NOTRE BIBLIOTHÈQUE
CCXII
Raphaei : sa vie, son œuvre et son temps. Un volume grand in-8°
de 600 pages, contenant 140 reproductions de tableaux ou
fac-similés de dessins insére's dans le texte et 40 planches hors
texte. Par Eugène Mûntz, conservateur de la Bibliothèque,
des Archives et du Musée de l'École nationale des Beaux-
Arts, lauréat de l'Institut. Paris, Hachette. 1881.
Je ne connais pas de livre plus intéressant que celui-ci; il se
lit d'un bout h l'autre avec une facilité merveilleuse, et ces
six cents pages disparaissent les unes après les autres sans
qu'aucune paraisse de trop, sans que le lecteur éprouve un
sentiment de fatigue. C'est là un phénomène assez rare pour qu'on
doive le remarquer et qu'il soit bon d'en chercher les raisons.
M. Miïntz est un erudit. Non seulement il connaît tout ce
qui a été écrit sur Raphaël, mais il a fait lui-même dans les
bibliothèques et dans les archives italiennes des recherches per-
sonnelles, qui l'ont mis en possession d'un certain nombre de
documents nouveaux.
C'est là un élément considérable d'intérêt pour les lecteurs
qui aiment à s'instruire. Mais il y a deux manières d'user de
l'érudition.
Portrait de Bindo Altoviti.
(Pinacothèque de Munich.) — Tiré d.i Raphaël Je M. !'
Il y a la manière allemande, qui entasse les documents comme
ils se présentent, sans ordre et sans choix, et qui en fait ces
livres touffus où l'on se perd comme dans une forêt vierge, où il
faut se frayer la route avec la hache, ces volumes épais et lourds,
qui sont plutôt des dictionnaires que des livres proprement dits.
L'érudition ainsi comprise a certainement son utilité, et je n'en
veux pas médire. Les services qu'elle a rendus et qu'elle rend
chaque jour sont indiscutables.
Mais il faut bien avouer qu'elle n'est pas aimable ; on a
besoin d'un certain courage pour s'engager dans ce genre de
lectures et d'une non moindre persévérance pour soutenir jus-
qu'au bout l'effort qu'elles exigent.
L'érudition de M. Mûntz procède tout autrement. Elle est
pour lui, non pas le but, mais le moyen. Elle se subordonne
toujours au plan général de l'œuvre et n'empiète jamais sur le
reste. C'est là un mérite singulièrement rare et qui suppose
dans l'esprit de l'écrivain un sentiment de l'ordre et de la propor-
tion vraiment extraordinaire. Cet ordre et cette proportion sont
choses relativement faciles dans des livres dont les dévelop-
pements reposent sur un petit nombre de faits ou d'idées logi-
quement enchaînées. Mais il en est tout autrement quand il
s'agit de faire marcher d'accord et de maintenir à leur rang une
multitude de détails dans un ouvrage du genre de celui-ci.
Là est en eflet la grande difficulté des œuvres d'érudition, et
c'est précisément pour cela que les érudits ont pour la plupart
tant de peine à composer des livres bien ordonnés. On peut
comparer l'érudit à un général d'armée. Plus l'armée est nom-
breuse, plus il est difficile de combiner les mouvements et de
Tome XXIII. 36
CCXII
Raphaei : sa vie, son œuvre et son temps. Un volume grand in-8°
de 600 pages, contenant 140 reproductions de tableaux ou
fac-similés de dessins insére's dans le texte et 40 planches hors
texte. Par Eugène Mûntz, conservateur de la Bibliothèque,
des Archives et du Musée de l'École nationale des Beaux-
Arts, lauréat de l'Institut. Paris, Hachette. 1881.
Je ne connais pas de livre plus intéressant que celui-ci; il se
lit d'un bout h l'autre avec une facilité merveilleuse, et ces
six cents pages disparaissent les unes après les autres sans
qu'aucune paraisse de trop, sans que le lecteur éprouve un
sentiment de fatigue. C'est là un phénomène assez rare pour qu'on
doive le remarquer et qu'il soit bon d'en chercher les raisons.
M. Miïntz est un erudit. Non seulement il connaît tout ce
qui a été écrit sur Raphaël, mais il a fait lui-même dans les
bibliothèques et dans les archives italiennes des recherches per-
sonnelles, qui l'ont mis en possession d'un certain nombre de
documents nouveaux.
C'est là un élément considérable d'intérêt pour les lecteurs
qui aiment à s'instruire. Mais il y a deux manières d'user de
l'érudition.
Portrait de Bindo Altoviti.
(Pinacothèque de Munich.) — Tiré d.i Raphaël Je M. !'
Il y a la manière allemande, qui entasse les documents comme
ils se présentent, sans ordre et sans choix, et qui en fait ces
livres touffus où l'on se perd comme dans une forêt vierge, où il
faut se frayer la route avec la hache, ces volumes épais et lourds,
qui sont plutôt des dictionnaires que des livres proprement dits.
L'érudition ainsi comprise a certainement son utilité, et je n'en
veux pas médire. Les services qu'elle a rendus et qu'elle rend
chaque jour sont indiscutables.
Mais il faut bien avouer qu'elle n'est pas aimable ; on a
besoin d'un certain courage pour s'engager dans ce genre de
lectures et d'une non moindre persévérance pour soutenir jus-
qu'au bout l'effort qu'elles exigent.
L'érudition de M. Mûntz procède tout autrement. Elle est
pour lui, non pas le but, mais le moyen. Elle se subordonne
toujours au plan général de l'œuvre et n'empiète jamais sur le
reste. C'est là un mérite singulièrement rare et qui suppose
dans l'esprit de l'écrivain un sentiment de l'ordre et de la propor-
tion vraiment extraordinaire. Cet ordre et cette proportion sont
choses relativement faciles dans des livres dont les dévelop-
pements reposent sur un petit nombre de faits ou d'idées logi-
quement enchaînées. Mais il en est tout autrement quand il
s'agit de faire marcher d'accord et de maintenir à leur rang une
multitude de détails dans un ouvrage du genre de celui-ci.
Là est en eflet la grande difficulté des œuvres d'érudition, et
c'est précisément pour cela que les érudits ont pour la plupart
tant de peine à composer des livres bien ordonnés. On peut
comparer l'érudit à un général d'armée. Plus l'armée est nom-
breuse, plus il est difficile de combiner les mouvements et de
Tome XXIII. 36