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ment cette scène eût fini, si, pour nous tirer d'embarras, on ne nous eût
apporté les rafraîchissements ; on les lui remettoit, et elle me les offroit
d'une manière toute particulière et qui avoit une sorte de grâce. Je crus
appcrcevoir que son insouciante mélancolie n'étoit qu'un air de grande
dame qui, selon elle, devoit la rendre supérieure à toutes les magnificences
dont elle étoit entourée et couverte. Avant de la quitter, j'en fis rapidement
un petit dessin. Je dessinai aussi une autre femme ; celle-ci étoit une
naturelle du pays qu'avoit épousée un Franc : elle parloit Italien, elle étoit
douce et belle, elle aimoit son mari ; mais il n'étoit pas assez aimable
pour qu'elle ne pût aimer que lui : jaloux, il lui suscitoit à tout moment
de bruyantes querelles ; soumise, elle renonçoit toujours à celui qui avoit
été l'objet de sa jalousie : mais le lendemain nouveau grief; elle pleuroit
encore, se repentoit; et cependant son mari avoit toujours quelque motif
de gronder. Elle demeuroit vis-à-vis de mes fenêtres ; la rue étoit
étroite, et par cela même j'étois tout naturellement devenu le confident
et le témoin de ses chagrins. La peste se déclara dans la ville: ma
voisine étoit si çommunicative qu'elle devoit la prendre et la donner;
effectivement elle la prit de son dernier amant, la donna fidèlement à son
mari, et Hs moururent tous trois. Je la regrettai ; sa singulière bonté, la
naïveté de ses désordres, là sincérité de ses regrets, m'avoient intéressé,
d'autant que* simple confident, je n'avois à la quereller ni comme mari
ni comme amant, et qu'heureusement je n'étois point à Rosette lorsque
la peste désola ce pays.
ce
Tournée
ment cette scène eût fini, si, pour nous tirer d'embarras, on ne nous eût
apporté les rafraîchissements ; on les lui remettoit, et elle me les offroit
d'une manière toute particulière et qui avoit une sorte de grâce. Je crus
appcrcevoir que son insouciante mélancolie n'étoit qu'un air de grande
dame qui, selon elle, devoit la rendre supérieure à toutes les magnificences
dont elle étoit entourée et couverte. Avant de la quitter, j'en fis rapidement
un petit dessin. Je dessinai aussi une autre femme ; celle-ci étoit une
naturelle du pays qu'avoit épousée un Franc : elle parloit Italien, elle étoit
douce et belle, elle aimoit son mari ; mais il n'étoit pas assez aimable
pour qu'elle ne pût aimer que lui : jaloux, il lui suscitoit à tout moment
de bruyantes querelles ; soumise, elle renonçoit toujours à celui qui avoit
été l'objet de sa jalousie : mais le lendemain nouveau grief; elle pleuroit
encore, se repentoit; et cependant son mari avoit toujours quelque motif
de gronder. Elle demeuroit vis-à-vis de mes fenêtres ; la rue étoit
étroite, et par cela même j'étois tout naturellement devenu le confident
et le témoin de ses chagrins. La peste se déclara dans la ville: ma
voisine étoit si çommunicative qu'elle devoit la prendre et la donner;
effectivement elle la prit de son dernier amant, la donna fidèlement à son
mari, et Hs moururent tous trois. Je la regrettai ; sa singulière bonté, la
naïveté de ses désordres, là sincérité de ses regrets, m'avoient intéressé,
d'autant que* simple confident, je n'avois à la quereller ni comme mari
ni comme amant, et qu'heureusement je n'étois point à Rosette lorsque
la peste désola ce pays.
ce
Tournée