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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 1)

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Tardieu, Charles: Art dramatique: "L'Ami Fritz" au Théatre-Franҫais
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https://doi.org/10.11588/diglit.16904#0104

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88

L'ART.

En pleine campagne, soit, à la condition que la vieille ferme ne soit pas trop loin de Paris.
« C'est étonnant que le père Christel et la mère Orchel, qui n'ont pas quatre idées dans la
tête, aient mis ce joli petit être au monde. »

Ce n'est pourtant pas le premier venu que le père Christel, et s'il n'a pas quatre idées dans
la tête, il en a une qui en vaut au moins quatre. S'il ne pousse pas le désintéressement et l'hu-
milité jusqu'à refuser sa fille à l'ami Fritz, à son seigneur, au plus gros bonnet du village, du
moins il l'avertit, il le met en garde contre lui-même : « Je vous en prie, monsieur Kobus, réflé-
chissez... réfléchissez bien à ce que nous sommes et à ce que vous êtes... Réfléchissez que vous
êtes d'un autre rang que nous; que nous sommes des gens de travail, des gens ordinaires, et que vous
êtes d'une famille distinguée depuis longtemps, non-seulement par la fortune, mais encore par l'estime
que vos ancêtres et vous-même avez méritée. Réfléchissez à tout cela,., que vous n'ayez pas à vous

repentir plus tard,., et que nous n'ayons pas la douleur de penser
que vous êtes malheureux par notre faute. »

Voilà un honnête homme, comme dit le vieux rebbe. Et
le plus remarquable, c'est qu'ils sont tous comme cela dans la
pièce, tous honnêtes, tous impeccables. Des sept péchés capi-
taux, la gourmandise est le seul auquel on sacrifie à Clairefon-
taine.

Une pièce a beau marcher toute seule, il faut un compère
pour la mettre en train. Si l'idylle ne comporte pas de traître
comme le mélodrame, un grain de ruse est nécessaire, ne
fût-ce que pour stimuler l'honnêteté quelque peu apathique de
tout ce petit monde qui nous ramène à l'âge d'or, et pour
empêcher que la pastorale ne tourne à la berquinade. Le com-
père, le boute-en-train, c'est le vieux rebbe David Sichel, le plus
enragé marieur d'Israël. Traître pour le bon motif, en tout bien
tout honneur, il joue aussi les raisonneurs. Il est le Cléante rural
et le Desgenais biblique de cette églogue. La cause des hon-
nêtes femmes qui vont à pied ne fut jamais plaidée avec plus
d'énergie et de sainte colère qu'il n'en déploie contre la vanité
des plaisirs du célibat, contre l'égoïsme épicurien de l'ami Fritz
et de ses camarades de brasserie. Il a juré d'avoir raison de
leur entêtement et il y réussira; il gagnera son pari, sauf à en
refuser le payement, car il n'est pas moins désintéressé que le
père Christel. Sa malice est candide, sa ruse patriarcale. Tout
son mérite est de deviner l'amour naissant et inconscient des

Fac-similé d'un dessin de Paul Renouard. . ,

deux jeunes gens et de le contraindre a se reconnaître, à s'avouer
à lui-même. S'il ne s'en était pas mêlé, nous ne verrions pas la petite Suzel se jeter tout en
pleurs dans les bras de son ami Fritz, et celui-ci cueillir sur ses beaux yeux un baiser de fian-
çailles, d'autant plus savoureux qu'il est mouillé de larmes : Qiiod Jlenti tuleris, plus sapit oscu-
lum. Rendons grâce au vieux rabbin prêcheur et finaud. Figure sympathique que celle de ce
bonhomme mosaïque. M. Got, dont l'interprétation est en même temps très-large et très-fouillée,
a merveilleusement saisi et rendu cette physionomie originale, touchante et comique à la fois.

Enfin, voilà l'ami Fritz uni à sa petite Suzel par les liens du mariage. Vous n'en aviez
jamais douté, je suppose. Il n'en est pas moins vrai que tout le monde est ravi. La pièce d'ailleurs
est bien faite. Elle a le calme, mais aussi la transparence de l'eau qui dort, sans en avoir la per-
fidie. Les types, estompés plutôt que colorés, se profilent avec une netteté suffisante sur le fond
un peu gris de l'action. Les scènes s'enchaînent' logiquement et tranquillement, non sans un
agréable balancement de contrastes, équilibrés d'une main délicate et avec beaucoup d'adresse. A
ce point de vue le second acte serait un pur chef-d'œuvre, n'était le chœur lamentable du début:
« Il ne reviendra plus, il est sous terre. » Conçoit-on que de braves vignerons, fussent-ils d'Alsace,

M. GARRAUD, rôle de Christel.
 
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