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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 4)

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Lobet, Jean: Inauguration de la statue de Jean Cousin
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https://doi.org/10.11588/diglit.18610#0104

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L'ART.

Et la vie du grand homme de Sens nous est moins connue
que celle du burlesque! Habile à jouer du luth, charge' de
divertir le morose Louis XIII, d'Assoucy, de son vrai nom
Coypeau de Soucy, eut des charges de cour. Son concitoyen,
quoi qu'en ait dit Félibien, fut à peine chargé de travaux offi-
ciels dans un temps où ils abondaient. La date de la naissance
et de la mort de Coypeau est bien connue, et sur ces points
essentiels de la vie de Jean Cousin on en est encore réduit à
des conjectures. Les anciens catalogues du Louvre l'ont fait
voyager en Italie. Il s'en fut seulement, croyons-nous, étudier
à Troyes, qui était alors, avec Tours et Toulouse, l'un des trois
grands foyers de l'art français.

Car sa vie, comme celle de tous nos vieux maîtres, fut
simple, ignorée et modeste. L'auteur de ces lignes publie en ce
moment des actes authentiques et contemporains qui l'attestent '.
Ainsi de 1526 à 1545 on ^e trouve simple géomètre expert du
bailliage de Sens pour les cas litigieux, peignant un tableau pour
une abbaye voisine, Vauluisant, une verrière pour la cathédrale
de Sens, mais aussi employé par le Chapitre à dessiner des
orfroys, étoffes tissues d'or, un buffet d'orgue et un célèbre
retable d'orfèvrerie byzantine, la Table d'or. A cette occasion il
reçut de MM. du Chapitre cathédral « 4 liv. 12 sols comme
pourboire à partager avec le serrurier et autres ». Le catalogue
du Louvre qui en fait le gendre d'un ambasseur du roi Fran-
çois Ier devra donc renoncer à cette allégation du patriotisme
de clocher, allégation démentie du reste par les dates.

Ce n'est pas ici le lieu de s'étendre plus longuement sur
« cette glorieuse existence éteinte depuis trois siècles et ranimée
par le ciseau de M. Chapu », comme l'a dit si heureusement
M. Turquet, directeur des Beaux-Arts et présidant la cérémonie
d'inauguration. L'Académie des Beaux-Arts s'était fait repré-
senter par MM. Barbet de Jouy et le statuaire Thomas; l'ad-
ministration du Louvre par M. Saglio, et la Société des sciences
d'Auxerre, qui a donné l'essor aux recherches locales sur la vie
et les œuvres de J. Cousin, par deux de ses membres, MM. Mont-
ceaux et Lorin. Le préfet du département de l'Yonne,
M. Lepère et les autres députés ses collègues et les sénateurs,
parmi lesquels M. Ed. Charton, promoteur de l'œuvre de la
statue, étaient venus saluer dans le marbre de M. Chapu l'ombre
du plus grand artiste dont le département puisse s'enorgueillir.

Le marbre nouveau de M. Chapu lui sera compté dans son
œuvre. Il a représenté le personnage dans l'attitude qui lui con-
venait, celle de la pensée recueillie et méditative. De la main
droite il mesure du compas une statuette qu'il tient de l'autre
main. La tète est celle du Jugement dernier, mais rajeunie et
empreinte du caractère de volonté et d'énergie de l'âge mur.
C'est bien là le grand ouvrier, comme l'appelait Taveau, son
compatriote et contemporain, poursuivant, sans hésitation ni
défaillance, le travail de sa pensée. L'œuvre a du style, de la
vie et du mouvement à la fois, sans être pour cela ni théâtrale,
ni maniérée. Elle repose non sur un piédestal, mais sur un fût
de colonne ionique tronquée. L'innovation est heureuse, mais
hardie. Il faut en féliciter M. Lefort, l'architecte, le fils du zélé
coopérateur de Viollet-le-Duc.

L'analyse des discours nous conduirait un peu loin et le
temps nous presse. Il nous faut signaler pourtant la bonne
parole de M. Turquet, le sous-secrétaire, d'État aux Beaux-Arts,
déclarant que la République entend faire retracer sur les murs
des écoles, des lycées et des facultés les grands faits, les grandes
actions auxquelles ont été mêlées les illustrations en tout genre
de la province. Ace titre, la République et M. Turquet auront
bien mérité de l'art et des artistes.

Pour les délicats, les fervents d'art, la grande attraction des
fêtes était l'exposition annoncée des quatre œuvres de Jean Cousin.
Indépendamment des vitraux de Sens et de Fleurigny, des
amateurs du département possèdent des verrières détachées, mais

surtout deux œuvres authentiques de son pinceau. Hélas!
aucune d'elles n'était à l'exposition. Pourquoi? On dit —mais
que ne dit-on pas ? — qu'en ces temps de politique partout et
toujours les organisateurs des fêtes auraient un peu trop laissé
percer le bout de l'oreille. Un moment on pouvait espérer que
les discordes civiles allaient s'éteindre sur l'autel du grand Seno-
nais. Vain espoir ! Le possesseur du merveilleux tableau de la
Pandore a boudé et d'autres avec lui, même les délégués de
l'Institut n'ont pu être admis à lui adresser leurs hommages. De
même pour YArtémise, simple portrait idéalisé, mais œuvre
gracieuse et charmante que son heureux possesseur, M. Pon-
celet, entoure de soins jaloux.

A défaut des originaux, l'exposition a dû se borner aux
copies. C'était, pour la Pandore, le dessin au trait de Millin,
fort inexact et reproduit dans l'album de l'ouvrage de M. A. Fir-
min-Didot, et, pour YArtémise, la belle gravure de M. Haus-
soullier, publiée par la Galette des Beaux-Arts. La Commission
des monuments historiques avait envoyé sept grandes aquarelles
de M. Eugène Oudinot représentant les verrières de la Sainte-
Chapelle de Vincennes, et l'archevêché, le Missel de Sens de 1575
et le Bréviaire (1560), dont les miniatures sont seulement attri-
buées au maître. Il faut citer aussi YUsaige de THolomètre, les
Coutumes de Sens et des gravures de la Bible, de Marnef; mais
des belles et nombreuses gravures au burin et à l'eau-forte du
maître, pas un spécimen. Pourquoi, ô Commission d'organisa-
tion, avoir oublié de faire auprès de M. de Baudicour, le grand
collecteur parisien des œuvres au burin du « Sénonais, » un
appel qui, certes, eût été entendu?

Sur la table du milieu s'étalait la gravure du Jugement der-
nier de Pierre de Jode et les deux ouvrages de plume qui ont
tant aidé à la gloire de J. Cousin : le Livre de perspective (1560)
et le Livre de Pourtraicture. Les zélés cherchaient en vain Y Art
de la Peinture, signalé par La Croix du Maine, et qui s'est perdu.

Le rez-de-chaussée de la maison même de J. Cousin, et
dont il fut, dit-on, l'architecte, servait de salle d'exposition.
Cette maison, un peu trop restaurée, ne manque pourtant pas
de caractère. « L'escalier est à lui seul un chef-d'œuvre d'archi-
tecture dans un style de transition», dit M. Ch. Blanc, et l'éloge
est justifié. En 1847 un petit bas-relief en pierre, Un guerrier
coiffé d'un casque romain, fut trouvé dans la cave de la maison.
« On ne peut l'attribuer qu'à J. Cousin », dit M. Kley, artiste
de talent, qui acquit cette épave pour l'offrir au musée de sa
ville. C'est le seul point par lequel l'exposition a tenu les
promesses du programme.

Cousin est le grand homme de Sens. Son nom plane sur la
ville comme une auréole indélébile; son culte y est en honneur
autant que celui de Rubens à Anvers; tout y parle de lui et tout
le monde en parlait, chacun à sa façon. Il fut pour les uns riche,
honoré et bien en cour; pour les autres, le petit nombre, il ne
fut grand que par ses. œuvres, par les facultés puissantes et
multiples de son génie. Il importe peu, après tout, que Cousin
ait été riche ou pauvre, apprécié ou dédaigné de ses contempo-
rains. L'essentiel est de considérer le parti qu'il tira du milieu
où il se trouvait.

Affaibli par la minutie et la préoccupation un peu vulgaire
du vrai, l'art de nos vieux imagiers se perdait dans l'imitation
de lui-même; un art nouveau était à naître. Jean Cousin le créa.
Il justifia ainsi, à certains égards, le titre un peu vague de fon-
dateur de l'école française, que lui donnèrent encore Alexandre
Lenoir et M. de Chirac. De cet art nouveau, que l'engouement
de la France pour les Italiens de la décadence étouffa bientôt, il
exprima l'idéal; il inscrivit sa signature dans un de ces cercles
d'étoiles qui entourent les Dieux de l'art; il fut enfin, comme
l'a dit à Sens M. Barbet de Jouy, « le glorieux précurseur de
'notre école moderne ».

J. Lobet.

1. Quelques preuves sur Jean Cousin. Librairie Renouard, 6, vue de Tou mu.
 
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