i8
L'ART.
XX
Naples n'a pas que ces deux artistes éminents qui l'emportent, et de beaucoup, sur l'éphémère
réputation faite à M. Morelli.
Ils en sont déjà à s'appeler légion, ceux qui le dépassent de toute la hauteur de leur talent
sérieux et de leurs créations durables.
L'un des plus forts, bien qu'on l'eût à Turin relégué fort à tort au second rang, est
M. Michèle Tèdesco. Son pinceau est éloquent, il a du style, le sentiment de la grandeur et de
l'harmonie dans Una Madré \ vrai tableau d'histoire, plein de caractère, composé et rendu avec
la plus saisissante simplicité. Je ne lui reprocherai qu'une coloration grisâtre un peu uniforme
qui donne l'impression de la fresque plutôt que de la peinture à l'huile.
De son côté, M. Gioachino Toma, qui n'a aucune prétention à la peinture d'histoire, a su
par l'intensité du sentiment agrandir la portée de son tableau de genre : la Pluie de cendres
du 28 avril i8j2, cadre d'une excellente tonalité, d'une poésie pénétrante et d'une indicible
tristesse.
Le groupe des femmes agenouillées qui implorent le ciel, l'élan superstitieux de la jeune fille
qui oppose au Vésuve déchaîné l'image de la Madone, les petites mendiantes, les curieux de
l'arrière-plan, tout cet ensemble, par une extrême justesse cle mouvement et une sobriété qui est
le propre des forts, dit puissamment tout ce que l'artiste a voulu dire et nous attache irrésisti-
blement à son œuvre.
Ainsi que M. Tedesco, M. Francesco Netti s'est inspiré de l'antiquité mais il n'a point eu
d'aussi hautes visées. Son Dopo un gioco di gladiatore (cena a Pompei) est loin d'être à dédaigner.
Les jeunes filles qui félicitent le gladiateur vainqueur ont de l'élégance et du caractère; le
sanglant héros est solidement campé et respire bien la bestialité vaniteuse. La tonalité générale
est un peu crue, mais M. Netti, qui a eu le tort d'envoyer sa toile inachevée en plus d'un endroit,
fera sans doute, lorsqu'il la terminera, disparaître ce défaut par d'intelligents glacis.
M. Giacomo Di Chirico a pris en pleine vie moderne son très séduisant Primo figlio que
s'est donné le Duc d'Aoste. Cette jolie scène d'effusion maternelle est composée avec infiniment
de goût, habilement peinte, quoique d'un faire un peu trop propre et d'une coloration que
j'aimerais à voir moins lie-de-vin.
Excelsior révèle chez M. Zaverio Altamura de nobles visées. A Turin, on m'a dit que cette
œuvre distinguée était une allégorie reconnaissante au Piémont; un des amis du sympathique
artiste m'a au contraire assuré qu'il s'agissait d'une allusion délicate au relèvement de la France.
Je laisse la question pendante ; il me suffit de signaler dans Excelsior d'heureuses qualités de
facture unies à une inspiration élevée.
Ce n'est pas le talent qui manque à M. Eduardo Dalbono ; il en a à revendre et n'est que
d'autant plus coupable de le gaspiller et cle le compromettre par l'abus effréné du chic. Sa
peinture tourne absolument à la pyrotechnie. Ses toiles en sont arrivées à plaire surtout traduites
par la gravure qui a soin d'en transformer l'aspect faux et le faire lâché.
Baja di Napoli, du chic, encore du chic et toujours du chic!—■ IVlonsieur Alceste Campriani,
vous êtes beaucoup trop richement doué pour ne pas vous mettre bel et bien à collaborer direc-
tement avec la nature; vous vous en trouverez infiniment mieux, — et le public aussi, vous
pouvez m'en croire.
Cela ne m'empêche pas de reconnaître dès aujourd'hui qu'il y a des notes très vraies dans la
manière si conventionnelle cle M. Campriani.
Il ne faut pas faire fi de VOracolo di Delfo de M. Camille Miola; cela n'est pas l'œuvre du
premier venu; c'est même très curieux, fort intéressant; il y a deux figures agenouillées d'un
ton remarquable et très étudiées.
1. N° 7S2 du Catalogue.
L'ART.
XX
Naples n'a pas que ces deux artistes éminents qui l'emportent, et de beaucoup, sur l'éphémère
réputation faite à M. Morelli.
Ils en sont déjà à s'appeler légion, ceux qui le dépassent de toute la hauteur de leur talent
sérieux et de leurs créations durables.
L'un des plus forts, bien qu'on l'eût à Turin relégué fort à tort au second rang, est
M. Michèle Tèdesco. Son pinceau est éloquent, il a du style, le sentiment de la grandeur et de
l'harmonie dans Una Madré \ vrai tableau d'histoire, plein de caractère, composé et rendu avec
la plus saisissante simplicité. Je ne lui reprocherai qu'une coloration grisâtre un peu uniforme
qui donne l'impression de la fresque plutôt que de la peinture à l'huile.
De son côté, M. Gioachino Toma, qui n'a aucune prétention à la peinture d'histoire, a su
par l'intensité du sentiment agrandir la portée de son tableau de genre : la Pluie de cendres
du 28 avril i8j2, cadre d'une excellente tonalité, d'une poésie pénétrante et d'une indicible
tristesse.
Le groupe des femmes agenouillées qui implorent le ciel, l'élan superstitieux de la jeune fille
qui oppose au Vésuve déchaîné l'image de la Madone, les petites mendiantes, les curieux de
l'arrière-plan, tout cet ensemble, par une extrême justesse cle mouvement et une sobriété qui est
le propre des forts, dit puissamment tout ce que l'artiste a voulu dire et nous attache irrésisti-
blement à son œuvre.
Ainsi que M. Tedesco, M. Francesco Netti s'est inspiré de l'antiquité mais il n'a point eu
d'aussi hautes visées. Son Dopo un gioco di gladiatore (cena a Pompei) est loin d'être à dédaigner.
Les jeunes filles qui félicitent le gladiateur vainqueur ont de l'élégance et du caractère; le
sanglant héros est solidement campé et respire bien la bestialité vaniteuse. La tonalité générale
est un peu crue, mais M. Netti, qui a eu le tort d'envoyer sa toile inachevée en plus d'un endroit,
fera sans doute, lorsqu'il la terminera, disparaître ce défaut par d'intelligents glacis.
M. Giacomo Di Chirico a pris en pleine vie moderne son très séduisant Primo figlio que
s'est donné le Duc d'Aoste. Cette jolie scène d'effusion maternelle est composée avec infiniment
de goût, habilement peinte, quoique d'un faire un peu trop propre et d'une coloration que
j'aimerais à voir moins lie-de-vin.
Excelsior révèle chez M. Zaverio Altamura de nobles visées. A Turin, on m'a dit que cette
œuvre distinguée était une allégorie reconnaissante au Piémont; un des amis du sympathique
artiste m'a au contraire assuré qu'il s'agissait d'une allusion délicate au relèvement de la France.
Je laisse la question pendante ; il me suffit de signaler dans Excelsior d'heureuses qualités de
facture unies à une inspiration élevée.
Ce n'est pas le talent qui manque à M. Eduardo Dalbono ; il en a à revendre et n'est que
d'autant plus coupable de le gaspiller et cle le compromettre par l'abus effréné du chic. Sa
peinture tourne absolument à la pyrotechnie. Ses toiles en sont arrivées à plaire surtout traduites
par la gravure qui a soin d'en transformer l'aspect faux et le faire lâché.
Baja di Napoli, du chic, encore du chic et toujours du chic!—■ IVlonsieur Alceste Campriani,
vous êtes beaucoup trop richement doué pour ne pas vous mettre bel et bien à collaborer direc-
tement avec la nature; vous vous en trouverez infiniment mieux, — et le public aussi, vous
pouvez m'en croire.
Cela ne m'empêche pas de reconnaître dès aujourd'hui qu'il y a des notes très vraies dans la
manière si conventionnelle cle M. Campriani.
Il ne faut pas faire fi de VOracolo di Delfo de M. Camille Miola; cela n'est pas l'œuvre du
premier venu; c'est même très curieux, fort intéressant; il y a deux figures agenouillées d'un
ton remarquable et très étudiées.
1. N° 7S2 du Catalogue.