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Tardieu, Charles: Le Cabinet de M. Jules van Praet, [1]
DOI Page / Citation link:https://doi.org/10.11588/diglit.18610#0320
ant vaut la collection, tant vaut le collectionneur. Cet
aphorisme a un faux air paradoxal qui n'agréera peut-
être pas au lecteur. Et déjà nous l'entendons s'écrier :
Comment ! L'Hôtel Drouot est une succursale de la
Bourse; il n'est pas un quart d'agent de change, pas un
coulissier de quelque surface, qui n'ait la prétention de
se poser en amateur sérieux d'objets d'art ou de curio-
sité; les œuvres les plus dignes de tenter la passion des
gens de goût leur sont interdites pour peu que leur
« Passez à la caisse » soit le moins du monde hésitant;
qu'il s'agisse de livres rares, de bibelots précieux ou de tableaux de maîtres, tout se WSp^'
réduit'à une question de billets de banque; et l'on viendra prétendre qu'il [existe un
rapport quelconque entre la physionomie intellectuelle [du collectionneur et les trésors
jjpj I dont ses moyens lui permettent l'acquisition ! A d'autres ! 11 fut un temps peut-être où
l'on pouvait dire qu'une collection est un portrait, une biographie, tout au moins un
recueil de documents pour servir à l'histoire d'un esprit. Mais aujourd'hui, nous n'en
connaissons plus que de deux espèces : celle du riche, un vernis, un genre, une
manière de faux blason destiné à décrasser une roture morale ; celle du pauvre,
collection d'espérances avortées, de rêves inassouvis, d'ambitions déçues et de regrets
amers, sans parler des fiches de consolation du pis-aller. Là, un trompe-l'ceil; ici, le
supplice de Tantale !
Il y a du vrai et du faux dans cette protestation indignée des déshérités de l'Hôtel
des Ventes. Il est certain que l'argent joue un grand rôle en cette affaire, mais
qu'est-ce que cela prouve, sinon qu'il ne se suffit plus à lui-même? Mais quand la
vanité est le seul mobile des folles enchères qui cassent bras et jambes aux amateurs
médiocrement rentés, quand la sincérité de la passion n'y est pour rien, quand il n'y a
pas sous la peau du millionnaire un homme au goût délicat, éclairé, comme on a
bientôt fait de signaler des disparates dans les collections ainsi formées, quelle qu'en
soit la richesse, à côté d'un joyau princier une platitude authentique payée cent fois
«
1
m0
Encadrement tiré de l'ouvrage intitulé: « Fêtes publiques données par la ville de Paris à l'occasion du mariage de Monseigneur le Dauphin,
les 23 et 26 février MOCCLXX ».
aphorisme a un faux air paradoxal qui n'agréera peut-
être pas au lecteur. Et déjà nous l'entendons s'écrier :
Comment ! L'Hôtel Drouot est une succursale de la
Bourse; il n'est pas un quart d'agent de change, pas un
coulissier de quelque surface, qui n'ait la prétention de
se poser en amateur sérieux d'objets d'art ou de curio-
sité; les œuvres les plus dignes de tenter la passion des
gens de goût leur sont interdites pour peu que leur
« Passez à la caisse » soit le moins du monde hésitant;
qu'il s'agisse de livres rares, de bibelots précieux ou de tableaux de maîtres, tout se WSp^'
réduit'à une question de billets de banque; et l'on viendra prétendre qu'il [existe un
rapport quelconque entre la physionomie intellectuelle [du collectionneur et les trésors
jjpj I dont ses moyens lui permettent l'acquisition ! A d'autres ! 11 fut un temps peut-être où
l'on pouvait dire qu'une collection est un portrait, une biographie, tout au moins un
recueil de documents pour servir à l'histoire d'un esprit. Mais aujourd'hui, nous n'en
connaissons plus que de deux espèces : celle du riche, un vernis, un genre, une
manière de faux blason destiné à décrasser une roture morale ; celle du pauvre,
collection d'espérances avortées, de rêves inassouvis, d'ambitions déçues et de regrets
amers, sans parler des fiches de consolation du pis-aller. Là, un trompe-l'ceil; ici, le
supplice de Tantale !
Il y a du vrai et du faux dans cette protestation indignée des déshérités de l'Hôtel
des Ventes. Il est certain que l'argent joue un grand rôle en cette affaire, mais
qu'est-ce que cela prouve, sinon qu'il ne se suffit plus à lui-même? Mais quand la
vanité est le seul mobile des folles enchères qui cassent bras et jambes aux amateurs
médiocrement rentés, quand la sincérité de la passion n'y est pour rien, quand il n'y a
pas sous la peau du millionnaire un homme au goût délicat, éclairé, comme on a
bientôt fait de signaler des disparates dans les collections ainsi formées, quelle qu'en
soit la richesse, à côté d'un joyau princier une platitude authentique payée cent fois
«
1
m0
Encadrement tiré de l'ouvrage intitulé: « Fêtes publiques données par la ville de Paris à l'occasion du mariage de Monseigneur le Dauphin,
les 23 et 26 février MOCCLXX ».