INAUGURATION DE LA S
TATUE DE JEAN COUSIN.
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été importé par les Byzantins, les Allemands pratiquaient l'émail
à taille d'épargne, c'est-à-dire introduit par la fusion dans les
entailles du métal. Ce genre d'émail avait été autrefois mis en
pratique par les Gaulois, mais il semblait avoir été oublié dans
les premiers siècles du moyen âge.
Un reliquaire du xiv" siècle, qui fait partie du trésor impé-
rial de Vienne, montre des compartiments dans chacun desquels
on voit une scène de la vie de saint Jean. Les figures sont d'une
grande délicatesse d'exécution. Le reliquaire a la forme d'une
cassette plate en or niellé ; une ouverture en forme de croix,
percée au milieu de la cassette, et recouverte de cristal de roche,
laisse voir la relique, qui est un fragment du manteau de saint
Jean l'évangéliste.
A partir du xiv° siècle, on ne voit plus guère de ces grandes
châsses et les reliquaires deviennent au contraire fort petits.
Cela vient, suivant M. F. de Lasteyrie, de ce que bien peu de
corps de saints restaient dans leur entier, en sorte que la plupart
des reliques n'étaient que des fractions dont le reliquaire prenait
généralement la forme. La tête d'un saint était contenue dans
un buste, le bras ou la jambe se renfermait dans une pièce
métallique affectant la même forme. La simple vue du reliquaire
suffisait ainsi pour en indiquer le contenu. Cet usage au reste
n'était pas particulier à l'Allemagne; pendant le xiv° et le
xv° siècle, on en fit de semblables dans tous les pays chrétiens,
et un assez grand nombre se voient encore dans nos églises.
Quant aux reliquaires destinés à contenir simplement un objet
ayant appartenu au saint, leur forme était à peu près la même
qu'en Italie, et elle n'en différait que par le style ornemental.
L'ogive était pour les Allemands le point de départ et en quelque
sorte la clef de l'ornementation, dans l'orfèvrerie aussi bien que
dans l'architecture, tandis qu'en Italie le plein cintre a toujours
été la forme dominante. On fabriqua aussi, à partir du xv° siècle,
un grand nombre de reliquaires en cristal montés à jour, qui
permettaient aux dévots de contempler la relique elle-même.
Habituellement ces reliquaires sont de simples tubes de cristal,
posés soit horizontalement soit verticalement suivant la nature
de la relique, mais toujours supportés par un piédestal riche-
ment décoré.
Nos musées possèdent aussi quelques belles crosses d'évêque
et des calices d'une grande élégance. Les plus remarquables sont
celles du xv° siècle, mais les gracieux modèles dessinés par
Martin Schongauer, bien que gardant encore le style ogival dans
l'ornementation, montrent déjà en plein le goût de la Renais-
sance qui va succéder au gothique.
Cette période a laissé en Allemagne très peu de monuments
de l'orfèvrerie usuelle. Ce n'est pas que ce genre de fabrication
ait été plus restreint, caries princes allemands, bien qu'ils n'aient
jamais atteint le luxe effréné des ducs de Bourgogne et des grands
seigneurs français, étaient en général assez richement meublés ;
mais les destructions ont été beaucoup plus fréquentes dans les
châteaux que dans les églises. Celles-ci, malgré les pillages qui
accompagnèrent les guerres religieuses, ont pu dans beaucoup
d'endroits conserver leurs trésors. De grands gobelets d'or et
d'argent et des lustres en fer forgé d'un beau travail sont à peu
près tout ce qu'on peut signaler en Allemagne, en dehors de
l'orfèvrerie religieuse.
René Ménard.
(La mite prochainement.)
INAUGURATION DE LA STATUE DE JEAN COUSIN
'est un signe des temps que les arts du dessin,
bien moins que l'industrie, la science et la poli-
tique, participent à l'élan donné depuis trente ans
par la province à la statuaire monumentale.
A Sens, comme partout, il leur a fallu céder le
pas à ceux qu'on nomme triomphalement des hommes utiles!
Thénard, le chimiste, y a une statue depuis dix ans. Jean Cou-
sin a la sienne depuis l'autre semaine seulement.
C'est au marbre qui illumine et non au bronze qui éteint
que le statuaire, M. Chapu, a demandé la transfiguration du
grand maître sénonais. Son inauguration a provoqué, trois ou
quatre jours durant, des fêtes variées, bruyantes, où l'art n'avait
rien à voir qu'un hommage populaire rendu à l'un des siens.
Concours d'orphéons, de fanfares, de tir, bals et ballon ont épa-
noui la foule autant pour le moins que la cérémonie d'inaugu-
ration officielle, très belle, très digne, très imposante et à
laquelle il faut s'en tenir.
L'art et l'histoire se heurtent à chaque pas dans l'antique
cité de Brennus et de Drapés, celui-là le vainqueur et celui-ci
le vaincu de la puissance romaine. De sa grandeur passée, Sens
garde encore des restes qui ont su échapper à la truelle muni-
cipale. Si un entrepreneur fit emplette, il y a trente ans, des
débris encore imposants du palais des Césars — la pierre est si
rare dans le pays—■ comme d'une carrière pour les travaux du
chemin de fer de Lyon, et si un autre abattit une porte romaine
rivale de celles d'Autun, il reste encore intacts des pans entiers
de la puissante muraille dont l'ancien Agendicum s'entoura
pour résister aux Barbares, édifiant ces nouveaux murs avec
les colonnes des temples, les statues des dieux, les tombeaux
des ancêtres, le tout entassé pêle-mêle sur des blocs gigantesques
détachés des arènes. Chaque jour, les embellissements de la
ville rerident au jour ces débris d'un art disparu. Le musée lapi-
daire, déjà l'un des plus riches de la province, s'en enrichit
encore, dit-on.
Sur le papier, oui, sans doute. Mais une collection que
Paris logerait somptueusement, gît encore sous d'informes han-
gars dans une des cours de la mairie. On posait, la veille, la
première pierre de trois édifices publics : d'un nouveau théâtre,
celui qui existe étant jugé insuffisant par les troupes nomades
qui le visitent de loin en loin; d'un marché couvert, et enfin
d'un château d'eau. Au milieu des discours officiels et officieux
pas une voix ne s'est élevée réclamant, au nom de la décence,
un abri définitif en faveur de tant d'oeuvres précieuses pour
l'art, pour l'histoire, pour l'étude. Voilà l'esprit de la province
ou du moins des corps constitués avant et depuis le suffrage
universel.
Mais on a beau faire, l'art rayonne encore à Sens dans les
monuments du passé : il resplendit en plein dans l'Officialité,
adrnirable édifice du xui° siècle, merveille unique en France
d'architecture et de sculpture, puis dans l'antique cathédrale qui
fut la première de toutes où l'ogive vint se marier au plein
cintre dans son trésor, une de nos plus grandes raretés archéo-
logiques, enfin dans ses vitraux superbes racontant les transfor-
mations successives d'un art que l'Italie surnommait, avec la
miniature, l'art français.
Voilà pour la ville. Abordons maintenant la personnalité
du grand artiste qu'elle vient de fêter.
Rapprochement singulier ! Soucy, modeste village de la ban-
lieue de Sens, vit naître, à un siècle de distance, le « Sénonais »,
comme le peintre du Jugement dernier aimait à se qualifier, et
Charles Coypeau, le poète burlesque, une illustration de la
marotte sauvée de l'oubli par deux vers de Boileau :
Les plus mauvais plaisants ont des approbateurs,
Et jusqu'à d'Assoucy, tout trouva des lecteurs.
TATUE DE JEAN COUSIN.
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été importé par les Byzantins, les Allemands pratiquaient l'émail
à taille d'épargne, c'est-à-dire introduit par la fusion dans les
entailles du métal. Ce genre d'émail avait été autrefois mis en
pratique par les Gaulois, mais il semblait avoir été oublié dans
les premiers siècles du moyen âge.
Un reliquaire du xiv" siècle, qui fait partie du trésor impé-
rial de Vienne, montre des compartiments dans chacun desquels
on voit une scène de la vie de saint Jean. Les figures sont d'une
grande délicatesse d'exécution. Le reliquaire a la forme d'une
cassette plate en or niellé ; une ouverture en forme de croix,
percée au milieu de la cassette, et recouverte de cristal de roche,
laisse voir la relique, qui est un fragment du manteau de saint
Jean l'évangéliste.
A partir du xiv° siècle, on ne voit plus guère de ces grandes
châsses et les reliquaires deviennent au contraire fort petits.
Cela vient, suivant M. F. de Lasteyrie, de ce que bien peu de
corps de saints restaient dans leur entier, en sorte que la plupart
des reliques n'étaient que des fractions dont le reliquaire prenait
généralement la forme. La tête d'un saint était contenue dans
un buste, le bras ou la jambe se renfermait dans une pièce
métallique affectant la même forme. La simple vue du reliquaire
suffisait ainsi pour en indiquer le contenu. Cet usage au reste
n'était pas particulier à l'Allemagne; pendant le xiv° et le
xv° siècle, on en fit de semblables dans tous les pays chrétiens,
et un assez grand nombre se voient encore dans nos églises.
Quant aux reliquaires destinés à contenir simplement un objet
ayant appartenu au saint, leur forme était à peu près la même
qu'en Italie, et elle n'en différait que par le style ornemental.
L'ogive était pour les Allemands le point de départ et en quelque
sorte la clef de l'ornementation, dans l'orfèvrerie aussi bien que
dans l'architecture, tandis qu'en Italie le plein cintre a toujours
été la forme dominante. On fabriqua aussi, à partir du xv° siècle,
un grand nombre de reliquaires en cristal montés à jour, qui
permettaient aux dévots de contempler la relique elle-même.
Habituellement ces reliquaires sont de simples tubes de cristal,
posés soit horizontalement soit verticalement suivant la nature
de la relique, mais toujours supportés par un piédestal riche-
ment décoré.
Nos musées possèdent aussi quelques belles crosses d'évêque
et des calices d'une grande élégance. Les plus remarquables sont
celles du xv° siècle, mais les gracieux modèles dessinés par
Martin Schongauer, bien que gardant encore le style ogival dans
l'ornementation, montrent déjà en plein le goût de la Renais-
sance qui va succéder au gothique.
Cette période a laissé en Allemagne très peu de monuments
de l'orfèvrerie usuelle. Ce n'est pas que ce genre de fabrication
ait été plus restreint, caries princes allemands, bien qu'ils n'aient
jamais atteint le luxe effréné des ducs de Bourgogne et des grands
seigneurs français, étaient en général assez richement meublés ;
mais les destructions ont été beaucoup plus fréquentes dans les
châteaux que dans les églises. Celles-ci, malgré les pillages qui
accompagnèrent les guerres religieuses, ont pu dans beaucoup
d'endroits conserver leurs trésors. De grands gobelets d'or et
d'argent et des lustres en fer forgé d'un beau travail sont à peu
près tout ce qu'on peut signaler en Allemagne, en dehors de
l'orfèvrerie religieuse.
René Ménard.
(La mite prochainement.)
INAUGURATION DE LA STATUE DE JEAN COUSIN
'est un signe des temps que les arts du dessin,
bien moins que l'industrie, la science et la poli-
tique, participent à l'élan donné depuis trente ans
par la province à la statuaire monumentale.
A Sens, comme partout, il leur a fallu céder le
pas à ceux qu'on nomme triomphalement des hommes utiles!
Thénard, le chimiste, y a une statue depuis dix ans. Jean Cou-
sin a la sienne depuis l'autre semaine seulement.
C'est au marbre qui illumine et non au bronze qui éteint
que le statuaire, M. Chapu, a demandé la transfiguration du
grand maître sénonais. Son inauguration a provoqué, trois ou
quatre jours durant, des fêtes variées, bruyantes, où l'art n'avait
rien à voir qu'un hommage populaire rendu à l'un des siens.
Concours d'orphéons, de fanfares, de tir, bals et ballon ont épa-
noui la foule autant pour le moins que la cérémonie d'inaugu-
ration officielle, très belle, très digne, très imposante et à
laquelle il faut s'en tenir.
L'art et l'histoire se heurtent à chaque pas dans l'antique
cité de Brennus et de Drapés, celui-là le vainqueur et celui-ci
le vaincu de la puissance romaine. De sa grandeur passée, Sens
garde encore des restes qui ont su échapper à la truelle muni-
cipale. Si un entrepreneur fit emplette, il y a trente ans, des
débris encore imposants du palais des Césars — la pierre est si
rare dans le pays—■ comme d'une carrière pour les travaux du
chemin de fer de Lyon, et si un autre abattit une porte romaine
rivale de celles d'Autun, il reste encore intacts des pans entiers
de la puissante muraille dont l'ancien Agendicum s'entoura
pour résister aux Barbares, édifiant ces nouveaux murs avec
les colonnes des temples, les statues des dieux, les tombeaux
des ancêtres, le tout entassé pêle-mêle sur des blocs gigantesques
détachés des arènes. Chaque jour, les embellissements de la
ville rerident au jour ces débris d'un art disparu. Le musée lapi-
daire, déjà l'un des plus riches de la province, s'en enrichit
encore, dit-on.
Sur le papier, oui, sans doute. Mais une collection que
Paris logerait somptueusement, gît encore sous d'informes han-
gars dans une des cours de la mairie. On posait, la veille, la
première pierre de trois édifices publics : d'un nouveau théâtre,
celui qui existe étant jugé insuffisant par les troupes nomades
qui le visitent de loin en loin; d'un marché couvert, et enfin
d'un château d'eau. Au milieu des discours officiels et officieux
pas une voix ne s'est élevée réclamant, au nom de la décence,
un abri définitif en faveur de tant d'oeuvres précieuses pour
l'art, pour l'histoire, pour l'étude. Voilà l'esprit de la province
ou du moins des corps constitués avant et depuis le suffrage
universel.
Mais on a beau faire, l'art rayonne encore à Sens dans les
monuments du passé : il resplendit en plein dans l'Officialité,
adrnirable édifice du xui° siècle, merveille unique en France
d'architecture et de sculpture, puis dans l'antique cathédrale qui
fut la première de toutes où l'ogive vint se marier au plein
cintre dans son trésor, une de nos plus grandes raretés archéo-
logiques, enfin dans ses vitraux superbes racontant les transfor-
mations successives d'un art que l'Italie surnommait, avec la
miniature, l'art français.
Voilà pour la ville. Abordons maintenant la personnalité
du grand artiste qu'elle vient de fêter.
Rapprochement singulier ! Soucy, modeste village de la ban-
lieue de Sens, vit naître, à un siècle de distance, le « Sénonais »,
comme le peintre du Jugement dernier aimait à se qualifier, et
Charles Coypeau, le poète burlesque, une illustration de la
marotte sauvée de l'oubli par deux vers de Boileau :
Les plus mauvais plaisants ont des approbateurs,
Et jusqu'à d'Assoucy, tout trouva des lecteurs.