PORTES DU BAPTISTÈRE DE FLORENCE.
21 I
m'avez d'ailleurs témoigné lors de la dernière visite que j'eus |
l'honneur de vous faire, il y a environ un mois. La notice que
vous voulez faire paraître dans l'Art me flatte énormément et
m'encourage doublement à persévérer.
« Né à Aix en Provence, le 8 janvier 1850, mes parents peu
fortunés voulurent, tout en me donnant une éducation relative
et à cause du penchant que je semblais avoir pour le dessin, me
faire suivre les cours à l'École spéciale et gratuite de la ville. J'y
eus assez de succès pour intéresser à mon avenir le directeur de
l'École. Il aurait voulu me faire concourir au Prix Granet,
consistant en une pension faite à un élève pour venir à Paris
suivre les cours de l'École des Beaux-Arts, mais la médiocrité de
cette pension, jointe à la position de mes parents, ne me per-
mit pas de mettre ce projet à exécution. Il fallait, avant tout,
me donner un état qui pût au plus tôt me permettre de n'être à
charge à personne. C'est alors que l'on me plaça chez mon
vénéré maître, M. Marius Reinaud, bien connu dans le midi de
la France par ses gravures de dévotion et par ses eaux-fortes de
l'œuvre de Granet et de celle de Constantin, ses amis.
« Le but de mes parents était de me faire apprendre la gra-
vure commerciale. Mais le contact de mon maître, qui était avant
tout artiste, l'empressement que je mis à partager ses idées, me
conquirent à un tel point son amitié, que je négligeai la gravure
de commerce pour ne plus m'occuper avec lui que de dessins à
la plume. J'oubliai tout pour ne m'inspirer que des eaux-fortes
de mon maître et de li superbe collection qu'il avait amassée.
Cela ne fit pas l'affaire de ma famille qui me fit abandonner la
gravure pour apprendre le métier plus prosaïque et plus lucratif
alors de photographe. Je dus quitter mon maître. Il est mort
depuis plusieurs années déjà, mais j'ai toujours conservé pour
son souvenir une grande vénération. Sa simplicité et ses mœurs
patriarcales sont passées en proverbe dans mon pays. Malheu-
reusement, une trop grande modestie l'a empêché, comme tant
d'autres, d'acquérir une fortune.
« Depuis, le métier de photographe m'a fait vivre. J'ai été
établi à Aix pendant trois ans, mais bientôt des désillusions de
toutes sortes m'ont déterminé à quitter Aix pour venir à Paris.
« En y arrivant, il fallut y vivre avant tout et je rentrai
alors dans une administration où je suis encore, et le peu de
loisirs que ma place me procure, je les consacre à la gravure.
Cela m'est assez pénible, car c'est surtout le soir qu'il me faut
travailler. Le jour où le travail de la gravure pourra me suffire,
mon but sera atteint.
« Voilà, Monsieur, ce que j'ai à vous apprendre. Tout cela
n'a de vraiment intéressant que d'être exact. Prenez-en ce que
vous croirez bon.
« Veuillez agréer, Monsieur, mes bien sincères salutations.
« Gautier Lucien. »
Ami lecteur, vous trouverez, je crois, que j'ai bien fait de
transcrire littéralement la lettre de M. Gautier, un brave cœur
et modeste, deux qualités qui ne gâtent rien et qui courent si peu
les rues, que leur réunion chez un artiste tient peut-être un
tantinet du miracle.
Il est très fort, ce jeune aquafortiste, qui ne peut consacrer
à son art que ses trop rares loisirs, et qui prend sur ses veilles
pour produire de temps en temps une de ces créations sincères,
d'une originalité puissante, comme son Petit bras de la Seine.
Il nous a semblé à tous qu'il appartenait à l'Art, à qui revient
l'honneur de l'avoir mis en lumière, de continuer plus efficace-
ment encore son concours à M. Gautier, afin qu'il puisse se
dévouer tout entier à la gravure et lui devoir l'indépendance.
Notre vœu a trouvé tout accueil chez notre éditeur, et bientôt
notre Revue pourra publier toute une série de planches nouvelles
que va graver expressément pour elle l'ancien élève de M. Marius
Reinaud.
La Porte du Palais Ducal, à Venise, de M. Jean Litoux,
ne se distingue point par la science profonde que M. Gautier
possède déjà à un degré si éminent; c'est un brillant coloriste
qui nous est révélé, mais un coloriste dont la franchise ne cherche
pas à dissimuler l'inexpérience en plus d'un point. M. Litoux
s'en explique lui-même très ouvertement.
« Je suis architecte, écrit-il1, et ai fait mes études à l'École
des Beaux-Arts sous la direction de M. Questel!. Pour me dis-
traire quelque peu de travaux parfois très absorbants, j'avais
cherché un délassement artistique. J'ai travaillé quelque temps
la peinture sur faïence et porcelaine, mais j'ai dû y renoncer,
rencontrant beaucoup de mauvais vouloir chqz les fabricants,
qui ne livrent qu'avec regret leurs produits aux amateurs et ne
soignent point leur cuisson. Un de mes amis me donna l'idée de
faire de l'eau-forte et m'indiqua sommairement la préparation
des plaques et la manière de s'en servir. J'ai donc travaillé sans
aucun maître et n'ai aucun procédé que le burin. J'ignore le
maniement des roulettes et autres outils. J'ai, jusqu'à présent,
fait fort peu d'eaux-fortes, mais j'espère, Monsieur, en faire
encore et j'irai vous les montrer dès que j'en aurai. »
Elles seront les très bien venues. En attendant et sans
consulter notre cher directeur artistique, — je connais trop bien
cette nature d'élite pour avoir besoin de demander sa permission,
— j'engage fort M. Litoux à voir M. Léon Gaucherel, qui est
un peu — beaucoup même — le père de l'admirable pléiade de
nos jeunes aquafortistes. Il sera accueilli à bras ouverts par un
artiste heureux de lui donner les conseils les plus désintéressés,
les plus utiles; il ne tardera pas à trouver un ami toujours
prêt à l'encourager, à l'éclairer, à le défendre, dans ce maître-
graveur dont le remarquable talent et le goût exquis n'ont d'égal
que la droiture, la bienveillance et l'infatigable dévouement à ses
élèves et à tous ceux qui recherchent ses précieux conseils.
Paul Leroi.
{La suite prochainement.)
PORTES DU BAPTISTERE DE FLORENCE
La gravure de Maurand, représentant la Décollation de
saint Jean, groupe en bronze de Vincenzo Danti, placé au-
dessus de la porte sud du Baptistère de Florence, était destinée
à illustrer l'article de notre collaborateur, M. Alessandro Fran-
chi, sur les Portes du Baptistère de Florence, qui a paru en
deux parties, la première en 1879, tome IV, page 289, la
seconde cette année, tome I, page 28. Des circonstances indé-
pendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de la
publier à cette époque. Ceux de nos abonnés qui n'auraient
pas encore fait relier les livraisons de cette année pourront faire
placer cette gravure dans le deuxième article de M. Alessandro
Franchi.
[. En date de Paris, le 11 novembre.
n. M. Charles-Auguste Questel, officier de la Légion d'honneur depuis 1S63, a été élu membre de l'Institut en 1871.
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m'avez d'ailleurs témoigné lors de la dernière visite que j'eus |
l'honneur de vous faire, il y a environ un mois. La notice que
vous voulez faire paraître dans l'Art me flatte énormément et
m'encourage doublement à persévérer.
« Né à Aix en Provence, le 8 janvier 1850, mes parents peu
fortunés voulurent, tout en me donnant une éducation relative
et à cause du penchant que je semblais avoir pour le dessin, me
faire suivre les cours à l'École spéciale et gratuite de la ville. J'y
eus assez de succès pour intéresser à mon avenir le directeur de
l'École. Il aurait voulu me faire concourir au Prix Granet,
consistant en une pension faite à un élève pour venir à Paris
suivre les cours de l'École des Beaux-Arts, mais la médiocrité de
cette pension, jointe à la position de mes parents, ne me per-
mit pas de mettre ce projet à exécution. Il fallait, avant tout,
me donner un état qui pût au plus tôt me permettre de n'être à
charge à personne. C'est alors que l'on me plaça chez mon
vénéré maître, M. Marius Reinaud, bien connu dans le midi de
la France par ses gravures de dévotion et par ses eaux-fortes de
l'œuvre de Granet et de celle de Constantin, ses amis.
« Le but de mes parents était de me faire apprendre la gra-
vure commerciale. Mais le contact de mon maître, qui était avant
tout artiste, l'empressement que je mis à partager ses idées, me
conquirent à un tel point son amitié, que je négligeai la gravure
de commerce pour ne plus m'occuper avec lui que de dessins à
la plume. J'oubliai tout pour ne m'inspirer que des eaux-fortes
de mon maître et de li superbe collection qu'il avait amassée.
Cela ne fit pas l'affaire de ma famille qui me fit abandonner la
gravure pour apprendre le métier plus prosaïque et plus lucratif
alors de photographe. Je dus quitter mon maître. Il est mort
depuis plusieurs années déjà, mais j'ai toujours conservé pour
son souvenir une grande vénération. Sa simplicité et ses mœurs
patriarcales sont passées en proverbe dans mon pays. Malheu-
reusement, une trop grande modestie l'a empêché, comme tant
d'autres, d'acquérir une fortune.
« Depuis, le métier de photographe m'a fait vivre. J'ai été
établi à Aix pendant trois ans, mais bientôt des désillusions de
toutes sortes m'ont déterminé à quitter Aix pour venir à Paris.
« En y arrivant, il fallut y vivre avant tout et je rentrai
alors dans une administration où je suis encore, et le peu de
loisirs que ma place me procure, je les consacre à la gravure.
Cela m'est assez pénible, car c'est surtout le soir qu'il me faut
travailler. Le jour où le travail de la gravure pourra me suffire,
mon but sera atteint.
« Voilà, Monsieur, ce que j'ai à vous apprendre. Tout cela
n'a de vraiment intéressant que d'être exact. Prenez-en ce que
vous croirez bon.
« Veuillez agréer, Monsieur, mes bien sincères salutations.
« Gautier Lucien. »
Ami lecteur, vous trouverez, je crois, que j'ai bien fait de
transcrire littéralement la lettre de M. Gautier, un brave cœur
et modeste, deux qualités qui ne gâtent rien et qui courent si peu
les rues, que leur réunion chez un artiste tient peut-être un
tantinet du miracle.
Il est très fort, ce jeune aquafortiste, qui ne peut consacrer
à son art que ses trop rares loisirs, et qui prend sur ses veilles
pour produire de temps en temps une de ces créations sincères,
d'une originalité puissante, comme son Petit bras de la Seine.
Il nous a semblé à tous qu'il appartenait à l'Art, à qui revient
l'honneur de l'avoir mis en lumière, de continuer plus efficace-
ment encore son concours à M. Gautier, afin qu'il puisse se
dévouer tout entier à la gravure et lui devoir l'indépendance.
Notre vœu a trouvé tout accueil chez notre éditeur, et bientôt
notre Revue pourra publier toute une série de planches nouvelles
que va graver expressément pour elle l'ancien élève de M. Marius
Reinaud.
La Porte du Palais Ducal, à Venise, de M. Jean Litoux,
ne se distingue point par la science profonde que M. Gautier
possède déjà à un degré si éminent; c'est un brillant coloriste
qui nous est révélé, mais un coloriste dont la franchise ne cherche
pas à dissimuler l'inexpérience en plus d'un point. M. Litoux
s'en explique lui-même très ouvertement.
« Je suis architecte, écrit-il1, et ai fait mes études à l'École
des Beaux-Arts sous la direction de M. Questel!. Pour me dis-
traire quelque peu de travaux parfois très absorbants, j'avais
cherché un délassement artistique. J'ai travaillé quelque temps
la peinture sur faïence et porcelaine, mais j'ai dû y renoncer,
rencontrant beaucoup de mauvais vouloir chqz les fabricants,
qui ne livrent qu'avec regret leurs produits aux amateurs et ne
soignent point leur cuisson. Un de mes amis me donna l'idée de
faire de l'eau-forte et m'indiqua sommairement la préparation
des plaques et la manière de s'en servir. J'ai donc travaillé sans
aucun maître et n'ai aucun procédé que le burin. J'ignore le
maniement des roulettes et autres outils. J'ai, jusqu'à présent,
fait fort peu d'eaux-fortes, mais j'espère, Monsieur, en faire
encore et j'irai vous les montrer dès que j'en aurai. »
Elles seront les très bien venues. En attendant et sans
consulter notre cher directeur artistique, — je connais trop bien
cette nature d'élite pour avoir besoin de demander sa permission,
— j'engage fort M. Litoux à voir M. Léon Gaucherel, qui est
un peu — beaucoup même — le père de l'admirable pléiade de
nos jeunes aquafortistes. Il sera accueilli à bras ouverts par un
artiste heureux de lui donner les conseils les plus désintéressés,
les plus utiles; il ne tardera pas à trouver un ami toujours
prêt à l'encourager, à l'éclairer, à le défendre, dans ce maître-
graveur dont le remarquable talent et le goût exquis n'ont d'égal
que la droiture, la bienveillance et l'infatigable dévouement à ses
élèves et à tous ceux qui recherchent ses précieux conseils.
Paul Leroi.
{La suite prochainement.)
PORTES DU BAPTISTERE DE FLORENCE
La gravure de Maurand, représentant la Décollation de
saint Jean, groupe en bronze de Vincenzo Danti, placé au-
dessus de la porte sud du Baptistère de Florence, était destinée
à illustrer l'article de notre collaborateur, M. Alessandro Fran-
chi, sur les Portes du Baptistère de Florence, qui a paru en
deux parties, la première en 1879, tome IV, page 289, la
seconde cette année, tome I, page 28. Des circonstances indé-
pendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de la
publier à cette époque. Ceux de nos abonnés qui n'auraient
pas encore fait relier les livraisons de cette année pourront faire
placer cette gravure dans le deuxième article de M. Alessandro
Franchi.
[. En date de Paris, le 11 novembre.
n. M. Charles-Auguste Questel, officier de la Légion d'honneur depuis 1S63, a été élu membre de l'Institut en 1871.