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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 1)

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88

L'ART.

Witt, qui avait l'habitude d'assister aux leçons données par son
père à ses enfants, et qui y prenait assidûment des notes, a con-
senti à rassembler ses souvenirs et à pousser cette histoire
jusqu'en 1848 :

c En racontant l'histoire du passe', dit-elle, mon père n'avait
jamais perdu de vue l'histoire du présent, au milieu duquel il
avait grandi... En continuant ses récits, il avait peu à peu substi-
tué l'accent personnel et de vivants souvenirs à la simple appré-
ciation des faits historiques... Il avait le projet de consacrer un
ouvrage séparé à cette période nouvelle de la vie de notre France ;
il la regardait comme un complément nécessaire à l'histoire de
la France ancienne. Son cours était sans cesse commenté et
complété par ses conversations. J'ai recueilli et conservé ces
enseignements destinés d'abord à sa famille, utiles, je le crois,
pour tous. J'ose espérer que d'autres y trouveront le vif intérêt
et les grandes leçons que nous y avons constamment puisées, et
que ces dernières instructions ne seront pas sans fruit pour la
génération nouvelle à laquelle nous souhaitons cet honneur, de
terminer enfin l'ère de la Révolution française. »

C'est bien en effet la continuation de l'œuvre de M. Guizot.
C'est son ton, sa manière,
son style, ses tournures de
phrase et ses expressions
ordinaires. On retrouve
partout ces aflirmations
tranchantes, ces jugements
sans appel de l'historien
infaillible , de l'homme
d'Etat impeccable qu'il
croyait être. Tant qu'il
s'agit du passé lointain, de
la monarchie absolue, le
libéralisme de l'écrivain se
manifeste par la manière
dont il présente et apprécie
les faits, parce que sa per-
sonnalité reste en quelque
sorte en dehors du débat.
Ce n'est pas pour lui une
lutte et on le suit avec un
intérêt presque purement
scientifique. Quand il entre
dans le récit des événements
contemporains , au milieu
desquels il doit bientôt jouer un rôle, le ton change, le doctri-
naire reparaît et le lutteur entre et se prépare au combat. Nous
retrouvons l'homme des Mémoires. C'est surtout pour cela que
nous aurions regretté que cette histoire ne fût pas complétée.
Elle offre un intérêt dramatique, artistique sinon vraiment
historique. Personne, moins que M. Guizot, n'est propre à juger
la Révolution française, parce qu'il y a toujours eu en lui deux
hommes d'humeur et de caractère absolument opposés, qui ne
lui ont jamais permis de comprendre et de juger avec une impar-
tialité suffisante les faits auxquels il a été mêlé.

Par éducation, par habitude d'esprit M. Guizot est un libéral:
C'est le côté qui domine dans son Histoire de la civilisation et
dans tous ceux de ses ouvrages où sa personnalité n'est pas direc-
tement en jeu. C'est par là qu'il mérite les respects de la posté-
rité. Mais en même temps, par tempérament, c'est un autoritaire.
Il n'admet pas qu'on lui résiste. Il loue l'indépendance, la liberté,
en termes généraux, mais il ne la peut souflrir dès qu'il la ren-
contre chez les autres comme obstacle ou comme limite à l'exer-
cice de sa volonté. Voilà les deux hommes qui se sont constam-
ment combattus en M. Guizot, depuis le jour où il a eu part au
pouvoir. Comme, d'un autre côté, ce n'était pas un violent à la

manière des adorateurs brutaux de la force, et qu'il avait surtout
l'orgueil de l'intelligence, il ne pouvait admettre l'arbitraire pur
sous la forme grossière qui a suffi à tant de prétendus grands
hommes. Il s'est fait une théorie conforme aux intérêts de son
orgueil, il a raisonné et systématisé les contradictions de son
intelligence et de son tempérament, et il en a composé cette
fameuse doctrine qui a fait si bonne figure dans ses discours et
si triste mine dans sa politique active.

Avec ces complications, M. Guizot se trouve en face des
deux révolutions de 1789 et de 1848 dans l'impossibilité absolue
de porter un jugement équitable et concordant en ses diverses
parties. Eibéral, il lui faut accepter les principes de 89, mais
jamais il ne leur reconnaîtra le droit de s'affirmer de la manière
qu'ils l'ont fait. Le mot qui revient le plus souvent dans son
livre, c'est celui de populace. Et, en effet, ce peuple, qui a
accompli la grande œuvre qu'il ne cesse de célébrer et de vanter
métaphysiquement, n'est, pour M. Guizot, dans la succession
des actes qui constituent l'œuvre totale, qu'un ramassis de misé-
rables, dignes de toutes les haines et de tous les mépris, exacte-
ment comme pour M. Thiers, par une raison inverse, Napo-
léon Ier est un demi-dieu
dans chacun des actes de
son règne, mais devient un
fou et un insensé quand la
série de ses traits de génie
finissent par porter leurs
fruits naturels, l'invasion
et la ruine.

C'est chose bien cu-
rieuse que l'impossibilité
où se sont trouvés ces deux
hommes d'accorder leur
conclusion générale sur le
tout avec le jugement qu'ils
portaient sur chacune des
parties; mais, s'il en résulte
nécessairement une dimi-
nution d'autorité pour l'his-
torien, cette contradiction
n'ôte rien à l'intérêt drama-
tique ; elle y ajoute même
un intérêt psychologique
dont on ne se lasse pas.
A travers cette histoire de
la Révolution, on voit et l'on suit celle de cette intelligence aux
prises avec elle-même, qui, tout en proclamant la justice des
revendications populaires, et en condamnant hautement l'entê-
tement de la royauté et de l'aristocratie à maintenir les abus de
l'ancien régime, ne peut se résoudre à pardonner au peuple de
n'avoir pas compris comme elle les meilleurs moyens de taire
prévaloir ses réclamations. Il admet bien que, pour gagner des
batailles souvent inutiles, on sacrifie des milliers de soldats ; mais
il ne consent pas à ce que les révolutions se fassent autrement
que par le raisonnement et la persuasion. Ce sentiment fait hon-
neur à la bonté de son cœur, mais il paraît quelque peu naïf de la
part d'un historien et d'un homme d'Etat. Combien, en 1848,
n'a-t-on pas dépensé de raisonnements sans pouvoir lui persuader
d'accorder l'adjonction des capacités? Il faut en prendre son parti,
quand un gouvernement ne veut pas entendre raison, il est bien
difficile que les peuples se résignent indéfiniment. Or, les foules
soulevées sont presque nécessairement brutales. Quand il se dit
libéral, un homme d'État a mieux à faire que de leur reprocher
des violences inévitables, c'est de prévenir les soulèvements en
faisant lui-même les réformes réclamées par l'opinion publique.

Eugène Véron.

Portrait du générai. Hoche.
Gravure tirée de Guizot : Histoire Je trance; Paris, Hachette.

Le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉRON.
 
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