M. EUGÈNE MUNTZ
Un savant d'un très grand mérite et d'une extrême éléva-
tion de caractère, M. Louis Peisse, qui était Conservateur des
collections de l'Ecole nationale des Beaux-Arts, est mort récem-
ment, universellement regretté de tous ceux qui ont eu l'hon-
neur de le connaître.
Il s'agissait de pourvoir à son remplacement.
Lorsque M. Etienne Arago, qui était Archiviste de l'École,
fut nommé Conservateur du Musée du Luxembourg, ses
anciennes fonctions furent réunies à celles du Bibliothécaire.
M. Jules Ferry a fort heureusement persévéré dans cette
voie. Les fonctions de Conservateur des collections viennent,
par décret rendu sur la proposition du Président du Conseil,
ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, de rentrer
également dans les attributions du bibliothécaire-archiviste, et
un arrêté ministériel, rendu sur la proposition de M. Edmond
Turquet, sous-secrétaire d'Etat, a nommé Conservateur de la
Bibliothèque, des Archives et du Musée de l'École nationale des
Beaux-Arts, le bibliothécaire, M. Eugène Mûntz.
Jamais choix ne fut mieux justifié. Nous en sommes heu-
reux au possible pour l'École des Beaux-Arts'. En concentrant
les divers services entre les mains de notre cher et éminent col-
laborateur, le ministre s'est adressé au plus digne. Il reste à obte-
nir de la Chambre, qui ne les refusera certes pas, des crédits
moins dérisoires que ceux affectés jusqu'ici, par exemple, au
développement et à l'entretien de la si utile Bibliothèque de
l'École.
Il ne faut point perdre de vue que M. Eugène Mûntz n'est
pas seulement un érudit accompli, mais un lettré des plus dis-
tingués; c'est une vraie organisation d'artiste de la plus extrême
délicatesse. Sa passion de travail n'a d'égale que son amour du
progrès; il est donc plus à même que personne de répondre à la
confiance ministérielle, mais il ne faut pas qu'on lui en dispute
les moyens» Il est plus que temps, en un mot, que les arts de la
paix soient aussi bien, si ce n'est mieux dotés que l'art de la
guerre. Les premiers sont féconds pour le bonheur et la renom-
mée du genre humain ; la France leur doit le plus pur de sa gloire ;
le second ne sème que ruines, haines et malheurs de toute sorte.
Paul Leroi.
HISTOIRE ARTISTIQUE DU MÉTAL1
IV
LE MÉTAL
DANS LES TEMPS MODERNES
LA BIJOUTERIE
Jusqu'au xvie siècle, les artistes qui travaillaient le métal,
soit pour des ouvrages de grande dimension, soit pour des bijoux
portatifs, n'avaient pour ainsi dire pas de spécialités.
Les grands seigneurs demandaient une coupe en or, ou une
simple bague, à des sculpteurs qui faisaient en même temps des
statues de bronze et qui n'avaient aucune répugnance à se
charger d'un travail en apparence si différent. La qualification
d'orfèvre s'appliquait indistinctement à tous les artistes qui
faisaient des objets de métal et Benvenuto Cellini ciselait des
boutons de chape pour les évêques, en même temps qu'il fon-
dait son Persée. Mais il est à peu près le dernier qui ait possédé
cette universalité, et la division du travail, réparti en professions
spéciales, qui est le caractère de l'art et de l'industrie des temps
modernes, commence aussitôt après la Renaissance. Il n'est donc
plus possible, quand on aborde les temps modernes, de prendre
en bloc le travail des métaux, dans une période ou dans une
nationalité, et nous serons obligé d'étudier l'une après l'autre
chacune des professions qui relèvent du métal.
Nous commencerons par la bijouterie : un des maîtres de la
profession va nous expliquer lui-même en quoi consiste le travail
du bijoutier. Nous extrayons les lignes suivantes d'un rapport de
M. Falise, sur l'exposition organisée par l'Union centrale des
Beaux-Arts appliqués à l'industrie, en 1876.
« Si la plus grande difficulté consiste à renfermer l'idée, à
resserrer la composition dans le cadre étroit d'un bijou, les
moyens d'exécution sont plus développés et plus multiples que
dans la plupart des autres métiers.
« La matière est riche, c'est l'or, c'est l'argent, ce sont les
pierres dans leur infinie variété ; docile à prendre toutes les
formes, l'or se modèle sous le marteau, la lime et le ciselet, il se
cambre sous la pince, il épouse la forme du moule, on le tourne,
on l'emboutit, on le soude, on le découpe comme une dentelle,
on le grave, on l'incruste, on le sertit. Il se prête donc à toutes
les variations de la forme.
« Puis sa couleur chaude et rutilante est une fête pour les
yeux, et cependant les pierres ou les émaux y viennent encore
ajouter leurs effets chatoyants. Le coloriste y peut trouver les
contrastes les plus heureux, la peinture l'orne de figures ou
d'entrelacs et devient inaltérable au feu ; les nielles, les camées,
les mosaïques, les sertissages de pierres fines, tout est matière à
d'heureuses modifications, et cette même souplesse que nous
avions dans la forme, nous la possédons encore dans l'emploi
des couleurs.
« Mais ce sont là autant de professions diverses, qui,
connexes à celles de l'orfèvre et du bijoutier, demandent une
étude spéciale et dont un artiste habile, mais peu initié, risque-
rait de se mal servir. Bien peu déjà parmi nos meilleurs fabri-
cants savent employer utilement les collaborateurs qu'ils ont
chez les ciseleurs, les graveurs, les émailleurs, les peintres, les
nielleurs, les fondeurs, les lapidaires, les sertisseurs, les incrus-
Voir l'Art, b' année, tome Ilf, page 3c,-. et tome IV, pages :o, 44, 67 90, 114 et 161.
Un savant d'un très grand mérite et d'une extrême éléva-
tion de caractère, M. Louis Peisse, qui était Conservateur des
collections de l'Ecole nationale des Beaux-Arts, est mort récem-
ment, universellement regretté de tous ceux qui ont eu l'hon-
neur de le connaître.
Il s'agissait de pourvoir à son remplacement.
Lorsque M. Etienne Arago, qui était Archiviste de l'École,
fut nommé Conservateur du Musée du Luxembourg, ses
anciennes fonctions furent réunies à celles du Bibliothécaire.
M. Jules Ferry a fort heureusement persévéré dans cette
voie. Les fonctions de Conservateur des collections viennent,
par décret rendu sur la proposition du Président du Conseil,
ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, de rentrer
également dans les attributions du bibliothécaire-archiviste, et
un arrêté ministériel, rendu sur la proposition de M. Edmond
Turquet, sous-secrétaire d'Etat, a nommé Conservateur de la
Bibliothèque, des Archives et du Musée de l'École nationale des
Beaux-Arts, le bibliothécaire, M. Eugène Mûntz.
Jamais choix ne fut mieux justifié. Nous en sommes heu-
reux au possible pour l'École des Beaux-Arts'. En concentrant
les divers services entre les mains de notre cher et éminent col-
laborateur, le ministre s'est adressé au plus digne. Il reste à obte-
nir de la Chambre, qui ne les refusera certes pas, des crédits
moins dérisoires que ceux affectés jusqu'ici, par exemple, au
développement et à l'entretien de la si utile Bibliothèque de
l'École.
Il ne faut point perdre de vue que M. Eugène Mûntz n'est
pas seulement un érudit accompli, mais un lettré des plus dis-
tingués; c'est une vraie organisation d'artiste de la plus extrême
délicatesse. Sa passion de travail n'a d'égale que son amour du
progrès; il est donc plus à même que personne de répondre à la
confiance ministérielle, mais il ne faut pas qu'on lui en dispute
les moyens» Il est plus que temps, en un mot, que les arts de la
paix soient aussi bien, si ce n'est mieux dotés que l'art de la
guerre. Les premiers sont féconds pour le bonheur et la renom-
mée du genre humain ; la France leur doit le plus pur de sa gloire ;
le second ne sème que ruines, haines et malheurs de toute sorte.
Paul Leroi.
HISTOIRE ARTISTIQUE DU MÉTAL1
IV
LE MÉTAL
DANS LES TEMPS MODERNES
LA BIJOUTERIE
Jusqu'au xvie siècle, les artistes qui travaillaient le métal,
soit pour des ouvrages de grande dimension, soit pour des bijoux
portatifs, n'avaient pour ainsi dire pas de spécialités.
Les grands seigneurs demandaient une coupe en or, ou une
simple bague, à des sculpteurs qui faisaient en même temps des
statues de bronze et qui n'avaient aucune répugnance à se
charger d'un travail en apparence si différent. La qualification
d'orfèvre s'appliquait indistinctement à tous les artistes qui
faisaient des objets de métal et Benvenuto Cellini ciselait des
boutons de chape pour les évêques, en même temps qu'il fon-
dait son Persée. Mais il est à peu près le dernier qui ait possédé
cette universalité, et la division du travail, réparti en professions
spéciales, qui est le caractère de l'art et de l'industrie des temps
modernes, commence aussitôt après la Renaissance. Il n'est donc
plus possible, quand on aborde les temps modernes, de prendre
en bloc le travail des métaux, dans une période ou dans une
nationalité, et nous serons obligé d'étudier l'une après l'autre
chacune des professions qui relèvent du métal.
Nous commencerons par la bijouterie : un des maîtres de la
profession va nous expliquer lui-même en quoi consiste le travail
du bijoutier. Nous extrayons les lignes suivantes d'un rapport de
M. Falise, sur l'exposition organisée par l'Union centrale des
Beaux-Arts appliqués à l'industrie, en 1876.
« Si la plus grande difficulté consiste à renfermer l'idée, à
resserrer la composition dans le cadre étroit d'un bijou, les
moyens d'exécution sont plus développés et plus multiples que
dans la plupart des autres métiers.
« La matière est riche, c'est l'or, c'est l'argent, ce sont les
pierres dans leur infinie variété ; docile à prendre toutes les
formes, l'or se modèle sous le marteau, la lime et le ciselet, il se
cambre sous la pince, il épouse la forme du moule, on le tourne,
on l'emboutit, on le soude, on le découpe comme une dentelle,
on le grave, on l'incruste, on le sertit. Il se prête donc à toutes
les variations de la forme.
« Puis sa couleur chaude et rutilante est une fête pour les
yeux, et cependant les pierres ou les émaux y viennent encore
ajouter leurs effets chatoyants. Le coloriste y peut trouver les
contrastes les plus heureux, la peinture l'orne de figures ou
d'entrelacs et devient inaltérable au feu ; les nielles, les camées,
les mosaïques, les sertissages de pierres fines, tout est matière à
d'heureuses modifications, et cette même souplesse que nous
avions dans la forme, nous la possédons encore dans l'emploi
des couleurs.
« Mais ce sont là autant de professions diverses, qui,
connexes à celles de l'orfèvre et du bijoutier, demandent une
étude spéciale et dont un artiste habile, mais peu initié, risque-
rait de se mal servir. Bien peu déjà parmi nos meilleurs fabri-
cants savent employer utilement les collaborateurs qu'ils ont
chez les ciseleurs, les graveurs, les émailleurs, les peintres, les
nielleurs, les fondeurs, les lapidaires, les sertisseurs, les incrus-
Voir l'Art, b' année, tome Ilf, page 3c,-. et tome IV, pages :o, 44, 67 90, 114 et 161.