Croquis au crayon d'après nature par Emile Vernier.
SILHOUETTES D'ARTISTES CONTEMPORAINS1
IX
ÉMILE VERNIER
)^£-^?^k_/7!?^^^»/^^ rop personnels , trop puissants pour qu'on puisse prétendre à
leur succéder, nos grands maîtres du paysage, Rousseau, Corot,
Millet, n'ont point d'héritiers directs. Leurs pas ont laissé une
empreinte trop profonde, trop résistante; le téméraire qui s'aviserait
d'y mettre le pied ne réussirait pas à la creuser davantage. Ils
sont des modèles qu'il faut aimer et admirer sans chercher à
les imiter. C'est ce que chacun semble avoir compris, peut-être
même trop bien compris. On s'est dit que la sublime naïveté du
génie est un de ces dons qui ne s'acquièrent pas et qu'on perdrait
son temps à s'approprier ses secrets. Non-seulement on a peur
Lettre du xïi' sitcw. Collection Bonnafft. pastiche, et l'on a raison, mais il semble qu'on désespère de
renouveler de si tôt l'interprétation poétique du paysage. Une école s'esf formée qui s'attache
exclusivement à l'observation extérieure des choses. Elle n'est pas moins exacte, mais elle est
moins fidèle parce qu'elle est moins créatrice. La vérité qui la préoccupe est d'une ressemblance
plus superficielle. N'y cherchez pas ce souffle de passion qui animait nos derniers maîtres, les
mettait en quelque sorte en communication avec l'âme même de la nature, leur en révélait à la
fois les beautés les plus grandioses et les plus intimes, et nous initiait après eux à des émotions
que nous n'aurions pas ressenties si les battements de leur cœur n'avaient pas éveillé le nôtre.
Tel n'est pas le lot de l'école nouvelle. On pourrait dire, et peut-être a-t-on déjà dit, que l'ère
héroïque du paysage moderne est close et que l'heure a sonné de l'école critique et analytique,
plus attentive au détail, moins émouvante, mais non moins spirituelle, ingénieuse et surtout
habile.
Parmi les peintres de la nouvelle génération, un des plus intéressants est assurément
M. Émile Vernier. Il n'en est pas de plus sincère et ses œuvres sont essentiellement saines.
Réaliste et impressionniste dans la meilleure acception des deux termes, il n'a rien de commun
ni avec ces prétendus réalistes qui, sous prétexte de nous montrer la nature telle qu'elle est,
dédaignant la composition et le tableau, se contentent de morceaux souvent aussi mal choisis que
t. Voir l'Art, 1° année, tome III, page 281; 5e année, tome I", page 108; tome II, page 114; 4» année, tome Ier, pages 10, iji et 289;
tome H, page 49, et 5e année, tome I", pages 269 et 281.
SILHOUETTES D'ARTISTES CONTEMPORAINS1
IX
ÉMILE VERNIER
)^£-^?^k_/7!?^^^»/^^ rop personnels , trop puissants pour qu'on puisse prétendre à
leur succéder, nos grands maîtres du paysage, Rousseau, Corot,
Millet, n'ont point d'héritiers directs. Leurs pas ont laissé une
empreinte trop profonde, trop résistante; le téméraire qui s'aviserait
d'y mettre le pied ne réussirait pas à la creuser davantage. Ils
sont des modèles qu'il faut aimer et admirer sans chercher à
les imiter. C'est ce que chacun semble avoir compris, peut-être
même trop bien compris. On s'est dit que la sublime naïveté du
génie est un de ces dons qui ne s'acquièrent pas et qu'on perdrait
son temps à s'approprier ses secrets. Non-seulement on a peur
Lettre du xïi' sitcw. Collection Bonnafft. pastiche, et l'on a raison, mais il semble qu'on désespère de
renouveler de si tôt l'interprétation poétique du paysage. Une école s'esf formée qui s'attache
exclusivement à l'observation extérieure des choses. Elle n'est pas moins exacte, mais elle est
moins fidèle parce qu'elle est moins créatrice. La vérité qui la préoccupe est d'une ressemblance
plus superficielle. N'y cherchez pas ce souffle de passion qui animait nos derniers maîtres, les
mettait en quelque sorte en communication avec l'âme même de la nature, leur en révélait à la
fois les beautés les plus grandioses et les plus intimes, et nous initiait après eux à des émotions
que nous n'aurions pas ressenties si les battements de leur cœur n'avaient pas éveillé le nôtre.
Tel n'est pas le lot de l'école nouvelle. On pourrait dire, et peut-être a-t-on déjà dit, que l'ère
héroïque du paysage moderne est close et que l'heure a sonné de l'école critique et analytique,
plus attentive au détail, moins émouvante, mais non moins spirituelle, ingénieuse et surtout
habile.
Parmi les peintres de la nouvelle génération, un des plus intéressants est assurément
M. Émile Vernier. Il n'en est pas de plus sincère et ses œuvres sont essentiellement saines.
Réaliste et impressionniste dans la meilleure acception des deux termes, il n'a rien de commun
ni avec ces prétendus réalistes qui, sous prétexte de nous montrer la nature telle qu'elle est,
dédaignant la composition et le tableau, se contentent de morceaux souvent aussi mal choisis que
t. Voir l'Art, 1° année, tome III, page 281; 5e année, tome I", page 108; tome II, page 114; 4» année, tome Ier, pages 10, iji et 289;
tome H, page 49, et 5e année, tome I", pages 269 et 281.