une statue, surtout s'il s'agit de délier les cordons de
la bourse. Pour juger le roman, il faut l'avoir lu, généralement du moins. Il se rencontre parfois
des critiques d'une compétence toute spéciale, assez heureusement doués pour se passer de cette
formalité préalable. Quoi qu'il en soit, pour ceux qui lisent, la dépense est faite au moment
d'exprimer leur sentiment sur l'œuvre. On l'a acheté, ce roman. Souvent on se contente de
l'emprunter. Mais pour celui qui achète, il n'y a plus à y revenir. L'argent est chez le libraire,
et l'acheteur en a fait son deuil. Aussi n'attendra-t-il pas un point d'interrogation pour donner un
avis qui ne l'engage plus à rien, et qui ne peut avoir d'autre inconvénient que de compromettre
sa réputation d'homme de goût, le cadet de ses soucis.
Pour le théâtre, il en est de même. On y est allé; que ce soit avec un billet de faveur ou
en payant, peu importe. La chose est réglée, et l'on ne se gêne pas pour trancher dans le vif.
La pièce me plaît. L'opéra ne me plaît pas. Ou mieux encore : Triste drame, jolie musique. C'est
excellent! C'est détestable. Mais s'il s'agit d'une œuvre d'art palpable, et dont l'auteur ne serait
pas fâché de palper le prix, tableau, dessin ou statuette, la situation change du tout au tout, et
celui qui vient de brûler ses vaisseaux au sortir d'une représentation dramatique ou d'un cabinet
de lecture, tremble de se compromettre dans une salle d'exposition.
Il sera moins embarrassé dans le blâme que dans la louange.
On ne risque rien à trouver tout mauvais. Mais un élpge peut coûter gros, surtout s'il est
sincère, et s'il se complique de quelque velléité d'achat. Qui me prouvera que ce tableau est
vraiment bon, et que je ne vais pas faire, en me l'annexant, une opération détestable ? Et voilà
pourquoi la grande majorité du public aime les jurys d'admission, les jurys des récompenses, les
médailles, les prix, les croix, les cautions sous toutes leurs formes, les œuvres étiquetées, contrô-
lées, poinçonnées, et tout ce qui lui donne l'idée d'une cote officielle de la valeur artistique.