CHRONIQUE DES ARTS.
3
cœur du peuple, devaient être publiés d’une
façon économique à l’aide de la gravure sur
poirier. Cela eût bien valu les Malheurs
d'Henriette et Damon.
L’administration ne donna pas suite au
plan de M. Frédéric Vil lot, et Eugène Dela-
croix en fut pour son enthousiasme, tant
les idées d’utilité immédiate sont lentes et
difficiles à inculquer dans l’esprit des gou-
vernants.
II
LA FRANCE NE PEUT RESTER IGNORANTE.
J’ai sous les yeux une carte des progrès
de l’instruction en France, de 1832 à 1867.
Cette carte est teintée de trois couleurs :
Noir veut dire ignorance, jaune progrès,
blanc résultats acquis. En 1832, les deux
tiers de la France étaient noirs ; et on res-
sentirait quelque honte à voir cette tache
qui couvrait récemment encore les cinq
sixièmes du territoire si des tableaux suc-
cessifs ne montraient les améliorations suc-
cessives apportées par l’instruction.
La sinistre tache s’amoindrit d’année en
année et fuit devant les régiments pacifiques
d’instituteurs envoyés par l’État. En consta-
tant les résultats obtenus par tant d’efforts,
on respire, car la France se débarrasse de la
lèpre de l’ignorance. Comme un méde-
cin fait, d’année en année, disparaître
par un habile traitement les fâcheux symp-
tômes d’une maladie chronique, il faut
continuer, sans se lasser, de veiller à cette
ignorance dont les hideuses plaques rongent
encore le centre de la France, l’estomac
pour ainsi dire.
L’Indre, fe Cher, l’Ailier, la Haute-
Vienne, l’Ariége, les Pyrénées-Orientales, les
Landes, le Morbihan, les Côtes-du-Nord, le
Finistère, portent encore la livrée de l’igno-
rance ; la moitié des habitants ne savent ni
lire ni écrire ! D’autres pays où l’instruction
ne demanderait qu’à entrer comme l’eau
dans un terrain aride : la Nièvre, la Corse,
le Loir-et-Cher, la Sarfhe, l’Indre-et-Loire,
le Maine-et-Loire, le Puy-de-Dôme, même
la Seine-Inférieure, n’ont fait que de lents
progrès. Sur cent habitants de ces contrées
il en existe encore plus de trente absolu-
ment illettrés.
A constater ces chiffres on s’étonne que
l’idée de l’instruction obligatoire n’ait pas
prévalu. Quelle que soit la lenteur des pro-
grès de l’esprit et quoique la bête regimbe,
c’était à l’amener à la soumission qu’il eût
été utile de faire servir l’autorité. Le passant
le plus humain ne se révolte pas au nom de
la liberté quand un cavalier éperonne un
cheval rétif.
L’obligation de faire instruire les enfants
a effrayé un certain nombre d’être timides,
il faut employer d’autres moyens.
III
NÉCESSITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PAR LES YEUX.
C’est de la Moselle et du Bas-Rhin que
» *
partaient plus particulièrement les images
colportées par toute la France. 0
L’image, chez tous les peuples, même
chez les sauvages, est le premier moyen
d’enseignement. Une idole dégrossie à coups
de hache dans un tronc d’arbre indique à
ceux dont les lèvres murmurent à peine des
sons humains que tel est le Dieu qu’il faut
adorer.
Les Lorrains et les Alsaciens tirent servir
l’image à une série de connaissances et
d’enseignements divers. L’image enseigna
le respect dû au souverain, la mémoire à
conserver de ses victoires et de ses con-
quêtes; elle excita la piété des femmes en
leur déroulant en une suite de tableaux la
légende du Christ.
11 y avait, même dans ces pays voués au
travail, des paresseux et des ivrognes; les
résultats de la débauche et de l’ivrognerie
furent exposés dans une série de feuilles où
la moralité se cachait sous l’enjouement.
L’enfant prodigue fut une leçon constam-
ment mise sous les yeux de ceux qui vou-
laient quitter les champs. Pour ceux qui
aimaient à rire, l’image se fît plaisante et
joyeuse.
Combien durent regretter alors de ne
pouvoir lire les légendes explicatives de
colorations si intéressantes. 11 s’en trouva
certainement plus d’un déplorant son igno-
rance qui se dit : « Je veux que mes enfants
apprennent- à déchiffrer ces caractères.! »
L’image poussa donc à l’étude delà lecture,
la lecture à l’écriture.
Aujourd’hui encore, en face de ces dé-
partements enveloppés du deuil de l’igno-
rance, c’est au même résultat qu’on devrait
tendre.
Un éditeur intelligent serait celui qui,
étudiant la carte où sont teintées les traces
de l’ignorance, dirigerait les colporteurs
' dans ces pays déshérités et activerait les
progrès de l’instruction. Bonne action, bonne
opération du même coup.
Il y avait encore en 1867 vingt-huit dé-
partements où la moitié de la population ne
savait ni lire ni écrire ; c’est l’image qui
sera le fil conducteur de l’instruction.
Mais on ne peut s’aider de l’imagerie
actuelle. Les fabriques d’Épinal se sont je-
tées sur le Pied qui r’mue et autres sembla-
bles articles de Paris inutiles, pour ne pas
dire dangereux.
Sans tracer de programme, je ne puis
m’empêcher d’indiquer comment les Alle-
mands comprennent l’image, le parti qu’ils
en tirent et les artistes remarquables qu’ils
emploient à cette mission.
Elle est difficile la tâche de parler au
peuple un langage qui ne soit ni pédantes-
que ni trop visiblement enseignant.
II se produisit en 1849 un exemple de ce
que peut la conscience populaire passant
dans le crayon d’un artiste.
A la suite d’insurrections sanglantes en
Allemagne parut la Danse des Morts de
1849. Ces planches relèvent directement
de l’art populaire. 11 leur manque pourtant
l’idée conciliatrice. *
Le but suprême de l’art est la concilia-
tion.
Le même artiste qui a composé ce terri-
ble symbole croyait pourtant à la concilia-
tion. Reiel l’a prouvé en dessinant pour le
peuple plus d’une scène domestique avec
un grand charme, et toujours ses dessins
sérieux et croyants font penser.
Tel est le rôle de l’imagerie.
Nos pères regardaient, en songeant, ces
estampes populaires, telles que le Tableau
des âges où, du berceau de l’enfant jusqu’au
fauteuil du vieillard, gravitent et descendent
les hommes et leurs passions. L’Argent était
représenté sous des formes saisissantes dans
d’autres planches. Le Travail, la Paresse
avaient également mis en verve les burins
des tailleurs d’images.
Ce sont de ces sujets éternels auxquels
l’art est toujours prêt à faire l’aumône de
la moitié de son manteau.
Champfleury.
■ —a» & —
ÉCOLE PROFESSIONNELLE DE DESSIN
ET DE MODELAGE,
POUR LES APPRENTIS DE LA BIJOUTERIE, ORFÈVRERIE
JOAILLERIE, HORLOGERIE.
Le 1er avril, au Conservatoire des arts et
métiers, dans le bâtiment neuf qui fait pen-
dant au beau réfectoire de Pierre de Monte-
reau, s’ouvrait une nouvelle école de dessin
fondée par la chambre syndicale des indus-
tries du travail des bijoux et métaux pré-
cieux.
L’initiative privée des fabricants artistes a
été puissamment secondée ici par le con-
cours et le patronage de la direction du
Conservatoire impérial qui a mis gracieuse- S
ment à leur disposition, un vaste local tout
agencé, bien éclairé le soir et favorablement
combiné pour la variété des travaux et des
exercices que la nouvelle école doit rendre
possible aux jeunes industriels. Une série de
salles est affectée aux travaux du dessin gra-
phique, au modelage d’après la bosse et, de
nombreux élèves peuvent y jouir, à la fois,
des bienfaits d’un enseignement spécial et
nouveau, dirigé par des artistes de l’indus-
trie vers un but essentiellement pratique.
Destinée avant tout aux apprentis, l’école
est appelée, nous le croyons, dans un avenir
prochain, à recevoir les anciens élèves deve-
nus adultes, et, à devenir ainsi un centre
important d’études et d’inspirations pour nos
grandes industries 'somptuaires.
Très-grand a été, dès l’origine, l’empresse-
ment des patrons à concéder sur les heures
du soir le temps nécessaire à leurs apprentis
pour suivre les cours. — Le nombre des
inscriptions s’élève déjà à 71 et dans notre
visite, samedi dernier, nous avons constaté
que, malgré les absences motivées par les
soins à donner aux ateliers le dernier jour
de la semaine, les places, dans la. salle de
dessin, étaient presque toutes occupées.
L’âge moyen de ces jeunes gensy paraît
être de 10 à 18 ans; en effet, l’idée poursui-
vie par la chambre syndicale est de former
des ouvriers habiles, en leur donnant, dès
les premières années de leur apprentissageles
notions du.dessin et du modelage indispen-
sables aux industries qu’ils sont appelés à
exercer.
« Ce cours coniprend l’enseignement de
la figure des animaux, et principalement de
l’ornement; le dessin linéaire, les éléments
de géométrie, le lavis et le dessin à kvplume
sont également enseignés.
« Toutes les études sont faites d’après
des modèles de tout genre, choisis parmi
les meilleures œuvres d’art de toutes les
époques. »
C’est ainsi que le règlement de l’école défi- ^
ni C'en peu dé mots, les limites et les tendan-
ces de l’enseignement pratique inauguré ici.
— Ajoutons que les études du modelage en
terre et en cire, exécutées en vraie grandeur
propre à l’exécution, alterneront avec les
études graphiques et que, des exercices mé-
thodiqueset gradués décomposition, pour la
bijouterie et l’orfèvrerie, mettront en jeu
l’imagination des élèves en même temps que
des concours viendront stimuler ensuite leur
émulation.
Les cours ont lieu tous les soirs de 8
à 10 heures; l’admission de l’élève est pro-
noncée d’après sa demande écrite adressée
au président de la chambre syndicale S et
appuyée soit par le patron, soit par les pa-
rents.
La présence de l’ehfant est constatée par
une carte sur laquelle un pointage, fait à
chaque séance, témoigne de son assiduité,
tandis qu’un bulletin mensuel constate, s’il
y a lieu, son application et ses progrès.
La chambre syndicale atout fait pour que
les mesures d’ordre et de discipline assurent
une surveillance paternelle et la continuité
d’un contrôle moral sur les jeunes gens qui
suivent les cours, mais elle a surtout cherché
à rendre fructueuses pour les apprentis ces
heures d’étude, en les plaçant sous la direc-
tion d’artistes comme M. EmileCarlier, sculp-
teur et M. Félix Foscy, peintre décorateur,
son suppléant, qui, tous deux, connaissent à
fond les exigences deTindustrie somptuaire
et sauront les concilier avec les idées géné-
rales et les principes théoriques de l’art.
M. Emile Carlier, collaborateur de M. E. Fro-
ment-Meurice, pour le modelage et la scul-
pture de ses belles orfèvreries, et, M.F. Foscy
qui a répandu dans tant de belles publications
illustrées les productions gracieuses de son
talent d’ornemaniste érudit, sauront enga-
ger et maintenir, nous n’en doutons pas,
1. M. Falize, rue Montesquieu, 6, cotisation men-
suelle, payable d’avance, S francs.
la nouvelle école, dans la voie des études
sincères et naïves indispensables à toute
éducation d’art. Nous aurons prochainement
occasion de revenir à ce sujet sur cette
grave question de l’éducation pratique pour
nos industries d’art, et nous espérons alors
avoir à constater un progrès sensible et
sérieux dans les travaux de cette école nais-
sante.
J. Grangedor.
cLÂNKHOF,
PEINTRE A RÉHABILITER.
Le musée de Bruxelles vient d’acquérir
pour la somme de 850 francs, à la vente de
M* Gihoul, une superbe marine de Blankhof.
Mais, nous dira-t-on, quel est ce Blankhof,
qui a fait une œuvre*superbe? Son nom in-
connu se rencontre dans fort peu d’ouvrages
sur l’art; ses œuvres ne se trouvent dans
aucune galerie ou collection. Cela est vrai,
et c’est pourquoi le musée de Bruxelles doit
se féliciter d’avoir acheté pour rien une
très-belle peinture ; mais, afin de renseigner
les amateurs sur ce peintre, nous emprun-
terons à l’Indépendance les quelques lignes
intéressantes que son critique lui a consacrées
et qui auront, il faut l’espérer, comme con-
séquence de faire découvrir d’autres œuvres
de ce maître.
Blankhof ne figure pas dans l’Histoire des
peintres de l’école hollandaise, de M. Charles
Blanc; son nom est omis dans plusieurs
biographies modernes, et cependant ce fut
un véritable maître. Houbraken et Campo
Weyerman ont fourni sur sa carrière des
renseignements que Descamps a reproduits,
avec les agréments et enjolivements de son
style ileuri. Jean Teunisz Blankhof est né à
Alkmaar (Hollande septentrionale) en 1628.
Après avoir passé par les ateliers de deux
peintres médiocres, il entra dans celui de
l’excellent paysagiste Van Everdingen, qui,
seul, doit être considéré comme ayant été
son maître. Son apprentissage d’artiste ter-
miné, Blankhof partit pour l’Italie. C’était,
un voyage que tout peintre flamand ou hol-
landais se croyait alors obligé de faire, lors
même qu’il traitait un genre pour lequel il
n’avait aucun fruit à retirer d’une expédition
ultramontaine, ce qui était bien le cas pour
le paysage et pour la marine. Blankhof avait
sous la main, dans son propre pays, tous les
éléments d’études qu’il pouvait désirer ; mais
la mode voulait qu’il allât à Rome, il y fût.
On sait que les peintres flamands et hol-
landais établis à Rome formaient une sorte
de corporation à laquelle chacun était affilié
sous un sobriquet. Blankhof en fit partie et
fut surnommé Maat, parce qu’il se servait à
chaque instant de ce mot hollandais qui si-
gnifie camarade. Ainsi qu’il arrivait souvent,
le surnom lui resta, et il fut au moins aussi
connu comme Maat que comme Blankhof,
ce qui est cause en partie de ce qu’il est au-
jourd’hui presque ignoré. C’est trop de deux
noms .pour la célébrité : mieux vaut n’en
avoir qu’un, bien et dûment accepté.
Blankhoff ne fit pas un long séjour à
Rome; mais en regagnant la Hollande, il
s’arrêta sur les côtes de la Méditerranée,
où il fit des études dont il tira ensuite un
bon parti, comme le dit Bryan, ses meilleurs
tableaux reproduisent des sites de ces con-
trées maritimes. Il paraît que le goût des
voyages se développa singulièrement chez
lui et qu’il lui fut difficile de se fixer en un
lieu quelconque. Trois fois il alla d’Amster-
dam à Rome, et s’embarqua une autre fois
pour Candie afin de compléter son éducation
de marin. Où a-t-il passé les dernières an-
nées de sa carrière? On l’ignore. Descamps
nous dit, dans son style ampoulé, que la
ville de Hambourg et celle d’Amsterdam se
disputent l’honneur de conserver ses cen-
dres. Il n’étaitûgé que de quarante-deux ans
lorsqu’il mourut en 1670.
3
cœur du peuple, devaient être publiés d’une
façon économique à l’aide de la gravure sur
poirier. Cela eût bien valu les Malheurs
d'Henriette et Damon.
L’administration ne donna pas suite au
plan de M. Frédéric Vil lot, et Eugène Dela-
croix en fut pour son enthousiasme, tant
les idées d’utilité immédiate sont lentes et
difficiles à inculquer dans l’esprit des gou-
vernants.
II
LA FRANCE NE PEUT RESTER IGNORANTE.
J’ai sous les yeux une carte des progrès
de l’instruction en France, de 1832 à 1867.
Cette carte est teintée de trois couleurs :
Noir veut dire ignorance, jaune progrès,
blanc résultats acquis. En 1832, les deux
tiers de la France étaient noirs ; et on res-
sentirait quelque honte à voir cette tache
qui couvrait récemment encore les cinq
sixièmes du territoire si des tableaux suc-
cessifs ne montraient les améliorations suc-
cessives apportées par l’instruction.
La sinistre tache s’amoindrit d’année en
année et fuit devant les régiments pacifiques
d’instituteurs envoyés par l’État. En consta-
tant les résultats obtenus par tant d’efforts,
on respire, car la France se débarrasse de la
lèpre de l’ignorance. Comme un méde-
cin fait, d’année en année, disparaître
par un habile traitement les fâcheux symp-
tômes d’une maladie chronique, il faut
continuer, sans se lasser, de veiller à cette
ignorance dont les hideuses plaques rongent
encore le centre de la France, l’estomac
pour ainsi dire.
L’Indre, fe Cher, l’Ailier, la Haute-
Vienne, l’Ariége, les Pyrénées-Orientales, les
Landes, le Morbihan, les Côtes-du-Nord, le
Finistère, portent encore la livrée de l’igno-
rance ; la moitié des habitants ne savent ni
lire ni écrire ! D’autres pays où l’instruction
ne demanderait qu’à entrer comme l’eau
dans un terrain aride : la Nièvre, la Corse,
le Loir-et-Cher, la Sarfhe, l’Indre-et-Loire,
le Maine-et-Loire, le Puy-de-Dôme, même
la Seine-Inférieure, n’ont fait que de lents
progrès. Sur cent habitants de ces contrées
il en existe encore plus de trente absolu-
ment illettrés.
A constater ces chiffres on s’étonne que
l’idée de l’instruction obligatoire n’ait pas
prévalu. Quelle que soit la lenteur des pro-
grès de l’esprit et quoique la bête regimbe,
c’était à l’amener à la soumission qu’il eût
été utile de faire servir l’autorité. Le passant
le plus humain ne se révolte pas au nom de
la liberté quand un cavalier éperonne un
cheval rétif.
L’obligation de faire instruire les enfants
a effrayé un certain nombre d’être timides,
il faut employer d’autres moyens.
III
NÉCESSITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PAR LES YEUX.
C’est de la Moselle et du Bas-Rhin que
» *
partaient plus particulièrement les images
colportées par toute la France. 0
L’image, chez tous les peuples, même
chez les sauvages, est le premier moyen
d’enseignement. Une idole dégrossie à coups
de hache dans un tronc d’arbre indique à
ceux dont les lèvres murmurent à peine des
sons humains que tel est le Dieu qu’il faut
adorer.
Les Lorrains et les Alsaciens tirent servir
l’image à une série de connaissances et
d’enseignements divers. L’image enseigna
le respect dû au souverain, la mémoire à
conserver de ses victoires et de ses con-
quêtes; elle excita la piété des femmes en
leur déroulant en une suite de tableaux la
légende du Christ.
11 y avait, même dans ces pays voués au
travail, des paresseux et des ivrognes; les
résultats de la débauche et de l’ivrognerie
furent exposés dans une série de feuilles où
la moralité se cachait sous l’enjouement.
L’enfant prodigue fut une leçon constam-
ment mise sous les yeux de ceux qui vou-
laient quitter les champs. Pour ceux qui
aimaient à rire, l’image se fît plaisante et
joyeuse.
Combien durent regretter alors de ne
pouvoir lire les légendes explicatives de
colorations si intéressantes. 11 s’en trouva
certainement plus d’un déplorant son igno-
rance qui se dit : « Je veux que mes enfants
apprennent- à déchiffrer ces caractères.! »
L’image poussa donc à l’étude delà lecture,
la lecture à l’écriture.
Aujourd’hui encore, en face de ces dé-
partements enveloppés du deuil de l’igno-
rance, c’est au même résultat qu’on devrait
tendre.
Un éditeur intelligent serait celui qui,
étudiant la carte où sont teintées les traces
de l’ignorance, dirigerait les colporteurs
' dans ces pays déshérités et activerait les
progrès de l’instruction. Bonne action, bonne
opération du même coup.
Il y avait encore en 1867 vingt-huit dé-
partements où la moitié de la population ne
savait ni lire ni écrire ; c’est l’image qui
sera le fil conducteur de l’instruction.
Mais on ne peut s’aider de l’imagerie
actuelle. Les fabriques d’Épinal se sont je-
tées sur le Pied qui r’mue et autres sembla-
bles articles de Paris inutiles, pour ne pas
dire dangereux.
Sans tracer de programme, je ne puis
m’empêcher d’indiquer comment les Alle-
mands comprennent l’image, le parti qu’ils
en tirent et les artistes remarquables qu’ils
emploient à cette mission.
Elle est difficile la tâche de parler au
peuple un langage qui ne soit ni pédantes-
que ni trop visiblement enseignant.
II se produisit en 1849 un exemple de ce
que peut la conscience populaire passant
dans le crayon d’un artiste.
A la suite d’insurrections sanglantes en
Allemagne parut la Danse des Morts de
1849. Ces planches relèvent directement
de l’art populaire. 11 leur manque pourtant
l’idée conciliatrice. *
Le but suprême de l’art est la concilia-
tion.
Le même artiste qui a composé ce terri-
ble symbole croyait pourtant à la concilia-
tion. Reiel l’a prouvé en dessinant pour le
peuple plus d’une scène domestique avec
un grand charme, et toujours ses dessins
sérieux et croyants font penser.
Tel est le rôle de l’imagerie.
Nos pères regardaient, en songeant, ces
estampes populaires, telles que le Tableau
des âges où, du berceau de l’enfant jusqu’au
fauteuil du vieillard, gravitent et descendent
les hommes et leurs passions. L’Argent était
représenté sous des formes saisissantes dans
d’autres planches. Le Travail, la Paresse
avaient également mis en verve les burins
des tailleurs d’images.
Ce sont de ces sujets éternels auxquels
l’art est toujours prêt à faire l’aumône de
la moitié de son manteau.
Champfleury.
■ —a» & —
ÉCOLE PROFESSIONNELLE DE DESSIN
ET DE MODELAGE,
POUR LES APPRENTIS DE LA BIJOUTERIE, ORFÈVRERIE
JOAILLERIE, HORLOGERIE.
Le 1er avril, au Conservatoire des arts et
métiers, dans le bâtiment neuf qui fait pen-
dant au beau réfectoire de Pierre de Monte-
reau, s’ouvrait une nouvelle école de dessin
fondée par la chambre syndicale des indus-
tries du travail des bijoux et métaux pré-
cieux.
L’initiative privée des fabricants artistes a
été puissamment secondée ici par le con-
cours et le patronage de la direction du
Conservatoire impérial qui a mis gracieuse- S
ment à leur disposition, un vaste local tout
agencé, bien éclairé le soir et favorablement
combiné pour la variété des travaux et des
exercices que la nouvelle école doit rendre
possible aux jeunes industriels. Une série de
salles est affectée aux travaux du dessin gra-
phique, au modelage d’après la bosse et, de
nombreux élèves peuvent y jouir, à la fois,
des bienfaits d’un enseignement spécial et
nouveau, dirigé par des artistes de l’indus-
trie vers un but essentiellement pratique.
Destinée avant tout aux apprentis, l’école
est appelée, nous le croyons, dans un avenir
prochain, à recevoir les anciens élèves deve-
nus adultes, et, à devenir ainsi un centre
important d’études et d’inspirations pour nos
grandes industries 'somptuaires.
Très-grand a été, dès l’origine, l’empresse-
ment des patrons à concéder sur les heures
du soir le temps nécessaire à leurs apprentis
pour suivre les cours. — Le nombre des
inscriptions s’élève déjà à 71 et dans notre
visite, samedi dernier, nous avons constaté
que, malgré les absences motivées par les
soins à donner aux ateliers le dernier jour
de la semaine, les places, dans la. salle de
dessin, étaient presque toutes occupées.
L’âge moyen de ces jeunes gensy paraît
être de 10 à 18 ans; en effet, l’idée poursui-
vie par la chambre syndicale est de former
des ouvriers habiles, en leur donnant, dès
les premières années de leur apprentissageles
notions du.dessin et du modelage indispen-
sables aux industries qu’ils sont appelés à
exercer.
« Ce cours coniprend l’enseignement de
la figure des animaux, et principalement de
l’ornement; le dessin linéaire, les éléments
de géométrie, le lavis et le dessin à kvplume
sont également enseignés.
« Toutes les études sont faites d’après
des modèles de tout genre, choisis parmi
les meilleures œuvres d’art de toutes les
époques. »
C’est ainsi que le règlement de l’école défi- ^
ni C'en peu dé mots, les limites et les tendan-
ces de l’enseignement pratique inauguré ici.
— Ajoutons que les études du modelage en
terre et en cire, exécutées en vraie grandeur
propre à l’exécution, alterneront avec les
études graphiques et que, des exercices mé-
thodiqueset gradués décomposition, pour la
bijouterie et l’orfèvrerie, mettront en jeu
l’imagination des élèves en même temps que
des concours viendront stimuler ensuite leur
émulation.
Les cours ont lieu tous les soirs de 8
à 10 heures; l’admission de l’élève est pro-
noncée d’après sa demande écrite adressée
au président de la chambre syndicale S et
appuyée soit par le patron, soit par les pa-
rents.
La présence de l’ehfant est constatée par
une carte sur laquelle un pointage, fait à
chaque séance, témoigne de son assiduité,
tandis qu’un bulletin mensuel constate, s’il
y a lieu, son application et ses progrès.
La chambre syndicale atout fait pour que
les mesures d’ordre et de discipline assurent
une surveillance paternelle et la continuité
d’un contrôle moral sur les jeunes gens qui
suivent les cours, mais elle a surtout cherché
à rendre fructueuses pour les apprentis ces
heures d’étude, en les plaçant sous la direc-
tion d’artistes comme M. EmileCarlier, sculp-
teur et M. Félix Foscy, peintre décorateur,
son suppléant, qui, tous deux, connaissent à
fond les exigences deTindustrie somptuaire
et sauront les concilier avec les idées géné-
rales et les principes théoriques de l’art.
M. Emile Carlier, collaborateur de M. E. Fro-
ment-Meurice, pour le modelage et la scul-
pture de ses belles orfèvreries, et, M.F. Foscy
qui a répandu dans tant de belles publications
illustrées les productions gracieuses de son
talent d’ornemaniste érudit, sauront enga-
ger et maintenir, nous n’en doutons pas,
1. M. Falize, rue Montesquieu, 6, cotisation men-
suelle, payable d’avance, S francs.
la nouvelle école, dans la voie des études
sincères et naïves indispensables à toute
éducation d’art. Nous aurons prochainement
occasion de revenir à ce sujet sur cette
grave question de l’éducation pratique pour
nos industries d’art, et nous espérons alors
avoir à constater un progrès sensible et
sérieux dans les travaux de cette école nais-
sante.
J. Grangedor.
cLÂNKHOF,
PEINTRE A RÉHABILITER.
Le musée de Bruxelles vient d’acquérir
pour la somme de 850 francs, à la vente de
M* Gihoul, une superbe marine de Blankhof.
Mais, nous dira-t-on, quel est ce Blankhof,
qui a fait une œuvre*superbe? Son nom in-
connu se rencontre dans fort peu d’ouvrages
sur l’art; ses œuvres ne se trouvent dans
aucune galerie ou collection. Cela est vrai,
et c’est pourquoi le musée de Bruxelles doit
se féliciter d’avoir acheté pour rien une
très-belle peinture ; mais, afin de renseigner
les amateurs sur ce peintre, nous emprun-
terons à l’Indépendance les quelques lignes
intéressantes que son critique lui a consacrées
et qui auront, il faut l’espérer, comme con-
séquence de faire découvrir d’autres œuvres
de ce maître.
Blankhof ne figure pas dans l’Histoire des
peintres de l’école hollandaise, de M. Charles
Blanc; son nom est omis dans plusieurs
biographies modernes, et cependant ce fut
un véritable maître. Houbraken et Campo
Weyerman ont fourni sur sa carrière des
renseignements que Descamps a reproduits,
avec les agréments et enjolivements de son
style ileuri. Jean Teunisz Blankhof est né à
Alkmaar (Hollande septentrionale) en 1628.
Après avoir passé par les ateliers de deux
peintres médiocres, il entra dans celui de
l’excellent paysagiste Van Everdingen, qui,
seul, doit être considéré comme ayant été
son maître. Son apprentissage d’artiste ter-
miné, Blankhof partit pour l’Italie. C’était,
un voyage que tout peintre flamand ou hol-
landais se croyait alors obligé de faire, lors
même qu’il traitait un genre pour lequel il
n’avait aucun fruit à retirer d’une expédition
ultramontaine, ce qui était bien le cas pour
le paysage et pour la marine. Blankhof avait
sous la main, dans son propre pays, tous les
éléments d’études qu’il pouvait désirer ; mais
la mode voulait qu’il allât à Rome, il y fût.
On sait que les peintres flamands et hol-
landais établis à Rome formaient une sorte
de corporation à laquelle chacun était affilié
sous un sobriquet. Blankhof en fit partie et
fut surnommé Maat, parce qu’il se servait à
chaque instant de ce mot hollandais qui si-
gnifie camarade. Ainsi qu’il arrivait souvent,
le surnom lui resta, et il fut au moins aussi
connu comme Maat que comme Blankhof,
ce qui est cause en partie de ce qu’il est au-
jourd’hui presque ignoré. C’est trop de deux
noms .pour la célébrité : mieux vaut n’en
avoir qu’un, bien et dûment accepté.
Blankhoff ne fit pas un long séjour à
Rome; mais en regagnant la Hollande, il
s’arrêta sur les côtes de la Méditerranée,
où il fit des études dont il tira ensuite un
bon parti, comme le dit Bryan, ses meilleurs
tableaux reproduisent des sites de ces con-
trées maritimes. Il paraît que le goût des
voyages se développa singulièrement chez
lui et qu’il lui fut difficile de se fixer en un
lieu quelconque. Trois fois il alla d’Amster-
dam à Rome, et s’embarqua une autre fois
pour Candie afin de compléter son éducation
de marin. Où a-t-il passé les dernières an-
nées de sa carrière? On l’ignore. Descamps
nous dit, dans son style ampoulé, que la
ville de Hambourg et celle d’Amsterdam se
disputent l’honneur de conserver ses cen-
dres. Il n’étaitûgé que de quarante-deux ans
lorsqu’il mourut en 1670.