VANDALISME.
artistes. — et cela inutilement — des idées ires spirituelles que
ceux-ci n'ont jamais eues, et se rendent pas toujours bien compte
du degré de beauté que toute chose porte en elle-même, et
que la complication des sentiments abstraits, surtout dans les
arts plastiques, ne peut que détruire.
Nous espérons que l'importance que nous attachons aux
questions techniques et matérielles dans les choses de l'art ne
nous fera pas accuser d'indifférence aux qualités personnelles,
aux sentiments intimes, aux expansions de cœur des grands
artistes, des grands poètes, des grands esprits. Si la foudre du
ciel, de même que la brute, tue aveuglément l'innocent comme
le coupable, au contraire les cris de colère du poète, terribles
comme le flot, comme l'ouragan, délivrent parfois un peuple
entier, punissent les crimes, renversent les oppresseurs. Il y a
autre chose qu'une froide combinaison de lignes dans le Juge-
ment de Michel-Ange. 11 n'y a pas qu'un adroit effet de lumière
dans l'apparition du Christ de Rembrandt au milieu des déshé-
rités. Il n'y a pas qu'un calcul mathématique dans les échos
formidables des trompettes placées par Berlioz aux quntreangtes
de Notre-Dame au moment solennel du réveil des morts dans
le Dies ira.'. Elles ne brilleront pas, les couleurs éclatantes; ils
ne chanteront pas, les mots sonores; ils n'étincelleront pas, les
métaux précieux, à l'appel d'un artiste qui n'aura pas en lui la
force ou la sensibilité, l'amour ou l'enthousiasme. Il ne tirera
aucun résultat des plus belles matières comme des plus beaux
sujets; le soleil qu'il montre ne vivifiera pas, le diamant dans
ses mains s'obscurcira. Le comédien qui n'ajoute pas à l'effet
appris, au talent d'école, le sentiment personnel, quelque chose
de son être même, peut réduire le poème le plus sublime en un
fatigant récit.
Mais l'histoire de l'art n'est pas l'art lui-même, c'est le compte
rendu des efforts et des résultats, des artistes et des productions;
et la description d'un chef-d'œuvre, si complète qu'elle puisse
être, ne peut le remplacer.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression, etc.
Emile Soldi.
VAN DALJ SME '
XI . I
g/Sf^ talie.— Sous ce titre: « La Fresque d'Andréa del Sarto
^^1 oÈ\ au c'°'tre de l'Annunziata à Florence», l'Italie, de j
.iuMali Rome, a publié le 13 novembre la lettre suivante que !
lui a adressée de Florence, où il réside depuis de longues années,
M. le baron de Garriod. Nous n'avons pas besoin de rappeler à
nos lecteurs que c'est l'Art qui le premier a dénoncé l'acte inouï
de vandalisme dont le chef-d'œuvre d'Andréa del Sarto est vic-
time.
« Monsieur le directeur,
« C'est une affaire toisée ! Toisée est le mot, car c'est par
une menuiserie que s'est terminée une question d'art, agitée
dans votre journal, il y ?. déjà quelque temps. Le croiriez-vous ?
La fresque d'Andréa del Sarto, au cloître de l'Annunziata de
Florence, la célèbre Madonna del Sacco, a été claquemurée dans ]
une cage de verre, comme les oiseaux empaillés d'un muséum
d'histoire naturelle. Le projet de l'enlever par le fatal procédé
de la toile engluée a été, heureusement, conjuré. Mais la com-
mission était nommée; elle a voulu laisser un souvenir de son
passage.
« A tout prendre, on pourrait croire que la cage ne fera ni
chaud ni froid à la peinture; il n'en est pourtant pas ainsi,
comme nous verrons ci-après. En attendant, elle encombre un
coin du cloître élégant dont elle gâte l'eurythmie; elle enlève la
perspective de la fresque, ainsi que de celles qui l'avoisinent; en
un mot, c'est laid au possible, d'autant plus laid que cela vise
au grandiose d'un travail d'art mécanique, au préjudice de l'art
esthétique. Les montants de cette baraque coupent verticalement
en deux les beaux portraits de Poccetti qui décorent les pendentifs,
de manière à ce qu'une tranche de ligure est en dedans et l'autre
en dehors du châssis, pendant que les inscriptions tumulaires du
pavé se trouvent également barrées par la boiserie. Comme
qu'on s'y prît, on ne pouvait s'empêcher de mal faire.
« Voilà pour le coup d'œil : éborgnement de la peinture;
encombrement de l'architecture et, pour l'art, rien de rien.
« La froide imagination des auteurs de cette baroque encoi-
gnure a oublié que le privilège des méridionaux est de bâtir
pour le grand air, que les septentrionaux excluent de leurs cons-
tructions par une triste nécessité. C'est donc se montrer bien
ingrat envers la nature et envers l'art que de se barricader ainsi
contre le climat qui le féconde de sa chaude lumière.
« Et puis, aux termes mêmes de l'idée qui a inspiré cette
malencontreuse encoignure, est-il vrai qu'elle préserve la fres-
que des intempéries? Supposons qu'une brume bénigne comme
celle des Apennins se trouve enserrée dans cette tranchée
de verre. Qu'arrivera-t-il? Ce qui arrive quand deux atmos-
phères sont en contact, l'une plus froide et l'autre plus chaude ;
cette dernière se condense, comme nous voyons aux carreaux
de nos fenêtres, contre les parois plus froides qu'elle humecte
de gouttelettes, qui, vu l'immobilité de l'ambiant, ne bénéli-
cient pas de ce courant d'air qui essuie, presque instantanément,
les dalles des rues. Or, l'humidité est l'élément délétère du crépi
sur lequel s'exécute la peinture à fresque, qui, par elle-même,
est inaltérable à l'air.
« C'était donc la toiture qu'il importait de rendre imper-
méable et pas autre chose. Votre journal, monsieur le directeur,
l'a déjà démontré dans une lettre de moi que vous avez publiée, et
la toiture est restée ce qu'elle était : la cause originelle de tout le
mal. En la surélévant, on aurait pu pratiquer une lucarne qui
aurait donné du jour et de l'air à la peinture en lui fournissant
un élément de durée; c'était trop facile à faire, on ne l'a pas
fait.
« Agréez, monsieur, etc.
« IL de Garriod. »
1. Voir l'Art, 5" année, tome 1", pages i>: 1 > i, 20; et 271; tome III, page i.p; tome IV. p.ige 2j, et 6* année, tome 111, pages 46 et 2S3, et tome IV,
pages .11 et 119.
artistes. — et cela inutilement — des idées ires spirituelles que
ceux-ci n'ont jamais eues, et se rendent pas toujours bien compte
du degré de beauté que toute chose porte en elle-même, et
que la complication des sentiments abstraits, surtout dans les
arts plastiques, ne peut que détruire.
Nous espérons que l'importance que nous attachons aux
questions techniques et matérielles dans les choses de l'art ne
nous fera pas accuser d'indifférence aux qualités personnelles,
aux sentiments intimes, aux expansions de cœur des grands
artistes, des grands poètes, des grands esprits. Si la foudre du
ciel, de même que la brute, tue aveuglément l'innocent comme
le coupable, au contraire les cris de colère du poète, terribles
comme le flot, comme l'ouragan, délivrent parfois un peuple
entier, punissent les crimes, renversent les oppresseurs. Il y a
autre chose qu'une froide combinaison de lignes dans le Juge-
ment de Michel-Ange. 11 n'y a pas qu'un adroit effet de lumière
dans l'apparition du Christ de Rembrandt au milieu des déshé-
rités. Il n'y a pas qu'un calcul mathématique dans les échos
formidables des trompettes placées par Berlioz aux quntreangtes
de Notre-Dame au moment solennel du réveil des morts dans
le Dies ira.'. Elles ne brilleront pas, les couleurs éclatantes; ils
ne chanteront pas, les mots sonores; ils n'étincelleront pas, les
métaux précieux, à l'appel d'un artiste qui n'aura pas en lui la
force ou la sensibilité, l'amour ou l'enthousiasme. Il ne tirera
aucun résultat des plus belles matières comme des plus beaux
sujets; le soleil qu'il montre ne vivifiera pas, le diamant dans
ses mains s'obscurcira. Le comédien qui n'ajoute pas à l'effet
appris, au talent d'école, le sentiment personnel, quelque chose
de son être même, peut réduire le poème le plus sublime en un
fatigant récit.
Mais l'histoire de l'art n'est pas l'art lui-même, c'est le compte
rendu des efforts et des résultats, des artistes et des productions;
et la description d'un chef-d'œuvre, si complète qu'elle puisse
être, ne peut le remplacer.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression, etc.
Emile Soldi.
VAN DALJ SME '
XI . I
g/Sf^ talie.— Sous ce titre: « La Fresque d'Andréa del Sarto
^^1 oÈ\ au c'°'tre de l'Annunziata à Florence», l'Italie, de j
.iuMali Rome, a publié le 13 novembre la lettre suivante que !
lui a adressée de Florence, où il réside depuis de longues années,
M. le baron de Garriod. Nous n'avons pas besoin de rappeler à
nos lecteurs que c'est l'Art qui le premier a dénoncé l'acte inouï
de vandalisme dont le chef-d'œuvre d'Andréa del Sarto est vic-
time.
« Monsieur le directeur,
« C'est une affaire toisée ! Toisée est le mot, car c'est par
une menuiserie que s'est terminée une question d'art, agitée
dans votre journal, il y ?. déjà quelque temps. Le croiriez-vous ?
La fresque d'Andréa del Sarto, au cloître de l'Annunziata de
Florence, la célèbre Madonna del Sacco, a été claquemurée dans ]
une cage de verre, comme les oiseaux empaillés d'un muséum
d'histoire naturelle. Le projet de l'enlever par le fatal procédé
de la toile engluée a été, heureusement, conjuré. Mais la com-
mission était nommée; elle a voulu laisser un souvenir de son
passage.
« A tout prendre, on pourrait croire que la cage ne fera ni
chaud ni froid à la peinture; il n'en est pourtant pas ainsi,
comme nous verrons ci-après. En attendant, elle encombre un
coin du cloître élégant dont elle gâte l'eurythmie; elle enlève la
perspective de la fresque, ainsi que de celles qui l'avoisinent; en
un mot, c'est laid au possible, d'autant plus laid que cela vise
au grandiose d'un travail d'art mécanique, au préjudice de l'art
esthétique. Les montants de cette baraque coupent verticalement
en deux les beaux portraits de Poccetti qui décorent les pendentifs,
de manière à ce qu'une tranche de ligure est en dedans et l'autre
en dehors du châssis, pendant que les inscriptions tumulaires du
pavé se trouvent également barrées par la boiserie. Comme
qu'on s'y prît, on ne pouvait s'empêcher de mal faire.
« Voilà pour le coup d'œil : éborgnement de la peinture;
encombrement de l'architecture et, pour l'art, rien de rien.
« La froide imagination des auteurs de cette baroque encoi-
gnure a oublié que le privilège des méridionaux est de bâtir
pour le grand air, que les septentrionaux excluent de leurs cons-
tructions par une triste nécessité. C'est donc se montrer bien
ingrat envers la nature et envers l'art que de se barricader ainsi
contre le climat qui le féconde de sa chaude lumière.
« Et puis, aux termes mêmes de l'idée qui a inspiré cette
malencontreuse encoignure, est-il vrai qu'elle préserve la fres-
que des intempéries? Supposons qu'une brume bénigne comme
celle des Apennins se trouve enserrée dans cette tranchée
de verre. Qu'arrivera-t-il? Ce qui arrive quand deux atmos-
phères sont en contact, l'une plus froide et l'autre plus chaude ;
cette dernière se condense, comme nous voyons aux carreaux
de nos fenêtres, contre les parois plus froides qu'elle humecte
de gouttelettes, qui, vu l'immobilité de l'ambiant, ne bénéli-
cient pas de ce courant d'air qui essuie, presque instantanément,
les dalles des rues. Or, l'humidité est l'élément délétère du crépi
sur lequel s'exécute la peinture à fresque, qui, par elle-même,
est inaltérable à l'air.
« C'était donc la toiture qu'il importait de rendre imper-
méable et pas autre chose. Votre journal, monsieur le directeur,
l'a déjà démontré dans une lettre de moi que vous avez publiée, et
la toiture est restée ce qu'elle était : la cause originelle de tout le
mal. En la surélévant, on aurait pu pratiquer une lucarne qui
aurait donné du jour et de l'air à la peinture en lui fournissant
un élément de durée; c'était trop facile à faire, on ne l'a pas
fait.
« Agréez, monsieur, etc.
« IL de Garriod. »
1. Voir l'Art, 5" année, tome 1", pages i>: 1 > i, 20; et 271; tome III, page i.p; tome IV. p.ige 2j, et 6* année, tome 111, pages 46 et 2S3, et tome IV,
pages .11 et 119.